Management de l'innovation du multimédia mobile chez les opérateurs télécoms

Les opérateurs, en 'co-opétition' croissante avec les géants de l'Internet, développent de nouvelles stratégies dans des logiques "tout-écran". Dans ce déploiement de services et contenus sur tous les supports digitaux, le management de l'innovation redevient une priorité.

C'est un nouvel entrant, Apple, qui redéfinit les standards du multimedia mobile. Le succès récompense la création d'un écosystème vertueux qui facilite la découverte, puis l'utilisation et l'achat de nouveaux services. Ce succès illustre également les risques forts de désintermédiation des portails mobiles opérateurs. Il est désormais très facile pour un client d'acheter directement le Guide Michelin sur son iPhone (7,99€, dont une quote part pour Apple) et de se rendre au restaurant étoilé de son choix en utilisant Google Maps.

Dans ce contexte, quels doivent être les services, les innovations, la proposition de valeur pour un opérateur, alors que les progrès technologiques (ergonomie des softwares, navigateur full HTML, écrans...) rendent transposable en mobilité une grande part de l'univers de services qui a soutenu l'explosion du web ? Quelles sont les pistes pour renforcer les services et développer les revenus associés ?

ICME a tiré les enseignements de ses nombreuses expériences et propose des orientations et conseils opérationnels pour un agenda d'innovation multimedia mobile 2009-2012.

Parmi les thèmes abordés : l'importance d'une vision résolument centrée client et d'une obsession de l'expérience utilisateur, les enjeux à gérer la complexité croissance du parc terminaux, la prédominance du software comme facteur d'innovation et de différenciation, les enjeux commerciaux grand public de sujets présumés "techniques" : enablers et APIs ....

Identifier des relais de croissance : une priorité pour les opérateurs
 
La recherche d'une taille critique pour amortir des investissements importants sur des bases clients plus larges (déploiement des infrastructures ADSL, puis de la fibre, de la 3G, puis de la 4G...) d'une part, la nécessité de proposer des offres convergentes fixe-internet-mobile-IP TV d'autre part, ont favorisé la consolidation du marché.
 
Aujourd'hui, Orange, SFR, Bouygues Telecom et peut-être bientôt Free, sont des acteurs globaux, présents sur le broadband, le mobile, le grand public et l'entreprise et, à des degrés divers, sur les contenus. Ils sont en 'co-opétition' croissante avec les géants de l'Internet (Google, Yahoo, Microsoft,...) qui proposent des services de communications, les équipementiers (Nokia...) qui cherchent à évoluer vers les services et les médias qui se déploient sur le web.
 
Dans ce contexte de consolidation et de compétition accrues, et au delà d'une vigilance renforcée sur la maîtrise des coûts, le management de l'innovation redevient une priorité. Des relais de croissance sont en effet nécessaires, ne serait-ce qu'au maintien des résultats.
 
On observe ainsi une forte effervescence autour de nouvelles activités (IP TV, TV mobile, Catch-up TV et vidéos sur le net), de nouveaux business models liés à la publicité sur le web et sur le mobile, et de  nouveaux services de l'Internet mobile....
 
L'Internet Mobile est au coeur de l'innovation et de la convergence  
L'utilisateur -dont le point de vue est encore trop souvent négligé dans les faits- se trouve confronté à une myriade de services, plus ou moins simples d'usage, plus ou moins disponibles en mobilité et plus ou moins convergents. Tandis que l'usage des sms et des services de communication plus évolués (mail, messagerie instantanée...) se démocratisent sur les téléphones portables, d'autres usages liés à la géolocalisation, à la recherche de proximité, aux jeux ou à la navigation sur Internet focalisent l'attention.
 
Comprendre le marché et ses usages, la « juste valeur » des services devient une nécessité pour les opérateurs. Anticiper les tendances... un réel avantage concurrentiel.
 
 
Apple redéfinit les standards du multimedia mobile  
Mais quels doivent être les services, les innovations, les propositions de valeur pour un opérateur, alors que les progrès technologiques (débits, coûts et taille des composants, ergonomie des écrans et des softwares, navigateurs full HTML...) rendent transposable en mobilité une grande part de l'univers de services qui a soutenu l'explosion du web ?
 
La voie est montrée par Apple, qui réinvente les nouveaux standards des services mobiles, après ceux de l'industrie musicale :

- Des parts de marché iPhone en croissance forte  (Plus de 13,5 M d'iPhone vendus, + 88% entre Q4 08 et Q4 07)

- Un décollage explosif de l'Apps Store (Plus de 20 000 applications, plus de 500 M de téléchargements ...en 6 mois !)

-  Un effet booster de la progression de l'Internet mobile ( 68% de la progression de l'Internet mobile , 55% des provenances mobiles sur Internet en France début 2009 (Source Mediamétrie))

- ...et un niveau de satisfaction client et de 'Brand equity' sans comparaison dans l'industrie.
 
Le succès de l'iPhone récompense non seulement  la qualité du design du terminal multimedia (téléphone, iPod, terminal Internet), mais aussi la création d'un écosystème vertueux qui facilite la découverte, puis l'achat et l'utilisation de nouveaux services :
 
Pourtant, lors du dernier congrès GSMA 2009 (1) de Barcelone, cet acteur désormais central des services mobiles n'était pas présent !
 
 
Pourquoi Apple, nouvel entrant, redéfinit-il les règles du jeu dans le multimedia mobile ?
 
Les rythmes d'innovation s'accélèrent. Les parts de marché peuvent donc se prendre ...mais aussi se perdre très vite. Le dernier GSMA en a fourni l'illustration.
 
Les leaders d'aujourd'hui sont Nokia, Samsung, LG, mais aussi RIM, Apple et HTC sur le marché des smartphones. Les nouveaux venus se nomment Acer (nouveaux smartphones sous Windows Mobile), Garmin-Asus ('phones for the location-based life') ou Huawei.
 
Les leaders d'il y a seulement quelques mois, comme Motorola ou Sony-Ericsson, apparaissent en retrait lors de ce GSMA et dans l'actualité. Nokia annonce de son côté des suppressions de postes et doit rentabiliser l'acquisition pour 5.8 Mds € de Navteq. Certes, l'opérateur finlandais fait du buzz sur mosh et l'ouverture de l'Ovi store en Mai (me-too du modèle Apple), mais avec quel retard par rapport au leader ? De même, une ou deux nouveautés seulement sur la plateforme Android de Google, pourtant annoncée depuis plus d'un an!
 
Même si les équipementiers historiques ont pu faire étal de leur capacité d'intégrer une liste impressionnante de fonctionnalités dans un terminal multimedia de moins de 150g (du DVB-H à l'A-GPS en passant par la capture video au format divX ou au picoprojecteur!), l'acteur central présent au GMSA était peut-être bien au final l'éternel rival d'Apple, Microsoft avec Windows Mobile 6.5!
 
Quels enseignements tirer de cette évolution du rapport de forces ? Le succès d'Apple récompense :

-   Une vision résolument centrée client de la stratégie produits et services (iPod, iPhone, iPhoto, iWeb ...)

-   Une obsession de l'expérience utilisateur, traduite concrètement par les efforts consentis dès la conception sur l'intégration des services entre eux
 
La prédominance du software sur le hardware comme facteur de différenciation et d'innovation

-  Le meilleur time-to-market
 
La pénétration forcément limitée de l'iPhone (du fait de son prix, des modèles et niveaux de subvention opérateur) laisse cependant aux opérateurs une opportunité forte de ne pas subir le marketing - myope?- des autres constructeurs de terminaux : délivrer et marketer, sur le reste du champ de bataille des terminaux une promesse client et un univers de services cohérents sur un parc à la complexité croissante (combinatoire terminaux x OS x écrans x navigateurs x services). 
   
Une voie pour soutenir l'innovation chez les opérateurs : Vision et excellence opérationnelle
« To turn really interesting ideas and fledging technologies into a company that can continue to innovate for years, it requires a lot of disciplines » Steve Jobs.
 
La première étape pour les opérateurs consiste à développer une vision à moyen et long terme de leur proposition de valeur.
 
Développer une telle vision nécessite bien sûr de comprendre le marché, le développement des usages (du lycéen à la grand-mère, en passant par le geek qui paramètre du SIP sur son smartphone avec sa freebox) et si possible de les anticiper. Plus facile à dire qu'à faire : ...combien de décideurs ont-ils déjà eu l'idée de lire un livre avec Stanza par exemple ? 
 

La seconde étape est une évaluation objective de leurs actifs et savoir-faire, et une analyse des meilleurs services et business models permettant de les valoriser. Ces actifs sont en effet nombreux :

-  La maîtrise du réseau d'accès et, dans une certaine mesure, du « premier écran » (2)

- Des réseaux de distribution en place

- Des capacités de services client

- Un pouvoir réel de négociation vis-à-vis des constructeurs de terminaux

- Des bases clients importantes, permettant la négociation de partenariats à valeur ajoutée

- Des moyens financiers parfois importants

- Un historique des usages voix et broadband

- De fortes compétences IT...
 
Quelques initiatives récentes illustrent, avec une maturité différente, les voies à creuser, avec valeur client et time-to-market comme principes fondateurs:

- Univers musique développé par SFR
- My social place, Friendize ... d'Orange
- Partenariats opérateurs / MSN Messenger

La troisième étape vise à prototyper puis industrialiser de tels services et à les déployer sur des bases client plus larges.

C'est à ce stade que l'excellence opérationnelle doit permettre la réalisation de la vision. Le challenge de l'articulation avec les SI (facturation, CRM) et le Réseau est fort. Ceux du déploiement dans différents pays ou de l'intégration dans les portails ne le sont pas moins. 
  

Une opportunité considérable pour contrer les risques de désintermédiation du off-portal : l'intégration des services !
 
Outre ce challenge opérationnel, les opérateurs font face à un second écueil : cet univers de services innovants ne peut être envisagé en 'base zéro'. Leurs clients ont déjà un compte messenger, hotmail ou gmail, leurs newsletters personnalisées et sont déjà membres de réseaux sociaux (Facebook, Viadeo, Meetic, LinkedIn...). Ces usages, qui sont les succès d'audience et de temps passé du web, sont aujourd'hui, couplés aux LBS (3) et aux jeux, les premiers vecteurs de développement de l'Internet Mobile.
 
Le succès d'Apple illustre que la recherche de la meilleure ergonomie et de la simplicité des services proposés aux clients doit figurer au sommet des priorités. Et paradoxalement, c'est la complexité des écosystèmes fondateurs des nouveaux services Internet mobile qui offre aux opérateurs une perspective de proposition de valeur unique  (cf illustration) :

- en mettant en place l'infrastructure d'enablers permettant de rendre simple l'accès à des univers de services variés

- en favorisant l'innovation par la définition et la mise en place d'une stratégie d'ouverture des APIs (3)

- en développant une proposition de services adaptée à chaque segment du parc client, en fonction de l'OS mobile et du type de navigateur (du WAP au full HTML)

- en investissant sur les contenus et plateformes de services à plus forte valeur ajoutée (SIG (3) convergent web/mobile, contenus premiums...)
 
L'alternative ? De plus en plus de clients payeront directement 7,99 € au guide Michelin (avec une quote-part à Apple ou Nokia) pour avoir les restaurants étoilés sur leur mobile, leurs coordonnées, et leur guidage pour s'y rendre ; les opérateurs ne toucheront plus que la rémunération liée au transport des données. 

 
Agenda d'innovation multimedia mobile 2009-2012  
Cette analyse permet de dresser une première liste des facteurs clés de succès pour les  opérateurs dans le multimedia mobile :

- La formulation par les dirigeants d'une vision et l'incarnation constante d'un état d'esprit tourné vers l'innovation  (proposition de valeur au client, ergonomie des services, simplicité, scénarios d'usage cohérents avec l'équipement du parc client)

-  L'exigence d'excellence opérationnelle dans la mise en place de cette vision (Articulation R&D, marketing et SI/Réseaux, Anticipation du déploiement dans les différents pays pour les opérateurs internationaux)

- La création et la gestion d'un écosystème de partenaires : Identification des activités plus performantes via la mise en place de partenariats (par ex. : Musique, long tail des applications sur mobile et monétisation associée...), Support et animation des partenaires externes

- La valorisation du service client pour se différentier des acteurs de l'Internet

- Le développement d'une communication client orientée sur les usages

- Une attention renforcée sur la validation des modèles économiques dans les phases amonts

- Une meilleure utilisation de l'adhérence des clients aux services de self-care.
 
Quelques autres domaines porteurs d'enjeux forts
 
Enfin, au-delà de cet agenda opérationnel, de nombreuses pistes semblent prometteuses pour renforcer les services et développer les revenus associés :
 
- La valeur des contenus proposés, y compris les contenus adultes (cf. retour d'expérience SMS+/ Gallery)

- La VoD et le téléchargement de contenus sur mobile (cf. initiatives récentes de Microsoft et Sony sur leurs consoles de jeux)

- Les jeux on-line (quid sur les autres plateformes que l'iPhone et l'iPod ? quelles barrières aux jeux MMO (4) sur mobile ?)

- L'ouverture du marché des jeux d'argent on-line. Quel positionnement pour les opérateurs ?

- La mise en place de solutions  peer-to-peer industrielles et légales sur le canal web 
 
 
(1) : Mobile World Congress
(2) : Orange World, Vodafone Live ! ou i-mode sur le mboile, page d'accueil paramétrée par défaut dans le logiciel de connexion broadband pour les FAIs
(3) : LBS : Location Based Services ; SIG : Système d'Information Géographique ; API : Application Programming Interface
(4) : Jeux en ligne massivement multi-joueurs