Après le Covid-19, adieu magasins ?

Comment le retail peut et doit affronter cette crise de longue durée ? Voici une analyse du parcours client et des solutions digitales simples pour retrouver une expérience client satisfaisante grâce à des outils existants.

Après le Covid-19, adieu magasins ? Pas nécessairement, mais il est grand temps de préparer l'après-confinement et de réinventer l'expérience client omnicanal. L’après-confinement nous l’avons tous compris n’aura rien de « normal » avant fort longtemps. La situation sera nuancée mais elle sera marquée par la distanciation sociale et donc par une nouvelle façon d’appréhender le commerce physique qui représente toujours 73% des ventes (Etude smart retail 2019).

Un commerce physique mis au défi

Le commerce physique souffrait depuis quelques années déjà, de la digitalisation, de changements sociaux  et comportementaux importants  (le moins d’attente possible par exemple, une bascule du temps libre du shopping vers le divertissement ). Il ne fait aucun doute que ces changements vont s’accélérer alors que la place du magasin déjà très fragile ne peut que souffrir une disruption accélérée dans cette période longue de distanciation sociale (18 à 24 mois avant un éventuel vaccin). En 2019, 47% des consommateurs déclaraient se rendre moins souvent en magasin qu’il y a 5 ans, phénomène accentué en province (50%) et chez les femmes (56%). Encore plus inquiétant, lorsqu’on lit récemment dans la presse que 92% des Français souhaitent voir se poursuivre le télétravail au-delà de la période de confinement (Harris Interactive). On peut douter de leur désir de retrouver les transports en commun, les open space ou encore les centres commerciaux bondés…

Les avantages concurrentiels du magasin mis à mal 

Pourtant, le commerce physique peut se targuer d’avantages concurrentiels importants par rapport au digital. Avantages sur lesquels il appuyait sa différenciation jusqu’à récemment : pouvoir voir et toucher les produits, pouvoir les essayer dans certains cas et enfin pouvoir être accompagné dans ses achats par des conseillers offrant avis et conseils tout en évitant les frais d’envoi (levant ainsi un certain nombre de freins à l’achat). En effet ,

  • 85% des français souhaitent pouvoir essayer les produits vendus en magasin, 
  •  88%  des consommateurs font encore leurs achats finaux en magasin,
  •  56% considèrent encore que c’est le moyen le plus simple et le plus rapide d’acheter (Etude Comarch 2019).

Or la distanciation sociale va détruire cet avantage concurrentiel car c’est cette supériorité du lien humain qui est la plus touchée par le Covid-19… Comment un conseiller Sephora pourra-t-il nous faire essayer un produit en restant distant d’ 1,5 m caché derrière un masque ? Comment gérer des files d’attente de 15 personnes chez Zara le samedi ou à la Fnac avec 1 ,5 m entre chaque personne sans transformer l’ensemble du magasin en file d’attente ? Et qui aura vraiment le désir de retourner en magasin dans ces conditions (peur du virus, manque de patience,  peur de l’avenir, thésaurisation) ?

Comment y remédier à court-terme mais aussi à moyen-terme ? Comment rendre cette nouvelle expérience client la moins désagréable possible, voire la rendre moderne, fluide et incontournable sachant que 77% des français vont en magasin pour le plaisir (Baromètre Smart Retail 2019) ?

Un business model à repenser ou stabiliser ?

Pour bien comprendre l’impact du Covid-19 à long terme sur les business models il faut en évaluer l’impact sur l’ensemble de la chaine de valeur du business et évaluer les points critiques dans chaque cas :

  • Quelle capacité de production ou/et d’approvisionnement ? (avant d’analyser l’expérience client si il n’y a plus de produits il n’y a plus de business, il faut donc commencer par se poser cette question au préalable)
  • L’offre est-elle disponible ? (accéder à l’offre peut devenir un véritable problème et risque de continuer à l’être pour certains secteurs, restaurants par exemple, et ce non faute de demande ou d’acteurs pour opérer mais par impossibilité d’ouvrir ou que très partiellement)
  • Quelle proposition de valeur ? ( la valeur délivrée est-elle toujours au rendez-vous ? L’expérience client ou le produit délivré justifie-t-il toujours le prix par exemple ? )
  • La démonstration de la valeur nous permet-elle toujours de capter la demande ? (le digital peut d’ores et déjà aider à pallier les défaillances du monde physique si la communication, l’expérience et la publicité permettent aux marques de continuer à être visible, à  satisfaire le besoin et le désir des consommateurs)
  • La demande est-elle toujours présente ? (Le consommateur  est-il toujours disposé à acheter les biens et les services proposés ? En a-t-il besoin ? En a-t-il le désir ? Le peut-il physiquement ou digitalement ? Le peut-il financièrement ou psychologiquement?)

Autant de question auxquelles il faudra répondre avant la fin du confinement pour évaluer précisément les possibilités d’actions de l’entreprise et les décliner en plans d’actions rapide (ré-évalués régulièrement).

Assurer une proposition de valeur stable passera par l’expérience client

D’un point de vue marketing et expérience client nous pouvons en effet avoir à gérer des situations bien différentes,  que nous pouvons analyser sous le prisme « client » et dans une perspective « retail ». 

La première étape consiste à appréhender les scénarios possibles et leurs impacts sur l’expérience. Comme le schéma ci-dessous le montre sur la base de cinq hypothèses volontairement tranchées :

  • Les magasins sont ouverts et ont suffisamment de produits à proposer pour opérer (logistique, approvisionnements, etc),
  • Les magasins sont fermés mais le problème n’est pas l’approvisionnement (légal, ressources humaines insuffisantes, etc)
  • Les magasins sont fermés faute de marchandises à vendre,
  • Les clients se rendent en magasin dans une proportion suffisante,
  • Les clients sont réticents à se rendre en magasin (peur d’être contaminé, manque de temps, nouvelles habitudes prises pendant le confinement, nouvelles résolutions ou position écologique & idéologique, peur de l’avenir qui favorisera l’épargne au détriment de la consommation etc) ?

Le tableau 1  résume les différents cas de figure. 

Nous obtenons donc plusieurs cas de figure qui nous amènent à 3 situations principales :

1/   Cas 1 : une activité se déroule mais dans quelles conditions ? Et comment en fonction des nouveaux problèmes soulevés peut-on rapidement mettre des solutions en place à court et moyen-terme ?

Nous allons analyser l’ensemble du parcours client pour identifier les points de frictions créés par la distanciation sociale en magasin pour mesurer l’impact sur ces moments critiques du parcours et proposer à chaque étapes des pistes de solutions existantes soit « in store » soit « online » à considérer en fonction de leur mise en place rapide (noir) ou plus longue (bleu). L’objectif étant de maintenir une proposition de valeur à peu près stable quoiqu’il arrive et d’avoir des solutions prêtes à appliquer.

2/ Cas 2 : bien que les magasins physiques soient fermés, un report sur une activité 100% digitale est possible car les biens existent. La probabilité que ce cas de figure perdure après le confinement paraît faible. Mais cette situation peut aussi venir d’une demande insuffisante, c’est-à-dire avec une demande existante qui ne souhaite pas se déplacer (impossibilité de déplacement spécifique, problème de la protection des aînés, poursuite du télétravail vidant des quartiers d’affaires). Il est possible de déporter les efforts sur le digital, et de conserver (si l’ordre législatif le permet) un point de retrait comme certains magasins l’organise déjà. En chine durant le confinement des magasins ont transformé leu conseiller en "community manager", une façon d'utiliser les conseillers de vente ( conseil en ligne) limitant les pertes d’emploi,  le chômage partiel tout en offrant de nouvelles perspectives à certains employés (sur la base du volontariat par exemple).

3/ Cas 3 : pas d’activité, que cela soit interdit , ou lié à des problèmes d’approvisionnement, ou enfin que les clients  se détournent des magasins pour les raisons évoquées précédemment. Dans tous ces cas de figure,  on peut considérer l’activité comme inexistante et l’expérience client devient une expérience de communication, absolument capitale, qu’il faudrait traiter via les canaux digitaux. Dans le cas d'une crise sévère il faudrait aussi évaluer rapidement les options de pivots (nouveaux produits, nouveaux services liés aux nouveaux besoins clients)

Impacts et risques potentiels ?

Pour le scénario le plus optimiste et le plus probable à terme, avec une ré-ouverture des magasins et une demande non nulle, nous avons analysé l’ensemble du parcours client physique pour évaluer l’impact potentiel et les risques :

  • Détailler l’ensemble du parcours client et étudier les phases où l’impact de la « low touch economy *» sera la plus négative et virulente. (colonne Impact)
  • Evaluer les risques encourus sur chaque partie du parcours client (colonne Risque Potentiel)

Des solutions  pour se réinventer !

Après avoir analysé les risques, nous proposons des pistes de solutions à chaque moment clés du parcours d’achat, solutions « In-Store » ou « On-line ». L’objectif étant de ne pas perdre une demande déjà affaiblie par la situation précédemment décrite, et ce en perspective des points de frictions majeures en magasin et en ligne.  :

  • Proposer des solutions inspirées de solutions phygitales existantes (colonne Replacement in store)
  • Proposer des solutions « full digital » de remplacement (colonne replacement online)

Si certaines de ces solutions sont plus longues et plus coûteuses à mettre en place, elles permettraient néanmoins non seulement de gérer le Covid-19 mais aussi d’envisager le retail dans une véritable omnicanalité et  d’envisager une moindre dépendance à ce canal dans un mix plus équilibré et plus flexible ( pop up store, livraison souple). Le commerce électronique a eu ses propres difficultés avec le fulfillement, cependant du 23 au 30 mars, les marketplaces aux États-Unis ont connu une augmentation de 14% en volume, selon les données du Forter Global Merchant Network . 

Ces solutions sont toutes aujourd’hui en usage et peuvent donc être considérées comme ayant un  impact positif sur l’expérience magasin en dehors de cette période de pandémie.

Enfin rappelons que 84% des français souhaitent gagner du temps grâce au digital et au phygital et que, par conséquent, cette crise peut aider à accélérer des transformations attendues. Aucune belle expérience ne peut être mémorable si les points de friction ne sont pas lissés !

Que souhaiteront acheter les consommateurs en priorité ?

Pour aller plus loin l'étude des comportements des consommateurs dans les zones post-Covid-19 au moment où ces propos sont écrits, principalement la Chine la Corée et le Japon est éclairante (à moduler bien entendu en fonction des différences locales (Etude Mc Kinsey  avril 2020). Les Chinois recommencent à consommer prioritairement des biens et des services pour animaux de compagnies, de fitness et de bien-être, de cosmétiques et de maquillages ou de produits pour enfants, et ce au détriment de l’équipement en vêtements ou d’achats dans les grands magasins. Globalement, l’étude semble indiquer une profonde hésitation à voyager à l’étranger, la crainte des grands rassemblements et des centres commerciaux pour plébisciter le digital non seulement à court-terme mais comme usage pérenne.

Un nouveau monde, de nouvelles règles

En conclusion, la pandémie actuelle est  indéniablement le plus gros choc économique connu depuis les grandes guerres voire la crise de 1929. Elle va engager des transformations majeures des modes de vies qui iront bien au-delà de l’expérience client avec un impact profond sur l’ensemble de la société.   

Toute réflexion stratégique en profondeur à court terme et moyen terme en fonction des différents scénarios aidera à surmonter cette crise et surtout à anticiper des scénarios de réponses en fonction des éléments qui se modifieront. Modification dans le mix des canaux de distribution, mais aussi dans la proposition de valeur, dans le mix marketing… ce qui nous oblige d'ores et déjà à composer avec une situation inédite et durable si l'on en croit les experts médicaux, La "Low Touch Expérience".

Sans compter tous les effets pervers d’une crise économique majeure résumés par cette phrase emblématique d’un spécialiste US,  Marque & Luxe, Thomai Serdari : "Je ne veux pas être bombardé de messages promotionnels pour dépenser de l'argent en ce moment. J'espère que tout ce gâchis que nous vivons est une occasion de nous éloigner du transactionnel, et de commencer quelque chose de plus signifiant" qui en dit long sur les perspectives commerciales futures et la guerre concurrentielle à venir.


Digital ou phygital, l'expérience client passera par le numérique. La pandémie est sans doute le moment d’accélérer cette transformation pour prendre de l’avance sur les concurrents., d'autant  que "les consommateurs se tourneront vers les marques pour redéfinir la valeur de la confiance. Cela pourrait-il se traduire par une amélioration du niveau des services internes qui apportent confort et bien-être ?  "Pourrait-il s'agir d'innovations pour des services  "low-touch", une présentation et une manipulation plus hygiéniques des marchandises ? pense le professeur Thomai Serdari.

*(terme utilisé pour décrire une situation où nous devrons éviter les contacts et ce sur une longue période)

Détails des tableaux.

Après le COVID 19, Adieu magasins ? Points de friction du Commerce- CX -