Cognition sociales, Représentations et prise de la décision
La perception de la réalité « est façonnée par un nombre de structures cognitives qui s’apparentent à un prisme : un ensemble établit de valeurs, de suppositions et de croyances qui résultent de l’expérience d’une vie… Ces prismes déterminent ce que les dirigeants perçoivent, ce qu’ils négligent et la façon dont ils interprètent leurs perceptions».
La perception de la réalité "est façonnée par un nombre de structures cognitives qui s'apparentent à un prisme : un ensemble établit de valeurs, de suppositions et de croyances qui résultent de l'expérience d'une vie... Ces prismes déterminent ce que les dirigeants perçoivent, ce qu'ils négligent et la façon dont ils interprètent leurs perceptions". Selon Dan Sperber (1996), chaque membre du groupe a dans son cerveau des millions de représentations mentales, les unes éphémères, les autres conservées dans la mémoire à long terme et constituant le "savoir" de l'individu. Parmi les représentations mentales certaines -une très petite proportion- sont communiquées, c'est-à-dire amènent leur utilisateur à produire une représentation publique qui à son tour amène un autre individu à construire une représentation mentale de son contenu semblable à la représentation initiale.1. Univers de croyances et cognitions sociales
Le comportement social doit être envisagé comme un ensemble cognitif, équilibré et cohérent, et non pas, comme le prétend la théorie béhavioriste, comme la résultante d'une succession de réactions à des stimuli plus ou moins indépendants les uns des autres. Le sujet est conçu ici comme doté d'une capacité réflexive, qui lui permet d'attribuer des valeurs, de percevoir et d'évaluer les relations entre composantes cognitives, d'opérer des regroupements ou des sériations, d'attribuer des significations à ces éléments et aux relations qu'ils entretiennent.
Le processus qui autorise cette organisation est celui de l'attribution, qui permet de donner sens à un évènement et d'élaborer par inférence, de nouvelles cognitions. L'attribution consiste à émettre un jugement, à inférer une intuition, une qualité, un sentiment. C'est le processus par lequel "l'homme appréhende la réalité et peut la prédire et la maîtriser". Il permet de concevoir l'environnement comme quelque chose de stable et de cohérent, d'attribuer des causes à des évènements (donc des significations) et de créer des représentations de cet univers. De sa part, le processus de catégorisation vise l'orientation de l'action du sujet, à partir d'une systématisation de l'environnement organisé en items, qui sont eux-mêmes regroupés en catégories auxquelles sont associés de valeurs évaluatives ou connotatives (bon, mauvais...) et ce en se référant à des mécanismes tels que les scénarios, les prototypes et les schémas mentaux.
Les scénarios portent sur la représentation d'une séquence stéréotypée d'évènements, ils permettent donc, dans des situations données, de définir et d'anticiper les relations, d'inférer ce qu'il peut y avoir d'implicite dans cette situation d'interpréter les évènements qui s'y déroulent. Le modèle prototypique s'intéresse aux structures et processus cognitifs internes que l'individu mobilise pour réduire la complexité du monde sociale et l'ordonner. Pour cela, il propose d'utiliser le concept de prototype défini comme "un ensemble abstrait de traits généralement associés aux membres d'une catégorie, où chaque trait est pondérée par son degré d'association à la catégorie".
2. Les représentations sociales
Les représentations sociales sont des éléments fondamentaux de la pensée humaine. Elles prennent la forme d'une machinerie cognitive veillant à reconstruire la réalité et lui donner un sens, à produire et développer un savoir social dictant le genre d'interactions interindividuelles et intragroupes. A travers ce processus, l'individu confronté à un afflux informationnel massif, procède à des opérations de simplification, de transformation et d'interprétation de ces informations et se les réapproprie sous cette nouvelle forme pour pouvoir communiquer et agir en société.
D'après Denise Jodelet, la représentation "est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social)." La représentation est définie comme étant une vision fonctionnelle du monde permettant à l'individu d'attribuer du sens à ses démarches et aux données perçues de son environnement et de comprendre la réalité qui s'y rattache en faisant référence à son système cognitif pour avancer les interprétations appropriées afin de pouvoir s'adapter à cet environnement et de s'y définir une place.
Selon Serge Moscovici, la représentation se présente comme étant un bloc organisé d'avis, d'attitudes, de conduites et de croyances se rattachant à une situation ou à un contexte donné que le sujet aborde avec tout un ensemble de préconstruits culturels, de systèmes de pensées préétablies et de schémas interprétatifs. De ce fait, la réalité perçue n'est autre qu'une réalité représentée, appropriée, structurée et transformée. C'est ce qu'Abric appelle "vision fonctionnelle" du monde que se construit le sujet en référence à ses observations et des expériences antérieures et à des rapports qu'il entretient avec les autres et les objets.
Pour Moscovici les représentations sociales reflètent le milieu propre à l'individu et au groupe : auteurs de ces représentations. Quant aux circonstances et contextes de production de telles représentations, contrairement à la thèse ancienne selon laquelle l'individu naîtrait vide de tout contenu mental et son identité ne serait déterminée que par les évènements qui lui arrivent à partir de sa naissance (théorie de la Tabula rasa), Moscovici affirme que l'enfant dans le ventre de sa maman reçoit des influences de toutes sortes.
Quand le décideur se voit confronté à une situation de choix décisionnel, il se réfère à sa base mnésique et y reconnaît un des cas déjà rencontré et déclenche la décision adaptée à ce cas. Si nous restons dans le cas simple de la table de décision, les problèmes qui se posent sont purement "représentationnels", c'est-à-dire qu'il faut avoir un langage ou une représentation assez évolués qui permette de capturer la richesse de chaque cas et qui autorise un appariement ("pattern matching") facile.
Le dirigeant pratiquerait ses activités décisionnelles en se référant aux différentes valeurs organisationnelles qu'il aurait appris par sa formation et son expérience certes, mais aussi, et quelque part inconsciemment au fond de lui même, en se référant aux valeurs, aux représentations, et aux croyances qu'il aurait acquis par son entourage, sa famille, par l'éducation qu'il aurait reçu et les circonstances qui auraient forgé sa personnalité, ses besoins et ses buts dans la vie. C'est ainsi que la religion par exemple, par les principes sociologiques et l'éthique qu'elle incarne et qui se transmettent dès la jeunesse, de même que le degré d'engagement de la personne, pourrait influencer le comportement des dirigeants, notamment en matière de décision dans certaines situations.