Shein, un spécialiste de la fast fashion qui a tout compris à la Gen Z

Shein, un spécialiste de la fast fashion qui a tout compris à la Gen Z Ses collections à très bas prix et une stratégie marketing bien ficelée ont permis au pure player chinois de déborder des acteurs historiques comme H&M et Zara.

Oubliés les H&M et Zara, ils n'en ont plus que pour Shein ! Ce pure-player Internet venu de Chine est aujourd'hui le numéro 1 de la fast fashion, que ce soit aux Etats-Unis, où il est devenu le leader du segment mode selon un rapport d'Eearnest Reasarch publié en juin dernier, ou en France, où sa part de marché est désormais supérieure à celle des deux historiques du secteur. Shein est désormais le 6e plus gros e-commerçant mode en France, selon les données de Kantar Worldpanel. Le groupe avait une part de marché de 2,6% en juin 2021, contre 2,4% pour H&M et 1,3% pour Zara. La performance est d'autant plus bluffante qu'il y a deux ans, "le site remontait à peine dans les classements de Kantar Worldpanel", selon Hélène Janicaud, responsable de la BU Fashion de l'organisation. Pour cause, sa part de marché était de 0,5% en juin 2019, celle de H&M de 2,9% et celle de Zara de 1,1%. L'évolution de l'audience Web de Shein illustre bien cette popularité fulgurante. Shein, c'est aujourd'hui dix fois plus d'audience que H&M et cinq fois plus que Zara. C'est 10 millions de visiteurs uniques en juin 2021 quand ils n'étaient que 3,8 millions deux ans plus tôt.

Tee-shirt à partir de 2 euros, robes à partir de 3 euros et manteaux à moins de 10 euros… La promesse de Shein, c'est d'abord son prix, sensiblement inférieur à celui de ses concurrents. Le prix moyen d'un produit acheté chez Shein était de 7,5 euros fin juin 2021, selon les données de Kantar Worldpanel, contre 10,2 euros pour H&M et 22,7 euros pour Zara. De quoi faire mouche auprès des 15-24 ans, qui ont beau se dire préoccupés par l'impact environnemental des marques, mais dont la motivation première reste de trouver le meilleur prix. "Ce qui pousse d'abord les ados chez Shein, c'est le fait qu'ils pourront avoir beaucoup plus de vêtements que chez les concurrents, pour le même budget", résume Jean-Baptiste Bourgeois, strategy director chez We Are Social. Ça a d'autant plus d'importance que beaucoup de ces ados sont désireux de mettre en scène leurs emplettes, à peine celles-ci effectuées. On parle dans le langage des Youtubeurs de haul, c'est-à-dire poster une vidéo au sein de laquelle on dévoile des articles récemment achetés. Et plus il y en a à montrer, plus il y a de contenu à proposer.

"En démocratisant le haul, Shein répond aux fantasmes de toute une partie de cette génération qui aspire à ressembler à Kyie Jenner ou Caroline Receveur"

Sur TikTok, un hashtag come #sheinhaul a généré près de 3,5 milliards de vues quand le #hmhaul atteint péniblement les 84 millions de vues. Car grâce à Shein, la pratique du haul, qui a fait la popularité de nombreuses blogueuses modes, n'est plus l'apanage d'une élite. "En démocratisant ce format, Shein répond aux fantasmes de toute une partie de cette génération qui aspire à ressembler à Kylie Jenner ou Caroline Receveur", analyse Jean-Baptiste Bourgeois. Une population qui a, en plus, l'embarras du choix. Shein, qui maîtrise toute sa chaîne de production, met en ligne près de 2 000 nouveaux produits par jour… quand ses concurrents peinent à dépasser la centaine toutes les deux ou trois semaines. La marque, qui a déjà été attaquée pour plagiat, n'hésite pas à piocher dans les nouvelles collections des géants du luxe pour proposer des versions bien plus accessibles. C'est ainsi que l'on peut trouver une version "made in Shein" des combats boots de Prada, vendues plus de 1 000 euros chez l'Italien et moins de 30 euros chez le Chinois. "Il suffit que Kylie Jenner porte un bikini à l'envers un jour pour que dans la semaine qui suit, on retrouve le même version Shein", illustre Jean-Baptiste Bourgeois.

Toute la stratégie marketing de Shein surfe d'ailleurs sur les fantasmes de ces wannabe-influenceuses que la marque inonde de codes et réductions faciles à obtenir… et à partager. "C'est hyper valorisant pour ces micro-influenceuses de recevoir un code promo dédié", observe Jean-Baptiste Bourgeois. A défaut de rémunération directe, en découle un sentiment d'adoubement qui suffira à transformer toute cette audience en ambassadrices zélées. On flirte avec les limites de la légalité lorsque ces dernières ne mentionnent pas le fait qu'elles ont obtenu leur code de réduction grâce à Shein, mais ça marche. La popularité des #sheincoupon ou #sheinreduc sur des réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram témoigne de cette stratégie de micro-influence bien rôdée.

"On flatte l'ego de clientes qui ont au maximum quelques milliers d'abonnés en leur donnant une visibilité auprès des plus de 700 000 personnes qui suivent la marque sur TikTok"

Une stratégie qui consiste également à utiliser le compte officiel de Shein pour partager la plupart des posts qui mentionnent la marque. On parle dans le langage Instagram de "hashtag to get featured". "On flatte l'ego de clientes qui ont au maximum quelques milliers d'abonnés en leur donnant une visibilité auprès des plus de 700 000 personnes qui suivent la marque sur TikTok", illustre Jean-Baptiste Bourgeois. Rien de très créatif, mais terriblement efficace. Cette stratégie de community management plutôt minimaliste permet surtout à la marque d'être hyperactive sur les réseaux sociaux, avec une fréquence de publications de 5 à 10 posts par jour (avec des liens e-commerce vers les produits concernés). Cela permet également à Shein d'être l'une des rares marques de la fast fashion à avoir une stratégie de community management hyper locale. La marque décline ainsi ses comptes Instagram par marché (France, Espagne, Italie…), là où ses concurrents ont regroupé toutes leurs prises de paroles au sein d'un compte global.

Dernier vaisseau de l'armada Shein, son site e-commerce. Tout est fait pour y récompenser la fidélité des client(e)s. On gagne des nouveaux statuts et avantages à mesure que l'on atteint certains niveaux de commandes et de montants dépensés. Les clients  qui ont effectué une commande peuvent recevoir un bon de réduction, les clients qui ont effectué au moins deux commandes peuvent débloquer des avantages comme un bon de livraison gratuite et l'accès à des pop-up stores. Et les clients qui ont dépassé les cinq commandes accèdent à des promotions exclusives, comme le remboursement accéléré ou une hotline dédiée, et même un magazine baptisé Sheinista.

Des promos pour tout le monde. © Capture d'écran Shein

"Shein, c'est aussi une plateforme hyper innovante, qui joue sur la gamification et la mise en place de quêtes au sein du site, pour créer de l'engagement", constate Jean-Baptiste Bourgeois. Une logique de gamification qui favorise également la discussion autour de la marque, en témoigne toutes les vidéos partagées par des client(e)s qui expliquent comment monter d'échelon, comment bénéficier de paniers gratuits ou, pour quelques privilégié(e)s, comment accéder à un programme d'essai gratuit de vêtements. "On trouve énormément de vidéos avec des titres clickbait genre 'Découvrez comment gagner un code Shein' sur Youtube", confirme Jean-Baptiste Bourgeois. Autant de publicité (quasi) gratuite pour la marque.

La mécanique est suffisamment efficace pour limiter les investissements de la plateforme en contenu. "On voit pas mal de traductions aléatoires ou de fautes d'orthographes sur le site français, ce qui laisse penser que c'est un robot qui a traduit à la volée", constate Jean-Baptiste Bourgeois. Pas de quoi formaliser pour autant une clientèle qui continue à répondre présent. "La moitié de la clientèle de Shein est aujourd'hui âgée de 15-24 ans, c'est trois fois plus que le reste du marché", constate Hélène Janicaud. Son dumping tarifaire a permis au géant chinois de se tailler une place de choix auprès d'une population délaissée par les acteurs historiques. "Il y avait un vrai manque d'offre dédiée à cette population adolescente", confirme Hélène Janicaud. Et ça paye… Shein aurait réalisé près de 10 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2020 et était valorisé 47 milliards de dollars en juin dernier.