Messagerie professionnelle : pourquoi être nativement compatible Outlook est-il révolutionnaire ?

Pour beaucoup la messagerie professionnelle se résume à l'outil que l'on utilise au quotidien pour envoyer et recevoir des emails. Dans la majorité des cas, il s'agit d'Outlook, le client mail de Microsoft. Pourquoi cette hégémonie ? Quelles alternatives ?

Pour les non experts du domaine, la messagerie se résume généralement à ce qu’ils voient et utilisent : le client de messagerie, qui est (très) souvent Outlook. Outlook n’est en réalité que le moyen d’accès à vos emails et agendas qui sont stockés et gérés sur le serveur, Microsoft Exchange. Ces deux applications fonctionnent ensemble, l’une côté serveur (Exchange) et l’autre côté bureau/client (Outlook).

Outlook est le client le plus utilisé en matière de messagerie professionnelle. En 2018, 56% des entreprises utilisaient la suite Office 365, qui intègre Outlook  (source). A la vue de ce chiffre, il semble normal, voir évident, que les serveurs de messagerie alternatifs soient capables de s’interfacer avec le client mail le plus répandu en entreprise, n’est-ce pas ?

Eh bien non, ce n’est pas si évident. En vérité, c’est une véritable révolution.

Explications.

Microsoft : une stratégie basée sur le lock-in

Une note de service adressée à Bill Gates en 1997 par le directeur général de C++ chez Microsoft, Aaron Contorer, résume très bien la stratégie de lock-in technologique déployée par la firme de Redmond : "Les clients évaluent constamment vers d’autres plateformes, (mais) il y aurait tellement de travail à changer qu’ils espèrent que nous allons simplement améliorer Windows plutôt que de les forcer à déménager."

Cette note a plus de vingt ans, on pourrait penser que les choses ont évolué depuis… non ?

Nous pouvons prendre l’exemple de la domination d’Active Directory dans les services d’annuaires. Active Directory couplé à Microsoft Exchange a permis de dominer l’infrastructure (serveur de messagerie) de la majorité des entreprises sur la planète selon un principe simple : si vous vouliez recevoir des mails, vous aviez besoin d’Exchange et Exchange nécessite Active Directory pour fonctionner.

Les services informatiques achetaient les deux comme si c’était normal. C’est ainsi qu’Active Directory et Exchange sont devenus l’infrastructure de pratiquement toutes les organisations. La stratégie de Microsoft pouvait se résumer à contrôler le back end pour contrôler le front end avec la fameuse méthode "Embrace and extend". Les administrateurs informatiques n’avaient guère le choix :

  • Les systèmes Windows se connectent mieux à AD et Exchange,
  • Les Macs et les périphériques Linux ne peuvent pas être gérés par AD,
  • Outlook sur Mac est une expérience dégradée,
  • Outlook n’existe pas sous Linux.

Cette stratégie a fonctionné : Microsoft a essentiellement intégré de la rigidité dans son système de sorte qu’il serait logique pour une organisation d’être équipée Microsoft de bout en bout (source). En front end côté email qui retrouvons nous ? Microsoft Outlook. Outlook… qui est le client de messagerie d’Exchange. La boucle est bouclée. 

Rompre avec Microsoft – 1 : quelles alternatives ?

Les produits Microsoft ont été développés pour fonctionner en vase clos, les uns nécessitant les autres dans une boucle vertueuse infinie. Vertueuse pour Microsoft en tout cas, car côté client c’est une autre histoire. Comme on peut l’imaginer, cette situation a créé une dépendance technologique très forte. Remplacer l’un des maillons de la chaîne revient à fragiliser les autres puisque tout est développé avec l’idée d’une interdépendance et d’une compatibilité exclusive au "M" de GAFAM. Avec Office 365 et en proposant des abonnements dont elle peut modifier les tarifs à sa guise, Microsoft a vassalisé des systèmes d’information complets.

Il existe pourtant des alternatives. Pour le poste client, on pense à LibreOffice  par exemple qui permet de bénéficier d’une suite bureautique complète, à peu près équivalente à celle de Microsoft. Toute la nuance tient dans le "à peu près". Exemples : les incompatibilités et écarts de mise en forme entre LibreOffice Writer et Microsoft Word. Chacun de ces softs sait lire et écrire dans le langage natif de l’autre (.odt/.ods pour Writer et .doc/.docx pour Word), pour autant la compatibilité est loin d’être parfaite et difficile à prévoir. On peut retrouver sur cette page une présentation générale des fonctions de Microsoft Office pouvant occasionner des opérations de conversion avec LibreOffice.

Il existe bien des alternatives à Microsoft. Vous pouvez imposer à vos utilisateurs d’abandonner leurs habitudes sur Microsoft Office pour switcher sur une alternative libre mais il faudra dans ce cas bien gérer la transition : convertir tous vos documents, réécrire certains, accompagner vos utilisateurs, valider que vous pourrez continuer à collaborer avec vos correspondants etc.

Rompre avec Microsoft – 2 : s’aliéner certains utilisateurs

Le changement d’outil, de façon générale, génère quelques contraintes pour certains utilisateurs. Il oblige les utilisateurs à réapprendre des procédures qui étaient auparavant sans effort et à perdre du temps à hésiter sur des options nouvelles. En plus d’être une baisse de productivité, cela peut être perçu comme un affront pour les habitués qui se retrouvent incompétents sur une tâche où ils excellaient jusqu’à lors (les macros d’Excel par exemple).

Dans le cadre de la messagerie, il existe bien sûr de nombreuses alternatives. A première vue, utiliser le client Outlook avec un autre serveur qu’Exchange est tout à fait possible. Outlook peut être utilisé avec n’importe quel serveur IMAP… si vous ne souhaitez utiliser que l’email sans aucune fonction collaborative, acceptez une expérience dégradée et n’avez pas peur des bugs !

Certaines solutions tentent de pallier ce problème en proposant un connecteur qui, en plus de l’email, va permettre de synchroniser les agendas, les contacts et les paramètres de partage. Cependant cela modifie les interfaces d’Outlook et ajoute des problèmes techniques, fonctionnels et de déploiement et gestion du connecteur dans Outlook. Pour vos utilisateurs, ce n’est pas le "Outlook" tels qu’ils le conçoivent mais une version dégradée.

Comme pour Calc avec Excel ou Writer avec Word, ce n’est pas encore tout à fait pareil. La messagerie est un outil si critique pour les organisations, les utilisateurs y ont ancré tant d’habitudes, qu’il est à ce jour difficile pour une infrastructure traditionnellement "Microsoftienne" de basculer sur une autre solution.

Les DSI voudraient réduire leur dépendance numérique tout en diminuant leurs coûts mais dans les faits, la crainte de s’aliéner les utilisateurs impose le choix.

Reconnaissez-vous ce schéma ? Les utilisateurs réclament Outlook. Outlook ne fonctionne qu’avec Exchange. Exchange fonctionne avec Active Directory. Microsoft enferme ses utilisateurs dans une boucle de dépendance qui les prive de leur souveraineté.

Et la messagerie dans tout ça ?

L’email est un outil critique en entreprise, au même titre que l’eau ou l’électricité. Sitôt qu’il tombe en panne, c’est toute la productivité qui en prend un coup.

Récemment encore on pouvait lire dans le Monde du 31 janvier, à l’occasion d’un article consacré à une cyberattaque subie par Bouygues Construction, : "Les employés à l’étranger du groupe se sont, eux, retrouvés au chômage technique, faute d’accès à leur courriel professionnel."

Plus de messagerie, plus de production. Et pourtant cet outil critique est souvent laissé en pâture aux solutions étrangères, pour la simple et bonne raison que dans ce domaine, c’est l’utilisateur qui dicte les choix. Il peut passer 5 à 6h sur ses emails chaque jour, il a développé des habitudes de travail et une affinité particulière avec cet outil - dans la majorité des cas est Outlook.

Les DSI voudraient plus de maîtrise sur leur parc logiciel, plus de latitude dans la négociation de contrats, plus de réversibilité… pourtant ils continuent de s’équiper auprès des géants américains pour préserver les habitudes de leur utilisateurs et par extension, la productivité.

Une solution pour un éditeur de messagerie, serait simplement d’être compatible avec Outlook natif. Il suffirait alors de se brancher dessus, les utilisateurs conserveraient leur outil habituel, les mails partiraient via un serveur français, souverain.

Sauf que c’est loin d’être aussi simple ! 

Outlook communique avec Exchange Server via un ensemble de protocoles appelé MAPI, totalement différent des protocoles standards (POP, IMAP qui ne gèrent que la partie emails) qui permet de synchroniser l’ensemble des données d’Outlook (Calendriers, Contacts, Tâches, Notes et informations libres/occupées pour la planification…). Remplacer Exchange nécessite donc d’implémenter la pile MAPI côté serveur afin de communiquer avec Outlook exactement comme le fait le serveur de Microsoft.

Pour conclure…

La souveraineté numérique recouvre bien plus que les affaires de données personnelles qui défraient régulièrement la chronique. Pour les entreprises c’est aussi et surtout un enjeu crucial de maîtrise : quelle capacité de contrôle ai-je sur mon système d’information ? Puis-je revenir en arrière ? quelle capacité de négociation ai-je avec mes fournisseurs ? quelle maîtrise de bon budget ?

Application aussi critique sur la productivité des organisations que l’eau ou l’électricité, l’email est pourtant trusté par des solutions étrangères, souvent pour des raisons liées aux usages utilisateurs.

Se libérer de l’hégémonie américaine sur ce sujet passera nécessaire par une démarche centrée sur l’utilisateur. Respecter les usages semble être la clé : Outlook bien sûr, mais aussi Thunderbird, les macs, les mobiles.

Reste à faire les bons choix.