Les dérives de l’expérience client

Il est désormais difficile d’échapper aux questionnaires post-achat qui s’inquiètent de savoir comment vous avez vécu votre expérience d’achat. Les systèmes de notation étoilée des applications mobiles ne sont probablement pas étrangers à cette surenchère.

Vous l’avez sans doute remarqué : il est désormais difficile d’échapper aux questionnaires post-achat qui s’inquiètent de savoir comment vous avez vécu votre expérience d’achat. Nos messageries électroniques sont envahies par ces sollicitations automatisées, voire même par des relances récurrentes tant que vous n’avez pas décidé d’y répondre ou de vous retirer des listes de diffusion. Les systèmes de notation étoilée des applications mobiles ne sont probablement pas étrangers à cette surenchère.
Genèse et définition d’un levier puissant

L’expérience client est sur toutes les lèvres. La question de la relation client, du parcours client et de leur optimisation n’est pourtant pas nouvelle, mais la transformation numérique des entreprises, portée notamment par les vagues technologiques de l’Intelligence Artificielle, de l’Internet des Objets ou encore du cloud, lui donne une dimension exacerbée et des perspectives quasi- miraculeuse, tant pour le client lui-même que pour les organisations qui cherchent à le séduire.

Comment définir l’expérience client ? L’expression est traduite du concept américain de Expérience Economy[1], sans en rendre vraiment toute la profondeur en français. Elle est souvent abrégée en CX dans la presse spécialisée. On entendait historiquement parler du parcours client, qui désignait l’ensemble des interactions entre un client et une entreprise, avant, pendant et après l’achat d’un produit ou d’un service. L’expérience client fait, elle, référence aux perceptions, aux émotions et aux ressentis expérimentés par le client pendant ces interactions.. Elle comporte donc une part cognitive / rationnelle (bon positionnement prix, fonctionnalités supérieures à la concurrence, etc.) et une part affective (look, ergonomie, historique avec la marque, etc.). Et c’est notamment cette part émotionnelle qui fait tout son intérêt car elle représente un levier puissant dans les logiques de recommandation et de bouche-à-oreille.

Des attentes différentes

Du point de vue du client, on pourrait dire qu’un bonne expérience client consiste – au-delà de disposer d’un produit ou d’un service de qualité et au bon prix[2]- à pouvoir communiquer rapidement, simplement et de manière conviviale avec un entreprise par tous les canaux dont il dispose, depuis tout type de terminal et à tout moment… et de pouvoir passer de l’un à l’autre comme bon lui semble sans que le fil conversationnel et la proximité relationnelle soit interrompus. Objectif : perdre le moins de temps possible, ne pas avoir à répéter la question qu’il souhaite poser ou les informations qu’il veut transmettre… et renforcer sa satisfaction dans l’acte d’achat.

Du point de vue de l’entreprise, l’expérience client est plus complexe. Au-delà des technologies et des procédures mises en place (omnicanal, cross-devices, vision 360…) pour rendre accessibles aux clients les fonctionnalités décrites dans le paragraphe précédent, l’expérience client s’appuie sur une chasse systématique à l’information. Nonobstant les questions réglementaires liées à la vie privée, chaque point de contact avec le client devient un point de capture de données, plus ou moins volontairement consenti par celui-là d’ailleurs. Car c’est de ces données que découleront la construction d’une vue 360°, la compréhension des attentes et – Graal ultime – l’anticipation de ses besoins.

Quand la tactique dessert la stratégie

Cette tactique de chasse systématique aux données devient si vitale dans le déploiement des stratégies d’expérience client qu’elle en vient parfois à prendre le pas sur son objectif, voire à le desservir :

Ainsi, que penser de ces multiples emails automatiques que vous recevez de tous les sites sur lesquels vous êtes passés, sans même parfois y commander quoi que ce soit ? des vacances en préparation : on vous rappelle que vous avez visité telles et telles destinations et que d’autres pourraient vous plaire ; une recherche comparative en ligne : on veut informe que votre panier est toujours ouvert et qu’il est encore temps de le valider ; un achat sur un site ou en magasin : on vous demande ce que vous avez pensé de votre expérience d’achat.

La séquence action / évaluation devient tellement systématique qu’elle finit par engendrer lassitude ou agacement chez le client. L’insistance récurrente d’une entreprise à vous demander votre avis est d’ailleurs de plus en plus facilitée par les outils de marketing automation qui vont faire rentrer le client dans des scénarios d’échanges prédéfinis, dont la forme encore trop souvent un peu simpliste (rustique ?) indique au client sollicité qu’il ne répond pas à la question d’un humain attentionné, mais plutôt qu’il remplit une case de plus de son profil électronique. Un sentiment  encore plus flagrant quand le questionnaire reçu est en anglais…

L’expérience, une dimension humaine par nature

Cette dimension déshumanisée est  identifiée pour certaines marques ou entreprises qui vont plutôt s’appuyer sur leurs équipes commerciales ou un centre d’appel pour collecter les données. Ainsi ce constructeur automobile, dont le commercial vous tend en souriant un questionnaire de satisfaction une fois que vous avez signé l’achat de votre véhicule. A remplir sur place, juste histoire de fournir au siège des éléments d’amélioration, vous dit-on, avant d’ajouter que les notations inférieures à 4 sur 5 ont un impact immédiat sur l’équipe de la succursale !

Une version plus subtile existe, où le vendeur vous explique que vous allez être contacté par un service indépendant après votre achat, tout en  glissant que de votre notation dépendra la tranquillité de l’agence. Les travers de telles approches sont évidents.

Les dérives de l’expérience client à l’heure des KPI et des dashboards

Le terme d’expérience évoque immanquablement celui d’observation. Rien d’étonnant donc que de multiples indicateurs de performance (KPI) de l’expérience client existent, allant du très traditionnel questionnaire de satisfaction client (CSAT), en passant par le Customer Effort Score (CES) ou le Net Promoter Score (NPS[3]).

Mais à l’heure où la chasse à l’opinion et à la donnée se transforme en traque, beaucoup d’entreprise donnent l’impression de confondre indicateurs et objectifs. Le risque est alors d’être piégé par la sournoise loi de Campbell, qui veut que plus un indicateur quantitatif est utilisé pour la prise de décision, plus il a de chances de fausser et corrompre le processus qu’il a pour objet de surveiller.

Alors ne réduisons pas l’expérience client à une simple métrique. Surtout, n’en faisons pas une dictature pour les collaborateurs de l’entreprise comme pour ses clients, et remettons sa caractéristique essentielle au cœur de nos démarches d’amélioration continue : les relations d’humain à humain.


[1] Le concept de « customer experience » est né à la fin des années 1990 avec l’ouvrage de Pine et Gilmore, « The Experience Economy »

[2] Selon certains spécialistes, la satisfaction des besoins fonctionnels ne compte que pour 10% dans la fidélisation client

[3] NPS : nombre de clients enthousiastes recommandant la marque déduit du nombre de détracteurs