Yann Lechelle (Scaleway) "Des clients s'adossent à Scaleway pour bâtir des architectures multicloud "
Le CEO du cloud d'Iliad lève le voile sur sa stratégie et sa feuille de route pour les mois à venir, du lancement de nouveaux services managés à de nouveaux serveurs bare metal.
JDN. Avez-vous observé comme d'autres providers de cloud un rebond de l'activité suite au premier confinement ?
Yann Lechelle. Globalement, l'année 2020 est saine dans la mesure où le cloud génère une demande accrue. Concernant le premier confinement en particulier, des clients importants nous ont rejoints dans la foulée. C'est le cas par exemple du Cned ou du ministère de l'Education nationale. Certains d'entre eux nous avaient d'ailleurs découverts via la solution solidaire de visioconférence (basée sur l'application open source Jitsi, ndlr) que nous avons proposée gratuitement lors de la première vague. L'appel d'offres remporté par Capgemini en juin 2020 (pour accompagner les administrations publiques françaises vers le cloud, ndlr), dont nous faisons partie, a contribué à accompagner le mouvement.
Durant l'été, nous avons supprimé le plafond de 500 heures au-dessus duquel le tarif mensuel des instances de Scaleway était gelé. Ce capping poussait certains utilisateurs à maintenir leur consommation de ressources artificiellement. Dans le même temps, nous avons revu à la baisse notre politique de prix pour éviter de pénaliser les clients. Cette stratégie se traduit au final par une logique de croissance plus en phase avec un mode de consommation cloud natif.
Le reconfinement a-t-il eu un impact sur la demande ?
La demande ne faiblit pas. Elle concerne d'abord comme je l'ai dit notre activité de cloud public. Notre offre de data centers en collocation est aussi très sollicitée. Nous traitons en ce moment des dossiers très conséquents dans ce domaine. Côté serveurs dédiés, les clients sont plus que jamais en quête d'efficience. Evidemment certains, attentifs à leurs finances, résilient une partie de leur parc. Mais les nouveaux clients qui nous rallient et le surcroît de consommation de ressources dans certains secteurs contribuent à tirer la croissance.
Vous venez de mettre sur le marché un serveur de très grande capacité, avec 224 cœurs, 448 threads et 20.6 Tb de stockage NVMe. Pour quels usages ?
Face à une demande de puissance toujours plus grande, nous avons lancé ce que nous considérons être le serveur physique le plus puissant du monde. Il illustre notre position de pionnier et de leader mondial du bare metal. C'est une sandbox qui pour 30 euros de l'heure permet de réaliser du calcul intensif type HPC (high performance computing, ndlr) ou de tester le déploiement d'un ERP (le serveur est certifié pour VMware et SAP-Hana, ndlr). Il s'agit de la première brique d'une nouvelle gamme de bare metal de haute capacité. Elle sera prochainement complétée par d'autres modèles de serveur. L'objectif étant in fine de donner la possibilité de bâtir des clusters.
A l'autre bout de l'échiquier, nous avons lancé début novembre des instances de 1 Go de Ram pour 0,0025 euro de l'heure. Face aux limitations de Github, elles peuvent permettre par exemple de gérer des dépôts de code. C'est aussi un bon moyen de tester nos différents services : répartiteur de charge, réseau privé, scénarios multirégions...
Vous êtes l'un des rares providers à avoir opté pour une politique multicloud. Votre plateforme est compatible avec le service de stockage S3 d'Amazon. Votre répartiteur de charge est nativement multicloud. Vous avez rapidement lancé un service Kubernetes managé pour faciliter le portage d'applications d'un cloud à l'autre. Pourquoi cette stratégie ?
Notre objectif est de proposer une alternative crédible aux géants du cloud tout en prenant en charge leurs API, et notamment celles d'AWS qui du fait de sa position de leader s'impose désormais comme un standard. Etant compatible avec l'interface de S3, nos offres de stockage peuvent intégrer immédiatement les données qui en sont issues. Dans la même logique, notre solution serverless (actuellement en bêta publique, ndlr) interopère avec l'API de Lambda, le propre service sans serveur d'Amazon. Du coup, une fonction conçue pour Lambda pourra immédiatement être reprise sur notre PaaS (ou platform as a service, ndlr), et inversement. La finalité est de permettre à nos clients de gagner en flexibilité.
"Notre ambition est de déployer de nouvelles régions cloud à l'international et de nous rapprocher des millisecondes de temps de latence"
Fort de ces connexions, des clients s'adossent désormais à notre PaaS pour bâtir des architectures industrielles multicloud. Avec, par exemple, le choix de S3 pour le stockage chaud et celui de Scaleway pour le stockage froid. Ces nouvelles applications nous amènent à plancher sur d'autres scénarios d'hybridation, notamment dans l'IA. Des modèles de machine learning pourraient par exemple être entraînés sur un cloud tiers plus expert du domaine, tel Azure ou Google Cloud, avant d'être déployés chez Scaleway (qui est justement en train de développer un service d'inférence de modèles, ndlr).
Pour porter notre offre de valeur, nous avons en revanche choisi de maîtriser notre pile technologique, du matériel au logiciel en passant par le réseau. Cette stratégie combinée à notre relative petite taille nous permet de gagner en vélocité, en termes d'innovations comme de pricing.
Prévoyez-vous d'ouvrir de nouvelles régions cloud à court terme ?
Après Paris et Amsterdam, nous avons annoncé en septembre dernier l'ouverture d'une région sur Varsovie en Pologne, avec pour ambition de cibler l'Europe de l'Est. Sur la région de Paris, nous comptons trois zones de disponibilité. L'une est basée dans nos data centers DC2 et DC3, la deuxième dans notre centre de données de dernière génération à faible emprunte carbone, le DC5, et la dernière, consacrée au stockage managé, dans notre data center bunkerisé DC4. Pour l'heure, nos régions d'Amsterdam et de Varsovie se limitent chacune à une AZ unique. L'objectif va être de les porter à trois. Pour la suite, notre ambition est de déployer de nouvelles régions cloud à l'international. Tout l'enjeu sera de nous rapprocher des millisecondes de temps de latence en matière d'usage.
Serial-entrepreneur, Yann Lechelle a contribué à la création, la croissance ou la cession de plusieurs start-up : Etheryl, KickYourApp, Appsfire et SonetIN. Il était auparavant directeur des opérations chez Snips, société spécialisée dans l'intelligence artificielle appliquée aux assistants vocaux, jusqu'à son rachat par Sonos fin 2019. Yann Lechelle est par ailleurs membre cofondateur de l'association France Digitale, membre cofondateur et membre du comité d'administration du HUB France IA, et diplômé de l'Insead.