Quelle stratégie pour garder l'open source vraiment "open" ?

Les forces qui façonnent la communauté open source connaissent actuellement une mutation. En 2018, les grandes plates-formes Internet et de grandes entreprises ont non seulement adopté des logiciels open source, mais aussi rendu public leur propre code, conformément à l’esprit de collaboration propre au logiciel libre.

Certaines fusions-acquisitions ont chamboulé le secteur. L'acquisition de GitHub par Microsoft pour 7,5 milliards de dollars, l’acquisition de Mulesoft par SalesForce pour 6,5 milliards de dollars et le rachat de Red Hat par IBM pour 34 milliards de dollars figurent parmi les plus importantes acquisitions de l'histoire du secteur informatique.

Cependant, à mesure que de plus en plus de projets open source sont intégrés au sein d’applications métier rentables, de nouvelles tendances émergent dans le domaine. Des sociétés puissantes poursuivant leurs objectifs marketing monétisent ce qui devrait être librement disponible, ce qui incite les fournisseurs de logiciel open source à protéger leur code. Ce faisant, ils limitent la possibilité pour les entreprises d’enrichir, de contrôler et de contribuer aux projets, créant ainsi un cercle vicieux. Amazon a par exemple tiré profit du logiciel de Redis Labs sans contrepartie pour la communauté open source. En réaction, Redis Labs a créé une nouvelle licence logicielle imposant des restrictions claires sur ce qu’il est possible de faire avec son logiciel, et ce qui ne l’est pas.

Avec de tels changements de posture dans ce domaine, l'open source doit-il vraiment rester « open » ? D’un côté, la naissance d'associations comme la Continuous Delivery Foundation démontre clairement que parmi les membres de la communauté, certains veulent maintenir cette façon de travailler, d’œuvrer et de collaborer pour le bien commun et qui entendent bien défendre les libertés des développeurs. Pourtant, de l'autre côté, la question se pose : dans la mesure où les entreprises imposent des restrictions sur leurs logiciels pour protéger leurs communautés, l’open source est-il encore vraiment « open » ? Faut-il même laisser ces entreprises imposer des restrictions ? Qui a l’autorité de prendre une telle décision ?

Le carcan de la réglementation : une privatisation de l'open source

Tandis que de plus en plus d'entreprises utilisent la vente de services de support et de services professionnels complémentaires pour monétiser l'open source, des acteurs d’envergure du secteur des nouvelles technologies font leur entrée sur scène.

Bien que l'intérêt de ces géants de la technologie témoigne des avantages de l'open source, ils peuvent aussi générer un changement culturel plus large au sein de la communauté open source. Au fur et à mesure que de plus en plus d'entreprises monétisent et reprennent les logiciels open source, cette évolution remet en question les valeurs fondamentales sur lesquelles ces logiciels ont été fondés. Au lieu de défendre la liberté pour tout développeur de modifier, d'améliorer et de perfectionner le code source, ces acquisitions monétisent les projets open source sans contrepartie pour les développeurs, créant ainsi des silos et des ruptures dans la communauté open source.

Prenons, par exemple, la bataille entre Amazon et Elasticsearch. Suite à l'intégration par Amazon Web Services du code et des fonctionnalités de recherche d'Elasticsearch dans ses propres services informatiques, Elastic a commencé à réglementer la façon dont son code était partagé. Il a ainsi été décidé que la gamme complète de produits ne pourrait être utilisée sans paiement et le code ne pourrait être partagé de manière ouverte. Ce type d'évolution du marché, de plus en plus courant, est sur le point de remodeler et redéfinir les valeurs sur lesquelles l'open source s'est construit. Des fournisseurs tels que MongoDB, Redis Labs et Confluent ont suivi l'exemple d'Elastic et se sont tous tournés vers des accords de licence plus restrictifs. Si de plus en plus de fournisseurs open source continuent de rigidifier le cadre d’utilisation de leur code et d'en limiter l'usage, les divisions au sein de la communauté s’intensifieront, transformant irrémédiablement l’avenir du secteur logiciel.

Laisser l'open source « open »

Les avantages de garder l'open source « open » l'emportent de loin sur ses inconvénients. Lorsque les développeurs de toutes formations et expériences peuvent revoir et modifier du code, il ne cesse d’être amélioré, ce qui permet à l'ensemble de l'industrie de bénéficier de l'innovation, d'une meilleure sécurité et d'une saine concurrence. De plus, l’open source donne aux développeurs une meilleure mobilité. Avec des logiciels open source, les développeurs sont libres de se former et de travailler dans le langage de codage de leur choix. Ces langages de codage non propriétaires deviennent ainsi de plus en plus populaires et demandés, ce qui donne aux développeurs une certaine flexibilité dans leur travail et leur carrière.

Les plates-formes open source - en particulier celles qui demeurent fidèles aux racines de l’open source - sont si précieuses qu'elles peuvent attirer des hordes de capital-risque, même s'il n'y a aucune perspective immédiate de rendement monétaire. Selon Jocelyn Goldfeint, associée au sein du fonds de capital-risque Zetta, « Il y a probablement au moins deux douzaines de fonds de capital-risque qui investissent beaucoup dans l'open source en ce moment. » De nos jours, la question par défaut n'est pas de savoir pourquoi une plate-forme serait open source, mais plutôt pourquoi elle ne le serait pas. Ce changement d'état d'esprit des investisseurs devrait signaler aux fournisseurs que l'open source ne devrait pas être considéré comme un modèle économique de monétisation, mais plutôt comme un modèle de développement logiciel, qui ne prospère qu’au sein de la communauté de ses utilisateurs.

Des initiatives, telles que la Continuous Delivery Foundation, consacrées au développement de projets open source renvoient l’ascenseur aux communautés qui les soutiennent afin de préserver les fondements véritables de l’open source. Elles garantissent que l'open source reste libre d'utilisation et accessible à tous, facilitant en fin de compte une innovation à grande échelle, qui ne peut être égalée par les titans de la technologie et leurs philosophies logicielles reposant sur l’exclusivité et la propriété. Jenkins, par exemple, n'aurait pas connu son grand succès sans le soutien de la communauté open source. Grâce à l’ouverture du code, la communauté a pu créer plus de 1 500 plugins pour Jenkins, ce qui a permis d’en accélérer l’adoption.

L’avenir de l’open source

Dans le domaine de l’open source, deux tendances se matérialisent. D'une part, il y a les fournisseurs qui, dans l'intérêt de la concurrence, imposent des règlements et des limites sur la façon dont leur code peut être utilisé. D'autre part, il y a ceux qui restent fidèles aux principes fondateurs de l'open source et continuent à partager librement leurs logiciels.

L'adoption des logiciels open source continuera d'augmenter. Les fournisseurs open source - et les communautés qui les soutiennent - devront s’engager dans ce débat qui décidera de l'avenir de ce secteur. Seul le temps nous dira quelle tendance prévaudra. Ceci dit, il est certain que l’open source n’aurait jamais connu un tel succès s’il ne reposait pas sur des principes éthiques, forts de partage et de réciprocité.

L'ancien modèle d'affaires open source, bien qu'il soit clairement commercialement viable, est officiellement terminé. Le futur modèle est désormais soit Open Core, soit SaaS. Pour assurer l’avenir de l’open source, il faut investir massivement dans ces deux approches tout en contribuant activement à l'écosystème de l'open source.