Campagne anti-Pfizer : Entre Lobbying & Influence, quand l'éthique prend le dessus !

Il y a quelques jours, plusieurs influenceurs ont annoncé avoir été approché par une agence de communication pour dénigrer le vaccin Pfizer. Si la plupart des articles s'intéressant à cette campagne d'influence se sont focalisés sur les liens de l'agence Fazze avec la Russie, peu d'entre eux se sont interrogés sur la mécanique de l'opération.

Cette stratégie de déstabilisation du vaccin Pfizer s’inscrit dans une démarche plus large de manufacture du doute. Historiquement, ces controverses fabriquées ont d’abord été développées par l’industrie du tabac dans les années 1950 avant d’être reprises par de nombreuses industries controversées (pétrochimie, armes à feu, agroalimentaire, etc.). Par définition, les stratégies de manufacture du doute visent à semer le trouble dans l’esprit des citoyens et des décideurs publics. Pour cela les industriels (ou lobbies) créent une controverse sur un sujet qui faisait pourtant l’objet d’un consensus scientifique jusqu’alors. L’exemple le plus illustre est la campagne menée par les industries du tabac pour remettre en cause les liens entre le tabagisme et le développement du cancer.

L’industrie pharmaceutique étant celle qui dépense le plus d’argent en lobbying, nous ne sommes pas surpris d’apprendre que ces stratégies aient été largement déployées pendant la crise de la Covid-19. Un exemple marquant en lien avec la pandémie est celui du lien entre tabagisme et infection à la Covid. Un article scientifique de juillet 2020 semblait mettre en évidence que la nicotine protégeait de cette maladie. Toutefois cet article a été dépublié en 2021 suite à la découverte de liens entre les auteurs de cette étude et l’industrie du tabac. L’objectif de cette campagne était d’associer la cigarette à un effet positif sur la santé des fumeurs. Le succès de ce type de stratégie repose également sur un biais cognitif. Le biais de confirmation consiste à privilégier les informations qui vont confirmer nos prénotions ou opinions et rejeter les résultats inverses. Ainsi, un fumeur lisant cette étude aurait tendance à plus facilement croire les résultats que ceux d’une autre étude mettant en lumière la dangerosité du tabac. 

La campagne autour du vaccin Pfizer s’inscrit dans la même démarche de manufacture du doute. Le but de la campagne est de créer une controverse autour le vaccin alors qu’il bénéficie d’un consensus scientifique quant à son efficacité.  Pour ce faire, une agence a demandé à des personnalités influentes sur les réseaux sociaux et reconnues pour leur savoirs scientifique (vulgarisateur scientifique, médecin, etc.) de présenter un tableau indiquant que les décès imputés au vaccin Pfizer était plus nombreux que ceux liés aux autres vaccins. Notons que d’un point de vue technique, l’opération semble très bien construite. En effet, le marketing d’influence repose sur la théorie de la communication à double étage, selon laquelle un individu aura plus facilement tendance à croire un message diffusé par une personne qui occupe une place centrale dans une communauté et qui lui semble légitime, objective et renseignée sur un sujet que si le même message était porté par un média. Dans le cas du FazzeGate, le casting de l’opération est totalement cohérent avec la campagne, l’agence s’adresse à des personnalités perçues par leurs communautés comme objectives et légitimes sur la question de l’efficacité vaccinale. Ainsi, si l’opération s’était déroulée comme l’agence l’avait prévue, elle aurait probablement eu un fort impact sur les communautés touchées.

Outre la perfidie de ce type de stratégies d’influence, la campagne anti-Pfizer doit nous alerter sur l’éthique de certaines campagnes. Dans le cas étudié, l’agence Fazze demandait explicitement aux influenceurs contactés de ne pas mentionner qu’il s’agissait d’une publication sponsorisée ou d’une publicité. Ce manque de transparence nuit à la compréhension des communautés et vise à les tromper, et, in fine nuit à tout le secteur du marketing d’influence qui voit son image affectée par ce genre de pratique.  Il semble que la déclaration des liens d’intérêts de la part des influenceurs soit nécessaire pour la bonne information de leurs communautés.  En outre, le secteur du marketing d’influence fait parfois l’objet de dérives avec le développement de pratiques trompeuses comme la publicité déguisée, le dropshipping ou le détournement de loi Evin. Il nous semble donc nécessaire d’insuffler plus d’éthique dans ces pratiques que ce soit pour les annonceurs, les agences et les influenceurs. C’est notamment pour cela que l’agence WOÔ s’est entourée d’un comité composé d’un large spectre de parties prenantes du secteur afin de publier la première charte d’éthique du marketing d’influence. En effet, il semble certain que ce n’est que collectivement que le secteur de l’influence pourra être assaini afin de proposer un cercle vertueux pour les communautés, les entreprises et les agences. Enfin nous pouvons souligner que de nombreux acteurs de l’influence font déjà preuve d’éthique dans leur approche de la profession. Nous pouvons à ce titre saluer l’éthique des influenceurs ayant dénoncés cette proposition de collaboration anti Pfizer. Cette démarche souligne la maturité et la prise de conscience collective du rôle et du pouvoir des influenceurs dans notre société, ce que nous ne pouvons que féliciter car ces actions permettront de pérenniser les métier du marketing d’influence et leur efficacité.

Tribune co-écrite avec François NICOLLE, Docteur en sciences de gestions, professeur d’influence et de lobbying au sein du Groupe IGS