Pourquoi le paradigme de "l'humain au travail" ne suffit pas ?
Depuis de nombreuses années, la rhétorique de "l'humain au travail" a fleuri dans les discours managériaux comme autant de chouquettes en open space le jeudi matin.
Bonheur au travail, bienveillance, humain au travail, l'entreprise n'est jamais autant parue comme espace où il faut bon vivre. Dans le même temps, les risques psychosociaux (burn-out, brown-out, bore-out, etc.) n'ont jamais été si développés. Et si la solution à ces maux professionnels n'était pas "l'humain" mais le "professionnel" ?
Dans une période marquée par l'essor du télétravail, bon nombre de managers cherchent la solution et l'équilibre pour garder leurs équipes motivées. Et cela se comprend. Dans ce contexte, la rhétorique de "l'humain au travail" connait un nouvel essor. Il faut s'entraider, s'écouter, être une grande famille ; nuançant ainsi les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle.
"L'humain" à toute berzingue
After-works, team buildings, tests de personnalités, les efforts ne manquent pas pour apporter de la bonne ambiance et bonne humeur en entreprise. C'est louable. En revanche, une telle stratégie tant à considérer les salarié.e.s comme humains et non comme professionnels avant tout. Il me semble plutôt évident que les salarié.e.s sont doté.e.s d'une humanité.
D'une part, prétendre vouloir remettre "l'humain au travail" invite d'ailleurs à se demander où était l'humain avant ? D'autre part, c'est lever les frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle. On appréciera les qualités de fidélité, de communication, d'écoute, de loyauté. C'est sans doute très encourageant mais c'est oublier que l'entreprise reste de facto le lieu du travail. Dans un sens, prôner l'humain au travail, c'est, je pense, miser sur des qualités humaines qui sont inhérentes aux individus ; ce qui n'a pas de grande valeur ajoutée.
Cela peut même, dans certains cas, avoir des incidences plus pernicieuses. Prôner l'humain au travail, d'une certaine manière, c'est rendre le travail humain. C'est dans doute appréciable. En revanche, cela peut aussi sous-entendre que la sphère du travail s'étend à la sphère personnelle. Dans ce cas, c'est se risquer à perdre la frontière entre ces sphères et exposer les salarié.e.s aux risques psychosociaux. Par exemple, on préférera miser sur "l'adaptation" d'un.e salarié.e que lui proposer un plan de formation où il pourra compléter les compétences indispensables à son poste. Ca revient à laisser sauter quelqu'un d'un avion en espérant qu'il sache se faire un parachute.
Revaloriser le professionnalisme
Un tel enthousiasme pour "l'humain" me semble dommageable dans la mesure où il occulte tout l'aspect professionnel (compétences, expériences, expertises, etc.) ; ce semble être la base d'un projet d'entreprise. Dans ce contexte marqué la crise, l'essor du télétravail est une opportunité pour repenser ce modèle. En effet, le télétravail nécessite de la confiance et de l'écoute mutuelle. On notera ici qu'il s'agit évidemment de qualités humaines, j'en conviens. En revanche, mon point est de préciser que ces qualités se fondent sur des compétences et expertises qui doivent être reconnues.
Plus que "l'humain", le professionnel est la clé pour sortir de cette crise par le haut. Reconnaitre les compétences et expertises de chacun et chacune est le pré-requis pour construire et accompagner un projet d'entreprise. C'est d'ailleurs ce que suggère Danièle Linhart dans son livre "La comédie humaine au travail". Remettre du professionnel, c'est aussi mieux marquer les frontières entre la vie professionnelle et personnelle. On peut penser que cela est donc une piste pour freiner le développement des risques psychosociaux et incarner une stratégie de qualité de vie au travail. Bref, dans le professionnel, l'humain, c'est bien ; le professionnel, c'est mieux. A vous les pro !