Qui contrôle le "réseau" ?

A l'heure où l'accord entre le Département du commerce américain et l'Icann touche bientôt à sa fin, la question de la gouvernance de l'Internet va à nouveau être au centre des débats. Le "réseau" est déjà au centre de toutes les attentions. L'enjeu est devenu stratégique pour les Etats.

Attaque cybernétique, usurpations d'identité, atteintes aux droits de propriété intellectuelle, évolutions des priorités stratégiques de l'Icann, organisme chargé de l'attribution et de la gestion des noms de domaines.....quel que soit le domaine ciblé, l'actualité de l'Internet remet constamment la question de sa gouvernance au centre des débats.

Depuis sa création et sous l'influence des codes, le WorldWide Web n'a cessé de grandir et de se diversifier au rythme des applications, des contenus et des réseaux. L'évolution de l'Internet est cyclique : la technologie numérique crée les besoins, leur emploi crée les usages, leur massification crée de nouvelles demandes auxquelles répondent de nouvelles technologies numériques (les évolutions d'utilisation du peer-to-peer, du très haut débit ou de la VoIP en sont une illustration claire). Là est un élément fondamental : l'interaction constante entre les codes et les usages façonne la régulation de l'Internet. Mais une régulation en évolution continue, où le "mouvement perpétuel" du réseau crée sa propre règle, et non une exception au droit.

Face à ce nouveau modèle en développement, les Etats ont perdu progressivement le contrôle. Alors en plein repositionnement stratégique, ils ont laissé à quelques entreprises influentes et à la "communauté des utilisateurs" le soin de développer de nouvelles normes et de nouveaux standards (les stratégies marketing d'Apple à travers le couple Itunes-Ipod ou les nouvelles demandes en matière de datamining liées aux réseaux sociaux sont deux illustrations majeures). Certes, des tentatives de réglementation nationale se font jour régulièrement, mais l'évolution de l'Internet aura toujours une longueur d'avance sur celle des lois, et les rend donc inopérantes.

Le constat est clair : la logique étatique "traditionnelle" de contrôle de l'Internet sera à l'avenir obsolète. Elle a perduré jusqu'à aujourd'hui avec une domination géostratégique des Etats-Unis via l'Icann. Mais l'Internet de demain, marqué par le développement des objets "intelligents" et une plus grande multi-polarisation du réseau, remettra fortement en cause cette logique établie. 

Une autre posture des Etats face à la gouvernance de l'Internet doit donc être trouvée. Une posture non plus basée sur le contrôle de l'Internet, mais sur la capacité dissimulée à utiliser la "vie du réseau" pour en faire une force stratégique (attaque massive contre l'Estonie en 2007 et contre la Géorgie en 2008, attaques de sites israéliens par des hackers marocains...). Une posture non plus basée sur la maîtrise des voies de communication, mais sur la maîtrise technique de l'information circulante. Dans ce nouveau schéma, le "réseau" est central. Les Etats n'en sont que des acteurs éclairés. L'identité numérique constitue leur nouveau moyen d'action stratégique.

La gouvernance de l'Internet ne peut donc plus se résumer à une logique de souveraineté étatique. Les critiques véhémentes qui ont entouré les discussions autour du projet de loi "Création et Internet" en France, et ses résonances au niveau européen, en sont l'illustration parfaite : elle résulte d'un équilibre subtil marqué par les apports diversifiés de chaque acteur sur la "vie du réseau" (Etats, Entreprises, communauté des utilisateurs). Ce n'est qu'au sein de cet équilibre que les Etats, comme les entreprises, devront repenser leur posture stratégique face à l'Internet et assurer leur protection.