La joaillerie doit accélérer sa transition vers l'économie circulaire

Plus que jamais, l'avenir du luxe et de la joaillerie devra être circulaire et responsable. Pour cela, un seul choix s'impose : celui de la seconde main.

S’il est facile de l’ignorer, le secteur de la joaillerie est, avec celui de la mode, l’un des plus polluants qui soit. L’extraction aurifère (c’est-à-dire l’extraction de l’or) possède ainsi un fort impact environnemental : à titre d’exemple, extraire 3 grammes d’or pour faire une bague nécessite 1500 litres d’eau et 100 grammes de cyanure, dont les composants se retrouvent ensuite dans les sols et les cours d’eau. Sans parler de la déforestation, causée en partie par les installations d’exploitations sans autorisation officielle. Même la production de diamants de synthèse, que l’on pourrait croire plus vertueuse, engendre de fortes émissions de CO2…

Plus que jamais, l’avenir du luxe et de la joaillerie devra donc être circulaire et responsable. Pour cela, un seul choix s’impose : celui de la seconde main. Pourtant, le marché de la joaillerie est encore très en retard : l’occasion ne représente que 3% du marché du neuf, contre 40 à 50% pour les montres. 

Comment, dès lors, accélérer cette transition ? 

Un paradoxe ? Les évolutions profondes de la mentalité du consommateur

Il y a une dizaine d’années encore, les achats de joaillerie en seconde main étaient perçus comme vaguement honteux, parce qu’ils signifiaient - entre autres - que l’on n’avait pas les moyens d’acquérir un bijou neuf. Les choses ont heureusement changé : de manière globale, le luxe de seconde main est devenu un luxe engagé, presque un achat militant, que l’on peut arborer avec fierté.

Et pour cause : l’impact environnemental de l’achat en seconde main est nul. En effet, il n’implique pas l’extraction de nouveaux métaux précieux, ni la consommation d’énergie pour produire toujours plus, ni la pollution des eaux et des sols en fin de chaîne. 

Dans le secteur du luxe, la seconde main (dont 80% du marché est constitué par la vente de montres et de bijoux) a une croissance quatre fois plus rapide que le neuf, preuve de sa désirabilité nouvelle. Selon le cabinet McKinsey, le marché de l’occasion appliqué au luxe devrait connaître un taux de croissance annuel de 10 à 15% dans la décennie à venir ! Rien qu’en France, ce marché représentait 7 milliards d’euros en 2020…

Mais le facteur éco-responsable n’est pas le seul à expliquer l’engouement exceptionnel que suscite ce marché. Deux autres facteurs clés sous-jacents doivent être soulevés :

D’abord la rareté. En effet, la seconde main, c’est aussi le plaisir de dénicher une pièce de joaillerie unique, d’époque, témoin d’un savoir-faire passé qui a peut-être disparu.

Et aussi bien sûr, le rapport prix/investissement avec :

●       La décote par rapport au neuf : en général, les bijoux de seconde main coûtent de 20 à 40% moins cher que les modèles neufs.

●       L’envie d’investir : en acquérant un bijou qui a traversé les années, on investit dans des métaux précieux ou bien dans des pièces rares ou uniques de grandes maisons qui ne sont plus produites, et dont le prix a tendance a augmenté avec le temps.

Mais alors pourquoi le marché de la joaillerie de seconde main ne s’est-il pas complètement démocratisé ?

Trois principaux obstacles restent encore à franchir selon moi, avec en premier lieu l’accessibilité de l’offre. En effet, l’offre existante est très fragmentée et peu digitalisée. Et l’offre potentielle “théorique” est gigantesque mais nécessite d’être déverrouillée : 92% des bijoux dans le monde seraient oubliés dans des coffres…

Vient ensuite la confiance des acheteurs : comment être sûr que le bijou acheté est authentique, en l’absence notamment de certificat d’authenticité et de processus de traçabilité ?

Enfin, l’opacité des prix : il existe de très grands écarts de prix entre les régions et les pays, et même en fonction de la typologie des vendeurs (professionnels, généralistes, particuliers). A cet égard, il est primordial de rendre le marché plus transparent, plus fluide et plus efficient.

Une question se pose alors : si l’immense majorité des bijoux ne sont plus utilisés, pourquoi continuer à produire autant de nouvelles pièces ?

À l’échelle mondiale, chaque année, 1 600 tonnes d’or sont extraites pour les besoins du secteur de la joaillerie, ce qui génère plus de 300 milliards de dollars de revenus. Ne peut-on pas penser que le marché pourrait conserver son dynamisme en se montrant plus vertueux ? La circularité ne pourrait-elle pas, elle aussi, générer des rendements ? En se focalisant, par exemple, sur la transformation, la rénovation ou encore la mise à taille des bijoux anciens.

La nécessité de repenser un modèle séculaire

Les maisons joaillières ont une responsabilité, mais où en sont-elles dans leur transition ? Il faudra sans doute du temps avant de parvenir à repenser l’approche de l’industrie de la joaillerie, ce qui suppose de se recentrer sur l’upcycling (soit l’utilisation d’objets ou de matériaux usagés pour les réintroduire dans la chaîne de consommation) et les bijoux de famille qui se transmettent de génération en génération. Pourtant, les consommateurs sont aujourd’hui en quête d’authenticité, de transmission, et le savoir-faire des maisons de joaillerie constitue en cela leur plus grand atout.

Le salut viendra peut-être de la génération Z, celle née entre 1997 et 2010. 91% des membres de cette génération déclarent en effet que les entreprises ne devraient réaliser des bénéfices que si elles ont un impact positif sur la société ! Or, selon une étude Zeno Group publiée en juin 2020, la génération Z est celle qui façonne le monde de demain et décidera, dans les prochaines décennies, d’accorder ou non son pouvoir d’achat aux entreprises.

Au-delà de l’aspect éthique du marché de la seconde main, qui s’impose comme une évidence au regard de l’urgence écologique, l’intérêt économique n’est donc pas non plus à négliger.

Amorcer la transition vers une joaillerie de seconde main

Nous l’avons vu, l’approvisionnement en matières premières comme l’or est à l’origine de graves pollutions environnementales. En moyenne, on estime que 160 kg de CO2 sont émis par carat de diamant taillé. C'est autant que l'impact environnemental de 2,5 smartphones ! Par ailleurs, la production de bijoux fantaisie (pour un chiffre d’affaires de 283 millions d’euros annuels en France) s’ajoute à ce désastre écologique, d’autant que ces derniers finissent en général à la poubelle sans être recyclés.

Des scandales éclatent régulièrement, à propos, par exemple, de marques de bijoux supposément made in France qui se fournissent en réalité en Asie. Le greenwashing ajoute à la confusion des clients, donnant l’impression d’une production vertueuse lorsque ce n’est pas le cas. Comment, dès lors, s’assurer que les bijoux que l’on acquiert n’ont pas participé à la pollution de l’environnement ?

La réponse est simple : la seule et unique solution consiste à se tourner vers la joaillerie de seconde main. Moins chers et bien plus vertueux que les bijoux neufs, puisque leur impact carbone est neutre, ces bijoux anciens sont aussi le témoin d’une époque et d’un savoir-faire. De quoi allier esthétisme et écoresponsabilité.