Harris et Trump courtisent les travailleurs pour remporter les "swing states"

Harris et Trump courtisent les travailleurs pour remporter les "swing states" Le temps où les classes populaires votaient systématiquement à gauche est révolu : leur cœur balance désormais entre républicains et démocrates. Dans certains États, leur choix pourrait bien décider du résultat de l'élection.

Du fait des spécificités du système fédéral américain, l'élection présidentielle ne se décidera pas en Californie ou dans le Mississippi, deux États respectivement solidement ancrés à gauche et à droite. Le soir de l'élection, toute l'attention sera focalisée sur les "swing states", ces quelques États qui penchent tantôt côté démocrate, tantôt républicain.

Parmi ceux-ci, on compte notamment trois États du Nord-Est, qui appartiennent à la "Rust Belt", anciens, puissants et prospères États industriels dont l'économie a souffert des délocalisations et de la désindustrialisation : le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie. En 2016, tous ces États ont donné une courte majorité à Donald Trump, lui permettant d'emporter la victoire. En 2020, c'est en revanche sur Joe Biden qu'ils ont reporté leur vote, propulsant le candidat démocrate à la Maison-Blanche. Pour Kamala Harris et Donald Trump, séduire les classes populaires au sein de ces différents États est donc un enjeu majeur.

Donald Trump mise sur les tarifs douaniers et les valeurs traditionnelles

Durant la majorité du vingtième siècle, les classes populaires étaient largement acquises au Parti démocrate, tandis que le Parti républicain séduisait les Américains les plus aisés. Mais à partir de la fin du XXe siècle, les cols bleus ont commencé à déserter les rangs de la gauche américaine. Une tendance qui s'est accélérée en 2016, avec la candidature de Donald Trump, qui est parvenu à remporter le vote de l'électorat populaire blanc, et séduit désormais également une part croissante de l'électorat populaire issu des minorités.

Lors de la campagne de 2016, le candidat républicain a pour la première fois rompu avec certains dogmes de son parti comme la défense acharnée du libre-échange, affirmant pour la première fois que celui-ci avait entraîné des délocalisations qui ont nui aux classes populaires. Un discours qui a plu aux électeurs de la Rust Belt et a sans conteste contribué à la victoire de Donald Trump sur Hillary Clinton dans ces États-clefs. Une fois au pouvoir, Trump a tenu certaines de ses promesses électorales, instaurant des tarifs douaniers sur l'acier et les machines importées, afin de favoriser l'industrie locale, démarrant une guerre commerciale avec la Chine et torpillant le traité de libre-échange transatlantique.

Mais sur d'autres aspects, sa politique s'est davantage située dans l'héritage du Parti républicain. Son administration a par exemple pris des mesures contre les syndicats et tenté (sans succès) d'abolir le salaire minimum fédéral. Certains électeurs des classes populaires, déçus par la présidence Trump, ont ainsi reporté leur choix sur Joe Biden en 2020. Celui-ci a notamment remporté le vote des électeurs syndiqués (qui composent plus de 10 % de l'électorat du Michigan, du Wisconsin et de la Pennsylvanie) de plus de huit points.

Le Parti républicain semble déterminé à ne pas refaire la même erreur. Lors de la Convention nationale républicaine, en juillet dernier, le président des Teamsters, un syndicat des conducteurs routiers américains, l'un des plus gros syndicats du pays, était invité à parler sur scène, où il a dénoncé une " guerre contre le travail " menée par les grandes entreprises.

Le choix de J.D. Vance comme colistier par Donald Trump vise également à séduire les classes populaires américaines, en misant sur un discours défendant les droits des travailleurs, promouvant des valeurs conservatrices et dénonçant les élites démocrates et leurs obsessions "woke" comme déconnectées du peuple. Opposé à l'avortement, au mariage homosexuel et défenseur d'une conception traditionnelle de la famille, Vance est aussi l'auteur de Hillbilly Elegy, un livre autobiographique dans lequel il raconte son enfance modeste dans les Appalaches. Il est partisan d'un renforcement du pouvoir des syndicats, soutient un projet de loi qui passerait le salaire fédéral minimum de 7,25 à 11 dollars, et s'est inquiété du mauvais traitement qu'Amazon réservait à ses livreurs. Il a à plusieurs reprises répété son ambition de faire des républicains un parti " pro-travailleurs. " La rupture avec la ligne ultralibérale de Ronald Reagan semble bel et bien consommée.

Kamala Harris entend tirer profit des lois votées par l'administration Biden

Une fois arrivé au pouvoir, Joe Biden, lui-même né en Pennsylvanie, a pris acte de l'importance du vote des classes populaires. Il a ainsi conservé les tarifs douaniers mis en place par son prédécesseur et accéléré la guerre commerciale menée contre la Chine.

Mais là où Donald Trump s'est principalement cantonné à une remise en cause du libre-échange, Joe Biden a également voté plusieurs lois instaurant des investissements massifs pour redynamiser l'industrie américaine, dont un investissement de 1 000 milliards de dollars dans les infrastructures du pays, un autre de 52 milliards dans la construction d'usine de puces informatiques sur le sol américain, et un troisième visant à financer l'industrie des énergies propres aux États-Unis Avec chaque fois des mesures donnant la priorité aux entreprises dont les employés sont syndiqués pour toucher les subventions.

Afin de souligner les résultats concrets de cette politique, le président américain a lancé plusieurs "Investing in America Tours", durant lesquels il s'est rendu dans plusieurs villes américaines où les lois votées par son administration ont permis de recréer de l'activité et des emplois industriels. De manière symbolique, Joe Biden a aussi participé à un piquet de grève avec des employés de l'industrie automobile du Michigan en septembre 2023.

En plus de défendre le bilan de son prédécesseur, Kamala Harris a promis de monter le salaire minimum fédéral (d'un montant qu'elle n'a pas précisé, mais lors de sa campagne en 2020, le chiffre de 15 dollars de l'heure avait été évoqué) et soutenu le passage du PRO Act, un projet de loi visant à renforcer les droits des travailleurs, qui suscite l'opposition des élus républicains au Congrès.

Tout comme son rival, la candidate démocrate a choisi un colistier qui reflète son désir de séduire les classes populaires. Gouverneur du Minnesota, ancien professeur syndiqué, Tim Waltz est issu d'un milieu populaire. Lors de son mandat de gouverneur, il a instauré la gratuité des repas dans les écoles, augmenté la durée des congés maladie, investi 2,6 milliards de dollars dans la construction de routes, ponts et autres infrastructures critiques, en réservant les emplois créés aux travailleurs syndiqués, et a instauré un salaire minimum pour les travailleurs de la gig economy, comme les chauffeurs Uber. Au cours des dernières semaines, Kamala Harris et Tim Waltz ont tous deux régulièrement mis en avant leurs origines modestes, tout en soulignant le milieu privilégié dans lequel Trump, par contraste, a grandi.

Les sondages annoncent pour l'heure une élection très serrée dans les trois "swing states" de la Rust Belt, et les deux camps comptent bien profiter du temps restant pour s'efforcer de séduire leurs électeurs par tous les moyens.