Comment Kamala Harris a appris à séduire Wall Street et la Silicon Valley

Comment Kamala Harris a appris à séduire Wall Street et la Silicon Valley La candidate démocrate cultive une image pro-business, en rupture avec le discours pro-régulation et pro-travailleurs de Joe Biden. Elle entend ainsi regagner les faveurs de Wall Street et de la Silicon Valley.

Pour Kamala Harris, la moisson du mois d'août fut particulièrement profitable. Elle est parvenue à lever 361 millions de dollars, loin devant les 130 millions récoltés par son rival. La campagne de la candidate démocrate a ainsi entamé la rentrée assise sur une confortable pile de 404 millions de dollars en cash, contre 84 millions pour celle de Donald Trump. 

Le trésor de guerre de Kamala Harris a notamment reçu un sérieux coup de pouce de la part de plusieurs personnalités de Wall Street, dont E. John Rosenwald, un cadre haut placé de la banque JPMorgan Chase, Jonathan Gray, le président de Blackstone, et Marc Lasry, d'Avenue Capital Management. Mais aussi de quelques figures de la Silicon Valley, parmi lesquelles Reid Hoffman, ex de la PayPal Mafia et cofondateur de LinkedIn, l'entrepreneur Mark Cuban, Reed Hastings, cofondateur de Netflix, Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook, ainsi que plusieurs cadres de fonds d'investissement en capital-risque, comme Oaktree Capital Management et Bessemer Venture Partners. 

Ben Horowitz, l'une des deux têtes pensantes d'Andreessen Horowitz, l'un des VCs les plus célèbres, vient également d'annoncer qu'il allait contribuer financièrement à la campagne de la candidate démocrate, après avoir dans un premier temps soutenu celle de Donald Trump lorsque Joe Biden n'avait pas encore jeté l'éponge. L'autre éminence grise d'a16z, Marc Andreessen, continue pour sa part de soutenir le candidat républicain. 

Un message économique moins ancré à gauche

Le mandat de Joe Biden a été marqué par une attitude musclée vis-à-vis des monopoles, en particulier technologiques, et une défense acharnée des droits des travailleurs, à travers un soutien affiché aux syndicats. Pour ce qui concerne la première dimension, le président américain a nommé des personnalités farouchement antimonopoles et anti-Gafam à des postes clefs : Lina Khan pour diriger la Federal Trade Commission, gendarme de la concurrence aux États-Unis, et Jonathan Kanter à la tête de la division antimonopoles du Département de la Justice. Ensemble, ils ont lancé une série d'enquêtes contre les abus de position dominante de la Silicon Valley, créant un climat des affaires dans lequel les entreprises réfléchissent à deux fois avant de mener des fusions-acquisitions, ce qui lui a causé de nombreux ennemis dans le monde de la tech et à Wall Street, la bourse raffolant des fusions et rachats

En 2020, Joe Biden a notamment fait campagne sur le thème de la défense des travailleurs, afin de remporter des États clefs de la Rust Belt et de reconquérir un électorat traditionnellement démocrate séduit par Donald Trump en 2016. Durant son mandat, il a mené une politique résolument pro-syndicat, insérant des clauses favorisant les entreprises dont les ouvriers sont syndiqués dans ces grands plans d'investissements et de subventions publiques comme l'Inflation Reduction Act et le Chips Act. Une ligne qui a également déplu à certaines figures de la Silicon Valley et de Wall Street, à gauche sur les questions sociales mais plutôt à droite sur les questions économiques, et qui, combinée à sa lutte contre les monopoles et à sa rhétorique anti-Gafam, a donné à Joe Biden l'image d'un président hostile au monde des affaires et à l'innovation. 

Sans renier l'héritage de son prédécesseur, Kamala Harris s'est efforcée de recentrer son discours économique, afin de renouer avec la ligne technophile qui avait marqué l'administration Obama. Lors d'un récent discours à l'Economic Club de Pittsburgh, en Pennsylvanie, l'un des États dans lesquels va se jouer l'élection, la candidate démocrate a ainsi affirmé que son administration serait pro-business et favorable à la classe moyenne. Dans une interview accordée à la chaîne MSNBC, elle s'est présentée comme une "capitaliste" croyant à la collaboration entre le gouvernement et le secteur privé. 

La candidate s'est également entourée de plusieurs personnalités issues du monde de la tech pour mener sa campagne, dont David Plouffe, ancien d'Uber ayant conseillé TikTok et la plateforme d'échange de cryptos Binance, ainsi que Reid Hoffman, un critique affiché de la politique de Lina Khan à la FTC. Soutien d'une loi californienne visant à donner aux travailleurs de la gig economy (économie des petits boulots) le statut de salariés en 2019, Kamala Harris s'est gardée d'évoquer de nouveau le sujet lors de cette campagne, alors même qu'une décision d'une cour californienne favorable à la loi en question a remis le sujet sur le tapis. 

La candidate démocrate peut par ailleurs compter sur son passé pour jouer en sa faveur. Procureure du district de San Francisco de 2007 à 2011, puis procureure générale de Californie de 2011 à 2017, elle s'est montrée durant son mandat très proche de la tech, laissant passer un grand nombre de fusions et concluant un accord en 2012 sur la protection de la vie privée des utilisateurs de smartphone, largement salué par l'industrie

Trump continue de bénéficier d'une certaine aura auprès des patrons et investisseurs

L'attrait qu'exerce Donald Trump sur une partie de la Silicon Valley et de Wall Street ne doit toutefois pas être sous-estimé. L'ancien président est après tout parvenu à faire d'Elon Musk l'un de ses soutiens les plus zélés, alors que celui-ci était jusqu'à très récemment un allié de longue date du parti démocrate, doté d'une fibre écologiste a priori peu compatible avec le climatoscepticisme de Trump. 

"Ils veulent vous enlever votre liberté d'expression, votre droit de porter une arme et votre droit de vote" a déclaré Elon Musk lors d'un rallye de Donald Trump qui s'est tenu sur le lieu même où l'ancien président a été victime d'une tentative d'assassinat en juillet. Il a ensuite présenté Donald Trump (qui continue d'affirmer qu'il a gagné l'élection de 2020) comme le seul candidat "capable de préserver la démocratie en Amérique."

Outre Elon Musk, Trump est également parvenu à rallier plusieurs personnalités de la Silicon Valley et de Wall Street autour de sa campagne, dont Marc Andreessen et John Sargent, un cadre de Rockefeller Capital Management. Mark Zuckerberg et Jamie Dimon, le patron de JPMorgan Chase, ont par ailleurs évoqué l'ancien président en des termes élogieux, sans toutefois aller jusqu'à lui apporter leur soutien. 

La popularité de Donald Trump est particulièrement forte dans le monde des cryptos, un univers aux sensibilités libertariennes qui se juge malmené par l'administration Biden, dont le choix pour diriger la SEC, Gary Gensler, n'a pas hésité à durcir le ton pour exiger des entreprises cryptos qu'elles respectent la loi. Si la dynamique au sein de la Silicon Valley semble actuellement plutôt en la faveur de Kamala Harris, les gains effectués au sein de celle-ci par Donald Trump demeure remarquable : en 2016, l'industrie (à l'exception de Peter Thiel) avait d'une seule voix appelé à voter contre lui.