Eric Bernidis (Uber Freight) "Le transport routier est plus important que le transport de passagers"

Le directeur produit de la division transports de marchandises du VTC américain revient sur le développement de cette nouvelle activité, un an après son lancement.

Quel est le concept d'Uber Freight ?

Eric Bernidis est directeur produit pour Uber Freight. © Uber

De la même manière qu'Uber connecte des chauffeurs privés avec des passagers, nous connectons des expéditeurs de marchandises avec des transporteurs routiers. Nous faisons ici le même métier que les courtiers de fret. Le plus souvent, une fois que ces sociétés se sont vues confiées une cargaison par un expéditeur, elles doivent passer plusieurs appels pour trouver un transporteur, ce qui nécessite en moyenne une vingtaine de coups de fil et quatre heures de travail. Uber Freight simplifie ce processus. Un chauffeur routier peut ainsi visualiser les cargaisons disponibles autour de lui et appuyer sur un bouton pour accepter une prise en charge. Nous avons officiellement annoncé Uber Freight en mai 2017 en démarrant par le Texas. Depuis mai 2018, nous couvrons l'ensemble du territoire américain.

Quelle est la cible et quel est le prix moyen d'une cargaison ?

Nous visons principalement les petites entreprises du transport routier. Il est en effet plus difficile pour celles-ci de faire tourner leurs flottes de camions à plein régime car ces sociétés n'ont souvent pas de contrats de longue durée avec les gros expéditeurs. Les prix varient en fonction de la distance parcourue. Une livraison Los Angeles-New York peut coûter plusieurs milliers de dollars et une liaison Los Angeles-San Francisco quelques centaines. A noter que nous n'assurons pas encore certains types de cargaisons comme par exemple les produits chimiques, l'essence, etc. Nous voulons d'abord être certain de maîtriser parfaitement la livraison des autres types de marchandises avant de nous diversifier.

Envisagez-vous de lancer Uber Freight en Europe, et notamment en France ?

Nous savons que l'industrie du camionnage est très importante dans beaucoup de pays, notamment en Europe. Toutefois, les modes de fonctionnements varient selon les régions. Par exemple, le fret transfrontalier en Europe et en Amérique du Nord est très différent. Pour répondre à votre question, nous regardons attentivement comment cette industrie fonctionne à l'étranger mais nous n'avons pas l'objectif de nous développer à l'international pour l'instant.

"Nous n'avons pas l'objectif de nous développer à l'international pour l'instant"

Les expéditeurs souhaitent généralement travailler avec des transporteurs en qui ils ont confiance. Comment les rassurez-vous ?

Nous constatons en effet que les expéditeurs ont leurs préférences lorsqu'il s'agit de choisir un transporteur. Mais de la même manière qu'Uber a été capable d'instaurer une relation de confiance entre passagers et chauffeurs, nous voulons réaliser la même chose dans le secteur du transport routier. En commandant un chauffeur privé sur Uber, un client est sûr d'obtenir certaines garanties que ce soit au niveau de la propreté du véhicule, de l'amabilité du chauffeur, etc. Même si des exceptions peuvent parfois exister. La philosophie est identique chez Uber Freight.

Les chauffeurs routiers sont donc évalués de la même manière que les chauffeurs privés ?

Notre système d'évaluation des transporteurs est différent de celui des chauffeurs privés qui sont notés sur 5 étoiles. II nous permet d'évaluer si un transporteur est suffisamment compétent pour rester sur la plateforme. Nous regardons par exemple si le chauffeur a livré la marchandise dans les délais, si celui-ci a annulé beaucoup de cargaisons par le passé, etc. Nous analysons aussi les données fournies par les agences gouvernementales comme par exemple le score de sécurité. De cette manière, nous voulons offrir des garanties de qualité aux expéditeurs qui travaillent avec nous.

 

Avec un nombre de routiers en constante baisse aux Etats-Unis, recruter des chauffeurs semble plus compliqué qu'auparavant. Comment faites-vous pour pallier à ce problème ?

Les Etats-Unis font effectivement face à une pénurie de chauffeurs routiers. La population active est vieillissante avec une moyenne d'âge de 50-55 ans et l'industrie a beaucoup de mal à attirer les jeunes. Nous essayons donc de nous montrer attractifs, par exemple en payant les chauffeurs chaque semaine, souvent 2 jours après la livraison. Avant Uber Freight, il leur fallait patienter jusqu'à 30 à 60 jours pour être rémunérés ! Enfin, nous avons également lancé un programme baptisé "Uber Freight Plus Program" qui permet aux chauffeurs adhérents de bénéficier de réductions sur le prix de leur essence ou sur la maintenance et l'achat de leur camion. Pour bénéficier de ces avantages, l'entreprise doit réaliser au moins une cargaison par mois via notre plateforme.

Quel est le business model de la plateforme ?

Les expéditeurs peuvent soit utiliser notre plateforme en temps réel pour des besoins ponctuels, soit s'engager contractuellement à l'année pour des cargaisons régulières. Ainsi, les expéditeurs paieront le même prix à chaque livraison, peu importe le nombre de camions disponibles. Ce type de contrat leur permet d'avoir de la visibilité pour mieux gérer leur budget annuel.

"Les plus importants courtiers de fret aux US réalisent environ 15% de profits sur chaque cargaison"

Cette nouvelle branche d'Uber est-elle déjà bénéficiaire ? Pensez-vous que cette activité puisse générer une part de revenus conséquente pour l'entreprise dans les années à venir ?

Je ne peux pas divulguer d'informations sur notre rentabilité mais le business model est solide et bien rodé. Les plus importants courtiers de fret aux US - à l'image de C.H Robinson - réalisent environ 15% de profits sur chaque cargaison. Nous pensons que nous pouvons améliorer encore ce modèle dans la mesure où nous avons besoin de moins de ressources opérationnelles pour réaliser la même tâche. Enfin, l'industrie du transport routier est une industrie plus importante encore que celle du transport de passagers.

La marque Uber est-elle un atout pour vous développer dans cette industrie ?

Il s'agit là d'un énorme avantage ! La plupart des expéditeurs que nous avons contactés connaissaient déjà Uber. Certains prennent parfois un Uber le matin pour se rendre au bureau. Ils connaissent donc bien la marque et sont déjà habitués à ce concept de devoir simplement appuyer sur un bouton pour obtenir instantanément un véhicule. Du côté des chauffeurs, une bonne moitié d'entre eux connaissent Uber. A nous de convaincre l'autre moitié en présentant les avantages de notre plateforme et en leur montrant comment ils peuvent gagner plus d'argent grâce à elle.

En août 2016, Uber a fait l'acquisition d'Otto, spécialiste du camion autonome. Pensez-vous intégrer ces futurs poids-lourds autonomes à la plateforme d'Uber Freight dans les années à venir ?

A terme, il devrait bien avoir un rapprochement entre la plateforme Uber Freight et ces camions autonomes. La technologie de conduite autonome devrait très bien fonctionner sur autoroutes, où les camions parcourent beaucoup de kilomètres. Il s'agit aussi là d'une véritable opportunité pour réduire le nombre d'accidents. Toutefois, la conduite des camions sur les quais est une manœuvre généralement mieux maîtrisée par l'Homme. Celui-ci sait par exemple sur quelle voie se placer pour effectuer le déchargement. Il faut également que la cargaison passe différents contrôles de sécurité. Toutes ces tâches sont mieux exécutées par des humains.

Les poids lourds autonomes se chargeront des longues distances sur autoroutes

Les camions autonomes ne remplaceront donc pas complètement les chauffeurs routiers ?

Non, il s'agira d'un système hybride. Les chauffeurs travailleront le même nombre d'heures mais conduiront sur de plus courtes distances. Ces derniers effectueront par exemple les déplacements entre les lieux de chargement et les points de transfert. Les camions se chargeront ensuite des longues distances sur autoroutes. Ce système permettra de déplacer du fret plus efficacement, ce qui aura aussi pour conséquence de faire baisser les prix des produits pour les consommateurs.

Pensez-vous qu'Uber révolutionnera l'industrie du transport de marchandises de la même manière que l'industrie du transport de personnes ?

En rendant le système plus efficace, nous permettrons aux expéditeurs, chauffeurs et consommateurs de réaliser des économies. Malgré tout, je ne pense pas que nous assisterons à une baisse des prix comme cela pu être le cas dans le secteur des taxis par exemple, qui doivent supporter des coûts importants pour acquérir leurs licences. Cela n'est pas le cas dans l'industrie du camionnage où les dépenses du côté des chauffeurs et des expéditeurs resteront inchangées. Nous leur apportons simplement une meilleure solution pour trouver des cargaisons.