Nous sommes tombés sur la dette IT, comment en sortir ?

A l'heure où l'accélération de la transformation numérique est sans précédent, la question de la dette IT devient préoccupante pour de nombreuses entreprises.

Selon un rapport de Stepsize, les équipes IT consacreraient en moyenne 33% de leur temps à la maintenance et à la gestion de systèmes historiques, dont 50% dédiés exclusivement à la gestion de la dette IT. Plus de 60% des professionnels interrogés estiment que la dette technique est à l'origine de nombreux incidents et ralentit le processus de développement.

La pression du business as usual, l’accumulation de mauvais choix individuels, le manque de communication et de compréhension entre les interlocuteurs métier et l’IT et le manque de qualification de cette dette, sont quatre facteurs qui peuvent en expliquer l’importance. Elle s’accumule alors, ses impacts se faisant ressentir et la latitude pour la résorber se réduisant.

A cela peut s’ajouter la difficulté pour les équipes IT de répondre efficacement aux attentes des métiers, créant un désalignement progressif entre les deux parties puis une perte de confiance envers les équipes IT. Un cercle vicieux que les entreprises se doivent d’éviter si elles veulent répondre aux contraintes de réactivité et d’évolutivité de plus en plus fortes, tout en garantissant une expérience utilisateur optimale.

La dette IT et son effet boule de neige sur l’activité des entreprises

La métaphore de la dette IT a été formulée en 1992 par l’informaticien Ward Cunningham. Il exprimait alors l’idée que le développement de solutions à court terme pour les systèmes informatiques entraînait un ensemble d’arbitrages apportant des contraintes qui devront être remboursées sous la forme de tâches d’ingénierie. Ainsi, la dette IT englobe tous les écarts avec l'état de l'art technologique, délibérés ou non, qui ont un impact néfaste à long terme sur les coûts informatiques, le time-to-market et la continuité des activités de l’entreprise. Beaucoup font un raccourci en assimilant la dette IT à l'obsolescence, mais ce n'est qu’une toute petite partie.

Pour être exhaustif, il faut inclure dans la dette IT tous les autres manquements des entreprises :

  • Dette du code - les mauvaises pratiques de développement,
  • Dette des données - les dérives de qualité des données hébergées dans les référentiels et autres gisements,
  • Dette des compétences - perte de maîtrise de la solution, souvent amplifiée par la dette documentaire,
  • Dette d'architecture - erreurs de design et méconnaissance de patterns,
  • Dette d'urbanisation - mauvais choix d'urbanisation, voire absence totale.

Nous pouvons également parler des vulnérabilités, en tant que dette sécurité, car elles peuvent induire des conséquences importantes sur l’activité et les finances et plus globalement sur les performances, la disponibilité et l'expérience utilisateur. Autre enjeu clé pour les entreprises, la dette environnementale fait partie intégrante des sources de dette IT du fait de l’influence du design des solutions sur l’empreinte carbone cible, par exemple la limitation des données stockées ou des serveurs alloués.

En repartant de l'origine de la métaphore, la dette IT se paye tous les mois avec des évolutions de plus en plus chères et longues et des incidents en production de plus en plus nombreux. A cela s'ajoute des procédures et des actions manuelles pour pallier ces incidents, en plus d’une mauvaise expérience du côté des clients et des utilisateurs à cause des performances et des disponibilités dégradées. Les projets de refonte, lorsqu’ils sont décidés, induisent des dépenses plus élevées que si la dette avait été traitée correctement au fil du temps.

Gouvernance et mesure au cœur d’une stratégie "zéro dette"

Le prérequis afin de sortir d’une dette IT est de savoir la quantifier et la qualifier par la mise en place d’une démarche outillée de mesure et de traitement. Plusieurs principes fondateurs sont au cœur de cette démarche : une évaluation 360° pour identifier et quantifier la dette IT sous toutes les formes évoquées précédemment, une orientation business afin de moduler son importance grâce à une mise en évidence de la valeur métier des services touchés, ainsi qu’une communication et une pédagogie établies afin de convaincre les équipes de direction des priorités de traitement de la dette IT avec de réelles problématiques et des conséquences potentielles.

La démarche s'avère efficace pour élaborer, valider et lancer des plans de remédiation. Elle peut également être une vraie stratégie de traitement continu de la dette IT pour viser le "zéro dette". L'approche systémique de Google, "Site Reliability Engine" qui implique un engagement fort du top management repose sur la définition de SLO (service level objective), une sorte de contrat moral entre le business et l'IT et la mesure systémique de ces SLO. Tout écart est imputé aux équipes, entrainant, à partir d’un certain seuil, un gel des évolutions pour consacrer tous les efforts sur le traitement de la dette fautive. Pour débuter ce type de démarche, il faut avoir en tête les deux piliers d’une stratégie "zéro dette" : la gouvernance et la mesure. En plus d’une mesure continue, une solide gouvernance de la dette IT doit être mise en place et combiner une gouvernance centrale avec un maillage de référents dans chacun des projets. Elle permettra ainsi d’assurer la fluidité de la communication et de la prise de décision. Un contre-pouvoir dans les choix technologiques face aux relatives priorités business et l’aménagement d’un temps régulier consacré à son traitement sont essentiels.

Des solutions pour simplifier le traitement de cette dette ont également émergé au sein des entreprises ayant une stratégie "zéro dette" éprouvée. Grâce aux patterns d’architecture modernes, notamment les architectures modulaires (microservices, conteneurs, etc.), découplées (API, évènements, etc.) et automatisées (cloud, observabilité, etc.), la dette se réduit par le biais d’une segmentation en petites unités, plus simples à visualiser et à traiter au fil de l'eau.

Pour réduire voire atteindre le "zéro dette", réconcilier les problématiques techniques avec les enjeux du business est primordial et c'est tout l'art des architectes d'entreprise et de leur expérience du terrain. Le métier d’architecte d’entreprise a d’ailleurs fortement évolué ces dernières années pour couvrir un spectre complet du métier à la technologie, jongler entre les approches top-down et bottom-up et construire des points de vue percutants adaptés à chaque type d’interlocuteur. C’est finalement le maillon qui manquait pour pouvoir traiter efficacement la dette IT.