4 millions de dollars dépensés en lobbying "Noms de domaine"

Le lobbying est une activité officielle et légitime en Amérique. Même en ce qui concerne les noms de domaine…

Pratique encore trop souvent considérée comme douteuse en France, le lobbying est tout à fait accepté aux Etats-Unis. Il y a même une loi, le "lobbying disclosure act", visant à garantir le maximum de transparence autour de cette activité. Datant de 1995, elle oblige les lobbyistes accrédités à soumettre des rapports trimestriels sur leurs activités (voir http://lobbyingdisclosure.house.gov/ pour plus d'informations).
 
Un site Internet américain a épluché ces rapports, et plus particulièrement ceux ayant trait au lobbying sur les noms de domaine. Vus du Vieux Continent, les chiffres résultants de ces épluchures peuvent surprendre. En tout, $3,965 millions auraient été "investis" dans des actions de lobbying en rapport avec l'industrie du nommage sur Internet en 2009.
 
Des enjeux financiers importants 
Le plus important lobbyiste est le poids lourd du secteur : Verisign. Cette société américaine est responsable du bon fonctionnement du .COM et du .NET. En tant que tel, elle est le plus gros contributeur unique au budget de l'Icann, l'instance de régulation de l'Internet. Pour l'année fiscale 2010 (l'Icann fixe la sienne du 1e juillet au 30 juin de chaque année calendaire), le budget de l'Icann devrait s'élever à $54,4 millions, le régulateur empochant $63,6 de recettes sur la même période.
 
Une grosse part de ces recettes provient de la vente de noms de domaine : L'Icann perçoit une taxe sur chaque nom vendu. Une partie de ces taxes est versé par les registres, c'est à dire les gestionnaires d'extensions (comme Verisign pour le .COM) et une autre par les bureaux d'enregistrement accrédités (appelés registrars en Anglais) comme Indom. Or, en 2010, le montant de la taxe à payer  à l'Icann par Verisign (pour les 87,3 millions de noms en .COM et les 13,8 millions de noms en .NET) est estimée à $28,3 millions !
 
Cette taxe peut sembler colossale mais est, bien entendu, proportionnée aux bénéfices qu'engendre Verisign à gérer les deux principales extensions historiques de l'Internet. On le comprend donc, la société a tout intérêt à surveiller de prêt ce que fait l'Icann et à soigner ses relations avec les ministères américains en charge de légiférer les noms de domaine. Verisign est aussi très présent au sein même de l'Icann. Un exemple : le président du GNSO, dont j'assure la vice-présidence, est un employé de Verisign. Or, le GNSO est justement l'entité au sein de l'Icann en charge d'élaborer les règles et les politiques pour les extensions génériques comme le .COM ou le .NET...
 
En 2009, Verisign n'a donc pas hésité à dépenser 2,4 millions de dollars en lobbying. Les règles fixées par l'Icann en matière de nommage (et sur lesquelles le gouvernement américain garde un oeil très attentif) ou celles visant à combattre les abus notoires comme le phishing sont parmi les sujets abordés par les lobbyistes représentant la société lorsqu'ils ont approché les politiques américains.
 
Si Verisign est loin devant en dépenses lobbying, un autre poids lourds du secteur arrive en 2e position. GoDaddy, le plus important registrar du monde par volume de noms (en mars 2010, la société a annoncé avoir dépassé les 40 millions de noms en gestion), a dépensé 715 500 dollars en 2009, se focalisant plus particulièrement sur la publicité en ligne (comprenez les liens sponsorisés et autres systèmes de rémunération par click, très importants pour les clients de type domainers qui utilisent les services de GoDaddy).
 
L'Icann aussi ! 
Surprise, c'est l'Icann qui arrive en 3e position dans le hit parade des dépenses de lobbying noms de domaine. Certes avec un budget nettement moins important, puisque "seulement" 240 000 dollars ont été dépensés en 2009. Il est cependant très intéressant de voir que même le régulateur du secteur n'hésite pas à mettre la main au portefeuille pour s'assurer que les politiques soient bien au courant des problématiques jugées importantes par ce dernier.
 
D'après le rapport "lobbying disclosure act" de l'Icann, ses actions ont portées entre autre sur les nouvelles extensions (voir ma chronique : Les nouvelles extensions, trop méconnues, du 06/10/2009) et la question de son indépendance par rapports aux gouvernements. Justement, en 2009, l'Icann et le Département du commerce américain ont mis un terme à la série de contrats qui les liait depuis la création de l'Icann en 1998 et qui donnait à l'administration américain un contrôle privilégié sur cet organisme par rapport aux autres pays. Coïncidence ? Difficile d'y croire. A n'en pas douter, les actions de lobbying de l'Icann ont, sinon porté leurs fruits, au moins eu un impact.
 
Partant de ce constat, le système américain apparaît honnête et transparent. Les liens entre la sphère politique et l'industrie ont toujours existés. Ils sont d'ailleurs absolument nécessaires pour permettre aux hommes politiques d'avoir une meilleure connaissance des dossiers sur lesquels ils ont à légiférer ou à réfléchir. Les acteurs d'un secteur industriel, quel qu'il soit, sont bien placés pour en expliquer les tenants et les aboutissants en détail. Alors plutôt que de se voiler la face devant le lobbying, comme s'il s'agissait de poussière qu'on souhaite cacher sous le tapis, les Etats-Unis rendent cette pratique légitime en la faisant rentrer dans un cadre juridique.
 
L'évolution de l'Internet est aussi issue de ces actions de lobbying. Bien sûr, les acteurs du secteur qui "évangélisent" les politiques prêchent d'abord pour leurs paroisses et mettent en avant leurs propres intérêts. Mais, par capillarité, ce sont aussi les enjeux du secteur tout entier qui sont pris en compte. Plus les politiques ont conscience des spécificités d'une industrie, surtout lorsqu'elle est aussi nouvelle et qu'elle évolue aussi vite que celle de l'Internet, plus cette dernière a des chances d'être correctement prise en compte.
 
On le sait, en France les fonctionnements sont différents, le lobbying est parfois plus discret et les possibilités de sensibiliser les politiques à un problème spécifique sont plus diffuses. Et on aurait du mal à imaginer l'instance de régulation d'un secteur afficher ouvertement ses actions de lobbying auprès du gouvernement. Pourtant, dans le principe, qui de plus légitime que le régulateur pour défendre les intérêts de tout un secteur ?