Vers une épargne plus souveraine : l'Europe veut garder ses milliards chez elle

Vers une épargne plus souveraine : l'Europe veut garder ses milliards chez elle Face au déséquilibre croissant entre les zones d'investissement, plusieurs États s'accordent sur un mécanisme de fléchage de l'épargne à l'échelle régionale.

Un label européen de l'épargne a été lancé le 6 juin 2025 par plusieurs États membres. L'objectif affiché est de mieux orienter les flux financiers des ménages européens vers les entreprises du continent.

Un tiers de l'épargne européenne hors zone euro et un nouveau cadre d'investissement coordonné

L'épargne des Européens est estimée à 35 000 milliards d'euros, selon des données relayées par Le Figaro. Près de 20% de ce montant serait investi à l'étranger, notamment aux États-Unis, et une part importante du reste dort sur des comptes à faible rendement. Environ 50% de cette épargne est placée sur des produits liquides et garantis, contre seulement 33% en actions. À titre de comparaison, aux États-Unis, la moitié de l'épargne est investie en actions, et seulement 14% en produits garantis, selon Les Échos.

Pour tenter d'inverser cette tendance, une dizaine d'États membres de l'Union européenne, dont la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne, le Luxembourg, le Portugal et l'Estonie, ont signé un accord à Bercy pour la création du label européen de l'épargne. Ce repère pourra être apposé sur les produits financiers qui respectent un cahier des charges précis : au moins 70% des actifs doivent être investis dans des entreprises situées dans l'Espace économique européen, avec une priorité donnée aux actions. Une durée minimale de détention de cinq ans est exigée, et une fiscalité incitative sera mise en place dans chaque pays signataire.

Ce label ne correspond pas à un nouveau produit unique à l'échelle européenne. Les établissements financiers (banques, assureurs, sociétés de gestion) pourront créer des produits labellisés ou adapter ceux qui existent déjà. Le lancement effectif est prévu en 2026, avec des contrôles délégués aux autorités compétentes de chaque État membre. Tout manquement entraînera le retrait du droit d'utiliser le label.

Une réponse à la sous-capitalisation des entreprises européennes et aux déséquilibres transatlantiques

Selon les données rapportées par BFMTV, les actions américaines étaient valorisées fin 2024 à 25 fois les bénéfices des entreprises du S&P 500, contre 14 fois pour celles de l'indice MSCI Europe. Cette différence de valorisation explique en partie la préférence des investisseurs européens pour les produits libellés en dollars.

La capitalisation boursière totale des entreprises européennes ne représente que 11% de la capitalisation mondiale. Ce déséquilibre entraîne un recours régulier aux financements américains, y compris pour les start-up ou les entreprises de taille intermédiaire basées en Europe. Le ministre de l'Économie et des Finances Éric Lombard a déclaré : "Depuis trop longtemps, les 35 000 milliards d'euros épargnés par les Européens s'exportent en grande partie pour financer l'innovation et la croissance ailleurs".

Cette initiative s'inscrit dans une volonté plus large de concrétiser l'Union de l'épargne et de l'investissement. Cette Union est évoquée depuis plusieurs années comme un prolongement logique du marché unique, mais elle reste entravée par une fragmentation réglementaire. La Commission européenne a dévoilé une feuille de route fin mars, prévoyant notamment une supervision unifiée des marchés de capitaux.

Pour Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Épargne, "nous sommes sur des sommes considérables". Selon lui, la part de l'épargne européenne réellement investie à l'étranger se situerait plutôt autour de 20% que 30%, comme évoqué dans certaines prises de parole officielles.

Les porteurs du projet soulignent que le caractère volontaire de ce label est compatible avec les pratiques d'épargne existantes dans chaque pays. Le dispositif reste ouvert à l'ensemble des États membres de l'Union européenne.