L'adaptive learning automatise la création de formations... personnalisées
Une prouesse rendue possible par le big data, les sciences cognitives et les algorithmes. La technologie n'en est qu'à ses débuts mais est prometteuse.
Vous êtes inscrit à un Mooc avec de nombreuses vidéos et une vaste introduction qui contextualise le sujet. Votre collègue suit la même formation. Mais lui fait face à de la datavisualisation ainsi qu'à des indices et des messages d'encouragements de la part d'un avatar. Est-ce lié à un dysfonctionnement ? Pas du tout, il s'agit d'une formation en adaptive learning, une technologie qui en est à ses premiers balbutiements dans le monde de la formation professionnelle.
"L'adaptive learning est une méthode d'apprentissage digitale qui a pour particularité de s'adapter au profil de l'apprenant. Ainsi, chacun peut avoir une formation individualisée qui correspond exactement à ses besoins. Il faut pour cela se baser sur le big data, les sciences cognitives et la maîtrise de savants algorithmes", explique Anthony Hié, directeur des systèmes de l'information et du numérique à l'institut catholique de Paris.
La méthode d'apprentissage digitale s'adapte au profil de l'apprenant
Depuis un an, les Mooc au format adaptive learning commencent à se propager dans le milieu de la formation professionnelle. Mais rares sont les acteurs qui maîtrisent cette technologie. Domoscio, start-up de cinq salariés spécialisée dans les solutions d'apprentissage adaptif, fait partie de ces privilégiés. "Nous avons commencé à déployer de l'adaptive learning lors d'une collaboration avec France Université Numérique (FUN) dans un Mooc sur les migrations. Plus précisément, nous avons mis en place de l'adaptive learning dans le parcours de révision", explique Ivan Ostrowicz, directeur de Domoscio, qui a transformé l'essai en s'attaquant aux Cooc (des Mooc conçus sur mesure pour les entreprises) : "Nous avons poursuivi l'aventure avec la formation interne des collaborateurs de Castorama et de la Banque de France", reprend le dirigeant qui reviendra sur ces cas pratiques lors de la journée RH et Transformation Digitale. Cet événement, dont le JDN est partenaire aura lieu le 17 novembre 2016 à la maison Champs Elysées.
Castorama et la banque de France ont adopté l'adaptive learning
Mais concrètement, à quoi ressemblent des formations en adaptive learning ? "Ce sont des formations où l'on tient compte de ce que nous appelons les états d'âme de l'apprenant. Grâce à nos algorithmes maison, nous voyons par exemple, en nous basant sur le taux de clic ou le taux de rebond, si l'apprenant est distrait, bloqué ou énervé". En fonction de ces "états d'âmes", l'apprenant se voit proposer une pause, un indice, un avatar qui l'encourage. Domoscio étudie aussi la possibilité de mettre en place des chatbots qui peuvent entrer en interaction avec l'apprenant.
Il est même techniquement possible d'aller plus loin : "Si l'algorithme constate qu'un apprenant est plus à l'aise avec une vidéo en début de module, il recevra des vidéos en début de module tandis que son collègue à la mémoire plus visuelle pourra télécharger le script en format PDF", explique Anthony Hié. Autre preuve d'ultra personnalisation, si l'algorithme constate que la réponse aux deux premières questions est mauvaise, la troisième sera simplifiée et un module sur-mesure permettra de se réapproprier les bases.
Evidemment, cela représente beaucoup de travail en termes de conception. Mais à en croire Ivan Ostrowicz, le jeu en vaut la chandelle : "Nos KPI montrent clairement une amélioration de l'engagement, de la satisfaction et du pourcentage d'apprenants certifiés".
Vers une généralisation ?
Si l'adaptive learning a tous les atouts pour conquérir les apprenants et les services RH, force est de constater qu'il est aujourd'hui très rarement utilisé. Selon les principaux concepteurs de Mooc, plusieurs freins ralentissent pour le moment son expansion. "Il ne faut pas se voiler la face. Actuellement, une formation 100% adaptative learning est techniquement faisable mais coûte très cher à mettre en place", estime Frédérick Benichou co-fondateur de Coorpacademy, un des leaders du Mooc francophone. "Il faut des compétences spécifiques en data analyse, en maîtrise du big data ou encore en ingénierie pédagogique, ce qui est onéreux", poursuit-il.
Jérémie Sicsic, à la tête de Unow, un des principaux concurrents de Coorpacademy, est sur la même longueur d'onde : "Dans l'idéal, avec l'adaptative learning, l'apprenant qui préfère la data visualisation doit avoir de la data visualisation, celui qui accroche avec le format vidéo doit avoir de la vidéo et celui qui préfère le texte en début de formation doit avoir du texte en début de formation. Cela nécessite de multiplier les formats… et donc d'augmenter les coûts".
Face à cette nouvelle forme d'apprentissage, les deux dirigeants sont enthousiastes mais ont deux approches différentes. Du côté de Unow, la temporisation est de mise. "Pour l'instant, nous considérons qu'il s'agit d'une innovation de rupture qui risque de changer la formation. Mais il faut énormément d'investissement, notamment en R&D. Et parfois ceux qui ont raison trop tôt paient souvent le prix fort. A l'heure actuelle, je ne sais pas si le marché est tout à fait mûr", estime Jérémie Sicsic, qui pour le moment préfère mettre l'accent sur l'animation et le coaching, notamment via le blended learning, une technique qui selon lui assure une très belle croissance.
"L'adaptive learning fait clairement partie de notre développement futur"
Si Unow préfère rester dans une phase d'observation, son concurrent Coorpacademy se prépare à sauter dans le grand bain : "Pour le moment, nous avons testé la pratique dans une partie d'un Mooc consacré à la compliance. C'est prometteur. Récemment nous avons levé 10 millions d'euros pour maintenir notre avance technologique. Et l'adaptive learning fait partie de notre stratégie de développement futur. Nous comptons prochainement recruter des profils qui nous permettront de le déployer ", révèle Frédérick Benichou, qui n'avance pas encore de date précise.