Royaume-Uni : Keir Starmer mise sur l'anglophilie de Trump pour échapper à ses foudres
S'attirer les bonnes grâces de Donald Trump est une tâche ô combien délicate sur laquelle de nombreux chefs d'Etat se sont cassé les dents. Si quelques-uns y sont parvenus, comme l'ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe et l'actuelle présidente du Conseil des ministres italienne Giorgia Meloni, ils avaient pour atout d'être du même bord politique que l'actuel président américain.
Pour le Premier ministre britannique, situé à gauche de l'échiquier politique, entretenir de bonnes relations avec Donald Trump afin de préserver au maximum la coopération entre les deux pays face à la ligne isolationniste de la nouvelle administration et protéger le Royaume-Uni contre la guerre commerciale s'annonçait donc très difficile.
Le Premier ministre britannique est pourtant parvenu à engranger quelques succès. Second dirigeant européen à rendre visite au président américain depuis sa réélection, quelques jours après Emmanuel Macron, il s'est même attiré de nombreux éloges de Donald Trump. Celui-ci a par exemple déclaré dans une interview à la BBC qu'il "l'appréciait beaucoup" malgré leurs divergences politiques et que le dirigeant britannique faisait un "très bon travail".
Des compliments réitérés lors de la visite de Starmer à Washington, lors de laquelle le président américain s'est montré très affable et accueillant, vantant la "relation spéciale" entre les deux pays et ouvrant son hôte d'éloges. Le contraste avec la façon dont a été reçu Volodimir Zelensky est particulièrement frappant. Les deux dirigeants ont également évoqué la signature d'un traité de libre-échange entre les deux puissances, un contraste là encore important avec la guerre commerciale tous azimuts que Donald Trump a déployée contre la Chine, mais aussi contre des pays alliés comme le Mexique, le Canada, ou encore l'Union européenne.
Le Premier ministre britannique a su manœuvrer adroitement, évitant de contredire Trump ouvertement, jouant sur la flatterie et misant sur l'anglophilie du président américain. Une stratégie déployée en amont par le dirigeant britannique, qui a pris soin de rencontrer Donald Trump durant la campagne présidentielle américaine et désavoué à mots couverts des staffeurs du parti travailliste ayant prêté assistance à la campagne de Kamala Harris, affirmant qu'ils avaient agi sur leur temps libre et à leur initiative personnelle.
Là où son prédécesseur, Joe Biden, mettait régulièrement en valeur ses racines irlandaises, Trump, dont la mère est écossaise, professe plutôt son amour des Highlands et surtout de la monarchie britannique, faisant régulièrement l'éloge de feue la reine Elizabeth, de son fils le roi Charles III, et du prince William. Trump a ainsi couvert ce dernier de louanges après l'avoir rencontré lors de la cérémonie de réouverture de Notre Dame. Trump a également réintroduit dans le bureau ovale un buste de Winston Churchill qui en avait été retiré par Joe Biden.
Lors de sa visite à Washington, Keir Starmer a habilement joué sur l'affection du président américain pour la monarchie britannique, lui remettant en main propre une lettre rédigée par le souverain Charles III, assortie d'une invitation de sa part à se rendre au Royaume-Uni.
Un succès mitigé
Les succès engrangés par Starmer sont cependant en demi-teinte. Certes, le Royaume-Uni n'est pas menacé de tarifs douaniers s'appliquant sur tous les produits exportés en Amérique comme le sont l'Union européenne, le Canada et le Mexique. Mais la Maison-Blanche n'a finalement pas exempté son vieil allié des tarifs douaniers de 25% sur l'acier et l'aluminium importés, là où le 10, Downing street espérait une exemption du fait de la promesse d'un futur accord de libre-échange. Certes, Trump a déjà montré qu'il pouvait rapidement virer sa cuti en matière de guerre commerciale, et si l'accord de libre-échange américano-britannique venait bel et bien à avoir lieu, ces tarifs pourraient connaître une bien courte existence. Mais l'annonce a forcément été vécue comme un camouflet par Keir Starmer, qui tient cependant visiblement à temporiser et n'a pas encore riposté de crainte de froisser Washington.
En outre, le fait que le Royaume-Uni soit pour l'heure relativement épargné par le protectionnisme trumpiste tient sans doute au moins autant aux rapports commerciaux qui unissent les deux pays qu'à la diplomatie de Keir Starmer. En effet, contrairement à l'UE, le Royaume-Uni, dont l'économie est largement basée sur les services, exporte à peu près autant de biens aux Etats-Unis qu'il en importe, ce qui en fait une cible moins tentante pour la rhétorique de Trump selon laquelle les alliés de Washington profitent de son marché sans acheter ses produits. Les tarifs douaniers moyens appliqués par le Royaume-Uni sont en outre de 3,8% seulement, contre 5% pour l'UE et 7,5% pour la Chine.
Le Premier ministre britannique espérait de plus obtenir l'assurance d'un soutien militaire américain en cas de déploiement d'un contingent de soldats issus de plusieurs pays européens en Ukraine pour dissuader une nouvelle offensive russe suite à un cessez-le-feu potentiel. Trump s'est là encore contenté de vagues remarques, assurant que son pays soutiendrait toujours le Royaume-Uni.
Keir Starmer compte peu de soutiens à la Maison-Blanche
Plus que de Trump lui-même, c'est des plus proches conseillers de celui-ci que Keir Starmer devrait s'inquiéter. Elon Musk, en particulier, qui cherche à s'immiscer dans les affaires politiques européennes après avoir aidé à l'élection de Trump, est un critique acharné du Premier ministre britannique. Dans des publications au vitriol sur sa page X, il l'a notamment accusé de censurer ses opposants lors des émeutes anti-immigration qui ont eu lieu l'été dernier au Royaume-Uni, ou encore d'avoir volontairement étouffé des affaires de viols en série menés par des gangs pakistanais. Le milliardaire a ainsi traité Keir Starmer de "honte nationale" et appelé à sa démission. Il soutient en outre Reform UK, le parti anti-immigration de Nigel Farage, l'une des deux principales forces d'opposition avec le Parti conservateur.
JD Vance, le vice-président américain, est également beaucoup plus critique que Donald Trump vis-à-vis du dirigeant britannique. Il dénonce régulièrement les abus de son gouvernement vis-à-vis de la liberté d'expression ainsi que la politique migratoire du royaume, et a raillé le projet de déploiement de troupes britanniques sur le sol ukrainien. S'assurer le soutien de la nouvelle administration est dans ce contexte loin d'être gagné, même en exploitant le charme suranné de la monarchie britannique.