Cameron Adams (cofondateur de Canva) "Canva veut aider ses utilisateurs à concrétiser leurs idées facilement grâce à l'IA"

Cofondateur et chief product officer de Canva, Cameron Adams explique au JDN le futur de l'outil de design graphique en ligne boosté à l'intelligence artificielle.

JDN. En mars dernier, lors de l'événement Create organisé par Canva, la plateforme a annoncé le lancement d'une trentaine de nouvelles fonctionnalités d'IA. Comment l'expérience utilisateur va-t-elle évoluer ?

Cameron Adams est cofondateur et chief product officer de Canva. © Canva

Cameron Adams. Toutes les fonctionnalités annoncées lors de l'événement Create sont en réalité le fruit de nombreuses années de travail. Bien que l'IA soit devenue un terme à la mode ces derniers mois, c'est un domaine dans lequel nous investissons depuis 2015. À l'époque, nous utilisions l'apprentissage automatique essentiellement pour améliorer l'expérience des utilisateurs de manière invisible. Par exemple, afin de personnaliser les recommandations de modèles sur la page d'accueil ou pour proposer le contenu le plus adapté en fonction de votre profil d'utilisateur. Aujourd'hui, l'IA générative, qui est une forme d'IA très spécifique, permet d'aller plus loin, notamment pour stimuler l'imagination. Les utilisateurs peuvent désormais interagir avec l'IA et visualiser concrètement ses résultats. Nous voulons que l'IA soit présente et intégrée à l'ensemble de l'expérience sur Canva.

Parmi ces fonctionnalités, on peut citer Magic Design, Magic Translate, Magic Eraser, etc. Quels sont les principaux cas d'usage ?

Nous avons réfléchi à la manière dont l'IA pourrait aider nos utilisateurs à être plus efficaces, plus rapides et à produire des contenus de meilleure qualité. Avec Magic Edit, n'importe qui peut désormais retoucher une photo de manière très simple. Vous pouvez par exemple demander à Canva de remplacer un gâteau posé sur une table par un bouquet de fleurs, d'ajouter un chapeau sur votre tête ou de retirer une personne dans une photo de groupe. Bref, les possibilités sont infinies. La technologie derrière la fonctionnalité "Magic Edit" d'ailleurs issue de l'acquisition d'une startup européenne appelée Kaleido. Avec Magic Write, il est possible d'obtenir des suggestions lors de la rédaction de texte, par exemple pour améliorer la structure d'un article, la formulation de certains paragraphes ou bien pour approfondir certaines idées.

Comptez-vous sur les développeurs tiers pour enrichir encore davantage les applications disponibles sur Canva, notamment dans l'IA ?

Nous avons réalisé plusieurs annonces concernant notre écosystème de développeurs à l'occasion de notre événement baptisé Canva Extend. Nous avons notamment présenté un nouveau kit de développement logiciel et API permettant d'effectuer plus facilement des intégrations avec Canva. Un grand nombre de startups, notamment dans le domaine IA, se sont montrées très enthousiastes. Faciliter les intégrations avec des outils tiers fait partie aujourd'hui de nos grandes priorités.

Canva est de plus en plus utilisé dans les entreprises. Quels sont aujourd'hui les profils de vos clients ?

Pendant les premières années d'existence, la plupart des utilisateurs de Canva étaient majoritairement des utilisateurs individuels. Au cours des dernières années, nous avons constaté une forte augmentation de l'usage en entreprises. Cette tendance s'est accélérée depuis le début de la pandémie où nous avons observé une hausse du travail collaboratif en ligne, s'expliquant par le changement radical des méthodes de travail avec le développement du travail à distance. Il y a aujourd'hui une forte demande des entreprises pour produire des contenus plus engageants, également pour leurs supports de communication interne.

La croissance du côté des entreprises de plus de 500 employés a été spectaculaire et a plus que doublé au cours de la dernière année uniquement. Amazon, Salesforce, FedEx, Rolls Royce ou encore L'Oréal ont ainsi adopté notre plateforme. Ce segment sera l'un des grands leviers de croissance pour Canva au cours des prochaines années.

En février 2022 Canva a fait l'acquisition de Flourish spécialisée dans la visualisation de données interactives. Est-ce un pas supplémentaire pour séduire les grandes entreprises ?

L'acquisition de la startup londonienne Flourish a effectivement été réalisée en pensant aux entreprises. Cette société disposait d'une importante expertise dans la datavisualisation permettant de présenter des données à travers des graphiques interactifs, des cartes et autres contenus engageants. Maîtriser la datavisualisation est devenu une compétence essentielle aujourd'hui en entreprises et nous voulons simplifier son usage. De ce point de vue-là, la technologie développée par Flourish s'intégrait parfaitement avec notre stratégie.

Quelle relation entretenez-vous avec les designers professionnels, qui peuvent voir dans la croissance de Canva une menace pour leurs emplois ?

Lorsque nous avons lancé Canva en 2013, nous voulions démocratiser l'accès au design et étions assez préoccupés par la réaction des designers. Mais, il s'est avéré que nos inquiétudes n'étaient pas fondées. Canva a en réalité permis à des personnes qui ne collaboraient pas avec des designers d'exprimer toute leur créativité grâce à un outil simple. Canva ne menace pas l'activité des designers, car beaucoup de nos utilisateurs n'auraient probablement jamais sollicité l'aide d'un designer pour réaliser le type de créations qu'ils font sur notre plateforme. 

Parallèlement, Canva a surtout réussi à faciliter les conversations entre les designers et leurs clients. Ce que nous observons dans les grandes entreprises qui ont adopté Canva est que leurs équipes prennent désormais conscience de l'importance de créer des contenus engageants et uniformes qui respectent les couleurs, la charte graphique et le message de la marque. En conclusion, je pense que nous avons aujourd'hui de bonnes relations avec les designers.

Pensez-vous que Canva puisse devenir, à terme, un concurrent aux outils professionnels que sont Photoshop ou Illustrator, alors qu'Adobe et Microsoft ont aussi créé des outils pour les non designers avec Adobe Express et Microsoft Designer ?

Je ne le crois pas. Il y a toujours un travail de précision qu'il est possible d'effectuer sur Photoshop, Illustrator ou d'autres logiciels similaires que nous ne cherchons pas à concurrencer. Notre mission est précisément de s'adresser aux personnes qui n'ont pas les compétences pour créer des visuels avec ce type de logiciels plus complexes à prendre en main. Il y a de la place pour tout le monde dans cet écosystème. Les designers professionnels peuvent par exemple créer des visuels avec ce type d'outils sophistiqués, pour ensuite les intégrer dans Canva afin de permettre à d'autres de les réutiliser.

Quelle est la feuille de route de Canva pour les années à venir ?

Canva compte actuellement 135 millions d'utilisateurs. Dépasser le milliard d'utilisateurs est le prochain grand objectif que nous nous sommes fixés. Peut-être que nous y parviendrons dans les trois ou quatre prochaines années, qui sait ? Pour cela, il faudra continuer à développer la notoriété de la plateforme en poursuivant notre expansion à l'international. Le fait d'avoir démarré en Australie a été un véritable atout car nous avons tout de suite orienté notre stratégie à une échelle mondiale. En 2016, nous avons lancé un grand projet d'internationalisation qui a permis à Canva d'être disponible dans plus de 100 langues, en proposant du contenu localisé pour les pays du monde entier, ce qui a alimenté une croissance importante dans des pays comme le Brésil, l'Indonésie, l'Inde, mais aussi en Europe. Nous allons aussi continuer d'intégrer l'IA dans l'expérience.

De quelle manière ?

Au cours des dix prochaines années, nous voulons continuer d'aider nos utilisateurs à concrétiser leurs idées facilement. Je suis convaincu que l'IA devrait permettre d'améliorer encore davantage l'expérience en la rendant plus simple, rapide et efficace. Par exemple en permettant de convertir facilement un document texte en une présentation, ou encore en transformant une présentation business en un site Web, en une vidéo marketing, voire même en T-shirt !

Après l'acquisition de Kaleido et Smartmockups en 2021, suivie par Flourish en 2022, envisagez-vous de nouvelles acquisitions, notamment dans le domaine de l'IA ? Une levée de fonds ou entrée en bourse est-elle à l'étude ?

L'entreprise a été rentable sur les six dernières années et nous ne sommes donc pas à court de financement. Nous avons levé des fonds au cours des dix dernières années principalement pour réaliser certaines initiatives stratégiques.  Nous restons toujours à l'affût de potentielles acquisitions, notamment dans le secteur de l'IA, et nous discutons en permanence avec de nombreuses entreprises. Pour autant, parvenir à finaliser une acquisition est toujours compliqué. Il faut réussir à trouver une convergence sur de nombreux aspects, à savoir partager une même vision, culture, ambition, etc. Il faut ensuite que la technologie soit compatible avec la nôtre.

Enfin, il faut aussi tenir compte de l'aspect géographique, car nous ne voulons pas avoir des équipes éparpillées dans des centaines de pays à travers le monde avec trop de fuseaux horaires différents. Jusqu'à présent, nous avons réalisé sept acquisitions. Toutes ont toutes été extrêmement réussies et presque tous les collaborateurs issus de ces acquisitions sont encore chez Canva.

Cameron Adams est le cofondateur et chief product officer de Canva, une plateforme en ligne collaborative dédiée à la conception graphique, ayant pour mission de démocratiser le design. Avant de rejoindre Canva, Cameron avait créé une société de conseil en design. Il rejoint ensuite les rangs de Google où il collabore étroitement avec Lars et Jens Rasmussen, co-fondateurs de Google Maps, pour développer le design de Google Wave. Il participe ensuite à la création de la start-up de messagerie Fluent, avant de faire la rencontre de Mélanie Perkins et de Cliff Obrecht avec qui ils s'associent pour créer Canva.