François Momboisse (Fevad) "Sur la fiscalité des Gafa, la France doit agir de manière unilatérale"

Données personnelles, digitalisation des petits commerces, économie collaborative… Que ferait le président de la Fevad s'il dirigeait la France ?

JDN. Vous président, que feriez-vous pour développer l'e-commerce ?

François Momboisse, président de la Fevad. © S. de P. Fevad

François Momboisse. Je ne ferais surtout rien ! Dès qu'émergent des velléités politiques ou législatives concernant ce secteur, c'est pour l'entraver. L'e-commerce se développe tout seul, c'est un mouvement de fond partout dans le monde, à la grande satisfaction des consommateurs. Il faut le laisser tranquille.

Existe-t-il néanmoins des sujets sur lesquels les pouvoirs publics doivent réfléchir ?

Beaucoup de choses ont déjà été faites en matière de financement des start-up, donc il n'y a rien d'indispensable sur ce plan-là. Je pense surtout à la fiscalité des GAFA et à la logistique urbaine. Il faut réfléchir avec les municipalités à l'organisation des centres villes, comme le fait la Fevad avec la commission logistique de la ville de Paris. La fréquentation des magasins décline et les livraisons individuelles augmentent au fur et à mesure que l'e-commerce prend des parts de marché. Il faut donc adapter les centres villes à ce phénomène. D'autant qu'on l'a revu récemment avec l'ouverture de Paris Rives de Seine, les centres deviennent de plus en plus piétons. L'e-commerce aussi encourage les gens à ne plus avoir de voiture, mais il devient de plus en plus difficile de livrer, qui plus est des articles lourds ou encombrants. Où vont se mettre les camions de livraison ? Dans certaines villes, cela pose déjà problème.

Côté fiscalité, quel devrait être l'objectif ?

Ne pas avoir de ruptures de fiscalité entre le click&collect et la livraison à domicile. Tous les réseaux de magasins possèdent aujourd'hui un site marchand et encouragent le web-to-store comme le store-to-web. Donc tout ce qui est harmonisation fiscale est le bienvenu, car opérer une activité omnicanale est encore trop complexe.

Quid d'Amazon ?

Rappelons d'abord qu'Amazon respecte toutes les lois. Il ne fait que profiter des "trous dans la raquette" de la législation. Ce qui lui permet de ne pas payer beaucoup d'impôt sur les sociétés puisqu'il déclare son activité et donc ses bénéfices au Luxembourg, où le taux d'imposition est bien inférieur.

Or les impôts qu'il paie doivent être les mêmes que pour ses concurrents français : il faut une égalité fiscale entre tous les acteurs. L'OCDE et l'Union européenne travaillent sur cette question pour sortir de la logique de l'imposition dans le pays du siège social et aller vers une imposition dans le pays où l'activité est réalisée. Certains pays reconstituent l'activité réalisée chez eux et extrapolent les bénéfices. En France, le gouvernement pourrait donner un coup de pouce, comme au Royaume-Uni face à Starbucks. Car soit on ne fait rien en attendant que l'UE et l'OCDE se prononcent, et cela peut prendre très longtemps. Soit on agit de manière unilatérale, ce qui, sur cette question, me paraît préférable. Ce n'est pas très légal, mais cela ferait gagner beaucoup de temps. Or les GAFA, eux, ne vont pas attendre. Et après, pour les déloger, il sera trop tard, sauf peut-être pour quelques très gros acteurs chinois.

"Il faut encourager l'économie collaborative plutôt que s'en méfier"

Quelles mesures prendriez-vous en matière de données personnelles ?

Surtout aucune, car le règlement européen arrive. Il faut éviter ce qui a été fait avec quelques articles de la loi Lemaire, qui seront contredits 18 mois après, le 1er mai 2018, à l'arrivée du texte européen.

On devrait attendre l'Europe pour les données personnelles, mais pas pour la fiscalité. Vous conseillez de choisir ce qui nous arrange, selon les cas ?

Tout à fait, nous devrions faire nous-mêmes notre marché dans ce que prévoit l'UE. En particulier quand on voit que la situation ne bouge pas. Et concernant la fiscalité des acteurs basés à l'étranger, une prise de conscience s'est certes produite, mais c'est tout.

Comment encourager le retail français à se digitaliser ?

Les gros retailers le font déjà, donc ce sont les petits commerces, les indépendants, qu'on doit aider. A Londres, toutes les vitrines affichent une url. C'est loin d'être le cas ici. Sauf que créer un site marchand est facile, il y en a 200 000 actifs en France. Mais trouver de la visibilité, notamment sur Google, c'est une autre paire de manche. Quand vous n'avez pas la force d'une enseigne, il est très compliqué d'émerger. Les bonnes idées ont déjà été eues et les verticaux sont déjà occupés. Pourtant, même le charcutier du quartier doit avoir une présence en ligne. Une simple animation sur Facebook peut suffire, ou une page qui regroupe les commerçants de la rue ou du village, et sur laquelle ils organiseraient des événements comme les bonnes vieilles quinzaines commerciales… En outre, les formats de proximité aux horaires étendus comme Carrefour Express et Monop se développent beaucoup et viennent aussi concurrencer les petits commerces. Raison de plus pour eux d'aller chercher en ligne du trafic pour leur magasin et de trouver une nouvelle manière d'interagir avec les consommateurs.

C'est d'ailleurs l'une des missions de la Commission de concertation du commerce lancée en avril par le ministère du Commerce, et dont la section à laquelle je participe travaille sur les mutations du commerce et les nouveaux usages clients, notamment liés au numérique. Il y a déjà des "managers" qui travaillent localement, discutent avec la mairie des questions de voierie… Les banques et les CCI aussi peuvent être mises à contribution.

Et concernant l'économie collaborative : faut-il l'encourager, mieux l'encadrer ?

C'est une énorme tendance de fond. Il faut l'encourager plutôt que s'en méfier : son développement répond à une attente des consommateurs en matière de pouvoir d'achat. Mais il faut aussi s'assurer que la concurrence est saine. Permettre le vrai collaboratif de type Blablacar, mais pas le faux comme celui des gens qui achètent un studio, ne l'occupent jamais, le louent 100% du temps sur Airbnb et contribuent à l'envolée des loyers et des prix de l'immobilier. Or comme tout cela bouge très vite, la loi ne suivrait pas le tempo. Il faut donc bien regarder ce qui se passe, notamment à l'étranger, et co-réguler.