Après sa baisse, le dollar fait face à son plus grand danger
Les BRICS+ connaissent depuis plusieurs années une montée en puissance économique et politique, entrée dans une nouvelle dimension avec l'élargissement du groupe à quatre nouveaux pays en 2024. Mais malgré leur volonté de remettre en question l'ordre international basé sur l'hégémonie américaine, ces pays demeurent toutefois largement dépendants du dollar pour leurs échanges commerciaux.
Une dépendance dont la guerre en Ukraine a récemment souligné les risques, selon Carl Grekou, économiste au Cepii. "Le gel des 300 milliards d'avoirs de la banque centrale de Russie, dont une bonne partie en dollars, a jeté un froid. Cela a entamé la crédibilité et la fonction de valeur refuge du dollar. Cela signifie qu'en cas de non-alignement politique avec les Américains, on peut se retrouver du jour au lendemain privé de son épargne." C'est après ces sanctions que les volontés de trouver une alternative au dollar ont pris un sérieux coup de fouet. En avril 2023, Alexandre Babakov, alors vice-président de la Douma, annonce ainsi la création d'une nouvelle monnaie, ensuite débattue lors du sommet des BRICS à Durban.
L'invincibilité du dollar en question
Malgré ces velléités séparatistes, le dollar demeure un mastodonte dont il est difficile de contester l'hégémonie. Le billet vert compte toujours pour 90% des transactions sur le marché des changes. Il demeure la principale monnaie utilisée comme réserve de valeur, devant l'euro, le yen, la livre sterling et le yuan. Une étude du GeoEconomics Center de l'Atlantic Council, un laboratoire d'idées atlantiste, parue en juin 2024, affirme que la position du dollar comme principale réserve de valeur mondiale est encore loin d'être menacée.
Reste que le poids de la monnaie américaine a commencé à décroître dans certains domaines stratégiques, notamment du fait des sanctions américaines contre la Russie, qui ont conduit le géant énergétique à utiliser d'autres monnaies pour écouler son pétrole. Ainsi, avant la guerre en Ukraine, la quasi-totalité des transactions pétrolières mondiales étaient effectuées en dollar. En 2023, un cinquième se passait du billet vert.
La récente chute du billet vert, qui a dévissé de 10% face à l'euro depuis le mois de mars, pourrait entamer davantage sa crédibilité comme réserve de valeur et ouvrir une fenêtre d'opportunité pour les BRICS+, qui disposent ainsi de moyens de pression sur Washington. En témoigne la récente annonce comme quoi ces derniers pourraient déclencher un tsunami financier en vendant pour 2 500 milliards de dollars américains.
La puissance croissante des BRICS+
A cela s'ajoute le poids économique croissant des BRICS+. "Les BRICS+ cumulent plus que le PIB du G7, 37% du PIB mondial en parité de pouvoir d'achat. Ils représentent la moitié de la population", analyse Carl Grekou. "Ce sont des géants du point de vue des énergies. A peu près 50% des vendeurs d'énergie et 50% des plus gros acheteurs d'énergie font partie du réseau BRICS+, aussi bien pour le renouvelable que pour le gaz et le pétrole. Ce sont aussi des géants au niveau de l'agriculture et de l'industrie manufacturière. Donc ce réseau-là pourrait très bien fonctionner en autarcie, sans réel besoin d'utiliser le dollar." Les BRICS détiennent également la plupart des réserves en matières premières du monde, dont le pétrole, le gaz naturel, mais aussi les minerais et les métaux précieux nécessaires aussi bien à l'informatique moderne qu'à la transition écologique.
Un constat que partage Stephen Jen, PDG d'Eurizon SLJ Capital, un investisseur britannique. Dans une note récente, il estime que la puissance économique croissante des BRICS+ et d'autres pays en développement leur permet d'abandonner leur dépendance à l'égard du dollar américain. Il identifie un "déséquilibre significatif" qui affaiblit l'attrait du dollar à long terme, rendant les monnaies locales plus attrayantes.
Stephen Jen note que la dédollarisation gagne également en importance dans des pays qui ne font pas partie des BRICS+, comme Taïwan, la Malaisie et le Vietnam, des économies qui disposent d'excédents extérieurs et où le dollar américain perd sa position dominante.
Vers une monnaie BRICS commune ?
Reste à savoir à quoi pourrait ressembler une alternative BRICS+ au dollar. Certains plébiscitent la mise en place d'une monnaie commune susceptible de concurrencer l'hégémonie du billet vert. Durant leur sommet de Kazan, en octobre 2024, les BRICS+ ont discuté la création d'une telle monnaie adossée à l'or, baptisée l'Unit. Cette nouvelle monnaie pourrait fonctionner via la blockchain, selon un dispositif de monnaie numérique de banque centrale (CBDC), appuyé sur un système de paiement international actuellement en développement, baptisé Projet mBridge.
Fruit d'une collaboration entre les banques centrales d'Hong Kong, de Thaïlande, de Chine et des Emirats, il s'appuie sur la blockchain Ethereum. En juin 2024, le magazine américain Forbes a rapporté que le projet avait atteint le stade de prototype minimum viable. Il pourrait offrir une alternative au système de paiement SWIFT, dominé par le dollar.
Cependant, les BRICS+ n'ont pas forcément besoin de créer une monnaie commune pour contourner l'usage du dollar, selon Carl Grekou. "Il pourrait y avoir une monnaie commune, mais les BRICS+ pourraient tout aussi bien utiliser directement leurs propres monnaies nationales. L'intérêt de cette dernière hypothèse, c'est qu'il n'y aurait pas de domination affichée, en tout cas de manière ostentatoire. A l'inverse, une monnaie BRICS+ signifierait de facto que le yuan s'imposerait", estime l'économiste. "La Chine, l'Arabie Saoudite, et les Emirats arabes unis commencent d'ailleurs déjà à faire un marché pour les énergies avec des paiements en monnaies nationales."
L'usage des monnaies nationales suscite toutefois aussi des tensions entre les puissances du groupe. Ainsi, en octobre 2023, lorsque la Russie, qui peine à écouler ses réserves de roupies, demande à l'Inde de lui régler son pétrole en yuan chinois, celle-ci refuse tout net.
Les menaces de Trump contre-productive ?
Les BRICS+ comptent en tout cas un farouche opposant à leur volonté de s'affranchir de la domination du dollar, en la personne du président américain Donald Trump. Lors de son débat présidentiel contre Kamala Harris, celui-ci avait promis de sanctionner les BRICS à l'aide de son arme favorite, les droits de douane, dans le cas où ils tenteraient de contourner le billet vert. Des menaces réitérées à plusieurs reprises depuis son retour à la Maison-Blanche.
Ces menaces pourraient toutefois avoir l'effet inverse de celui escompté, dans la mesure où elles tendent à valider la thèse de ceux qui pointent le dollar comme un instrument de domination au service de la puissance américaine. Ce qui n'a pas échappé au porte-parole du Kremlin Dmitry Peskov. "Si les Etats-Unis ont recours à la force pour contraindre les pays à utiliser le dollar, cela va renforcer la tendance à l'usage croissant des monnaies nationales pour les échanges internationaux", confiait-il récemment à l'agence Reuters.