Affaire Ryanair / Opodo : les données internet relatives aux vols de Ryanair sont-elles en open data ?

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt très attendu des acteurs du commerce numérique et plus spécialement de ceux intervenant dans le domaine du tourisme. La Chambre commerciale s’est en effet prononcé sur le conflit qui oppose depuis 2010 la compagnie aérienne low cost RYANAIR à l’agence de voyage en ligne la SAS OPODO.

    

Le contexte de l’affaire

Dans un contexte amplement favorable à l’innovation numérique, à la circulation des données et à l’open data, beaucoup se sont étonné des actions en justice menées par la compagnie RYANAIR à travers l’Europe contre les agences de voyages en ligne qui reprennent les informations de la base de données RYANAIR, relative aux vols, disponibilités, horaires et tarifs, pour proposer des billets d’avions et autres services.

 

Toutefois, la réaction de la compagnie RYANAIR face à ce qu’elle estime être une extraction et une réutilisation substantielle du contenu de sa base de données constitue une défense classique, adoptée par tout titulaire de droits d’auteur subissant une atteinte à son droit d’exploitation.

 

En effet, l’article L 112-3 du CPI prévoit notamment que l’auteur d’une  base de données peut jouir de la protection instituée par le droit d’auteur lorsque cette base, par le choix ou la disposition des matières, constitue une création intellectuelle. Et, pour mieux encore protéger l’investissement consacré au contenu d’une base de données, une protection additionnelle et indépendante est prévue à l’article L 341-1 du CPI, qualifiée de droit sui generis.

 

Lorsqu’ils subissent une atteinte à leurs droits portant sur des créations intellectuelles, les titulaires de ces droits revendiquent volontiers la protection juridique du droit d’auteur. Face à pareilles revendications, le juge veillera à rétablir l’auteur de l’œuvre dans ses droits. Mais ce faisant il doit s’assurer qu’il ne contribue pas à conférer un monopole ou la réservation d’un champ de création au bénéfice d’un titulaire, c’est-à-dire aboutir à une surprotection.

 

En effet, afin de favoriser la dynamique des créations intellectuelles il est nécessaire, paradoxalement, que la protection des droits d’auteur n’aboutisse pas à la réservation d’un marché empêchant toute nouvelle création.

 

Cela est particulièrement vrai avec l’environnement numérique où les créations utilitaires telles que les bases de données constituent une valeur essentielle de l’Internet et de la société de l’information, dont la circulation est à la base de l’innovation numérique.

 

Profitant de la protection juridique élevée que lui offre le droit d’auteur en matière de base de données, la compagnie RYANAIR a dans cette affaire revendiqué cette protection, en invoquant le bénéficie du droit sui generis qui protège le producteur d’une base de données contre les extractions et réutilisations sans autorisation  de sa base de données.

 

La condition posée par cet article afin de bénéficier de la protection par le droit sui generis est la réalisation par le producteur d’un investissement substantiel financier, matériel ou humain, dans la constitution, la vérification et la présentation de la base de données.

 

L’intérêt essentiel de la présente décision, en ce qui concerne la protection de la base de données, réside donc dans l’appréciation de l’investissement consacré à la constitution de la base de données. L’investissement réalisé était-il suffisamment substantiel sur le plan financier, matériel ou humain pour accorder à la base de données RYANAIR la protection du droit sui generis ?

 

Faits et arguments en présence

La compagnie RYANAIR qui souhaite commercialiser ses vols directement et sans intermédiaire sur son site Internet a constaté que la SAS OPODO, agence de voyage en ligne, proposait aux internautes visitant le site Opodo.fr de réserver des sièges sur les vols RYANAIR, alors qu’aucune autorisation en ce sens ne lui avait été accordée.

 

RYANAIR reproche à la SAS OPODO de scanner quotidiennement le contenu de son site et de réutiliser ce contenu sur le site Opodo.fr pour vendre les vols RYANAIR, augmentés de frais et commissions pouvant représenter jusqu’à 30 % du billet, l’internaute étant tenu dans l’ignorance quant au bénéficiaire des commissions prélevées.

 

L’extraction et la réutilisation du contenu de la base de données RYANAIR par OPODO porteraient ainsi préjudice à la compagnie aérienne, en violant les droits d’auteurs qu’elle détiendrait sur sa base de données. La compagnie soutenait également que l’utilisation de sa marque par la SAS OPODO caractérisait la contrefaçon de la marque RYANAIR.

 

La compagnie RYANAIR sollicitait donc la condamnation de la S           AS OPODO à une somme avoisinant les 3 millions d’euros sur le fondement notamment de l’article L 341-1, L 342-1 et L 716-1 du CPI.

 

Pour sa part la SAS OPODO conteste à la compagnie RYANAIR le bénéfice de la protection issue du droit sui generis prévu à l’article L 341-1 en soutenant une absence d’investissement substantiel pour l’obtention, la vérification et la présentation de la base de données RYANAIR. Elle nie par ailleurs avoir effectué une extraction d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base de données RYANAIR qui est accessible au public.

 

Concernant l’argument de contrefaçon de la marque RYANAIR, la société OPODO conteste avoir porté une atteinte à la fonction essentielle de la marque puisqu’elle utilise la marque de la compagnie pour commercialiser non pas ses propres services mais les vols RYANAIR. De plus, l’agence de voyage soutient que l’article R 322-4 du Code de l’aviation lui impose sous peine de sanction de communiquer aux consommateurs l’identité du transporteur aérien, c’est-à-dire en l’espèce la compagnie RYANAIR.

 

A titre reconventionnel la SAS OPODO sollicite la condamnation de la compagnie RYANAIR à des dommages et intérêts pour avoir commis à son encontre un acte de concurrence déloyale en publiant dans la presse un article la dénigrant : «Opodo est tenu par un consortium de compagnies aériennes à tarifs élevés, Ryanair fait de la vente directe, les passagers devraient donc éviter les agents de voyage en ligne qui les arnaquent en leur imposant des surcharges à des prix exorbitants et trompent les passagers ».

 

Le TGI de Paris puis la Cour d’appel vont rejeter toutes les prétentions de la compagnie RYANAIR et en particulier celle relative à la protection de sa base de données par le droit sui generis, bien que la cour ait reconnu parallèlement que « les informations et données constituent une base de données au sens de l’article L 112-3 du CPI, susceptible d’être protégée par le droit sui generis ».

 

La Cour condamnera par ailleurs la compagnie RYANAIR à verser à la SAS OPODO 30.000 euros de dommages et intérêts au titre du dénigrement à son encontre.

 

Le pourvoi formé par la compagnie RYANAIR reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir notamment écarté la protection par le droit sui generis au motif qu’il n’est pas démontré que les investissements informatiques réalisés à hauteur de 462 000 euros mensuels l’ont été pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données.

 

Un second moyen viendra critiquer l’arrêt d’appel ayant retenu un usage licite de la marque RYANAIR sur le site OPODO.fr et soutiendra principalement que l’usage de la marque RYANAIR par la société OPODO n’est pas conforme aux usages honnêtes en matière commerciale dès lors que cet usage vise à laisser penser qu’un lien commercial unit les deux sociétés.

 

La décision de la Chambre commerciale

La Chambre commerciale rejette le pourvoi. En ce qui concerne l‘investissement, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d’avoir « exclu du champ de l'investissement entrant dans la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de ladite base, tant le coût des logiciels destinés à assurer le fonctionnement du système de gestion commerciale que les dépenses relatives à l'application informatique de la billetterie », lequel investissement ne revêtait donc pas un caractère substantiel.

 

A propos de l’usage de la marque RYANAIR, la Cour retiendra que la SAS OPODO n’a fait usage du signe protégé « que pour désigner, de manière nécessaire, les services de transport aérien de RYANAIR qu’elle proposait au consommateur ». La contrefaçon de marque n’est donc pas ici caractérisée.

 

L’absence d’investissement substantiel par le producteur de la base de données

Afin de garantir les intérêts économiques de la personne qui consacre des investissements pour collecter, vérifier et présenter des informations sous la forme d’une base de données, l’article  L 341-1 du CPI lui offre une protection contre l’extraction et la réutilisation des données sans autorisation.

 

Il s’agit d’un droit sui generis instauré par la directive du 11 mars 1996 relative à la protection juridique des bases de données et indépendant selon la CJUE des règles prévues par le droit d’auteur (CJUE 5 mars 2009 : aff. C-545/07). Ainsi, le producteur d’une base de données peut bénéficier de la protection par le droit sui generis indépendamment de toute originalité des données ou de la base de données elle-même.

 

Pour bénéficier de cette protection il suffit d’apporter la preuve d’un investissement substantiel financier, matériel ou humain dans la constitution, la vérification et la présentation du contenu de la base de données.

 

En l’espèce, la compagnie RYANAIR n’est pas parvenue à apporter la preuve d’un tel investissement dans la constitution du contenu de la base de données. Le fait que sa base de données ait été considérée comme originale au regard de l’article L 112-3 du CPI n’a pas d’incidence pour la mise en œuvre du droit sui generis. 

 

Si la compagnie RYANAIR a effectivement soumis au juge le rapport d’un expert informatique, attestant d’un investissement par la compagnie d’un montant de 15 millions d’euros sur quatre ans pour la mise en place et le fonctionnement de son système informatique de billetterie et logiciel de gestion commerciale, cet investissement financier et matériel ne concerne pas directement la constitution, la vérification et la présentation de sa base de données.

 

En d’autres termes, si la compagnie a échoué à apporter la preuve d’un investissement substantiel c’est en raison de la confusion qu’elle a opérée entre ses investissements techniques et informatiques et les moyens consacrés à la recherche des éléments existants, à leur vérification et à leur rassemblement au sein d’une base de données, selon les termes employés par l’arrêt de la CJCE du 9 novembre 2004 (CJUE 9 nov. 2004, The British Horseracing Board LTD C-203/02).

 

Le producteur d’une base de données qui revendique le bénéfice du droit sui generis doit selon la jurisprudence démontrer qu’il a consacré des moyens pour obtenir les données mais également pour en vérifier la fiabilité.

 

Or dans le domaine numérique la preuve de ces moyens est d’autant plus nécessaire que les acteurs de l’Internet ont la possibilité de collecter des données de manière automatisée et de vérifier leur exactitude à l’aide de logiciels. C’est pour cette raison que la jurisprudence, spécialement celle de la CJUE, est venue resserrer la notion d’investissement substantiel consacré à la constitution du contenu d’une base de données.

 

C’est ainsi que la Cour de cassation exige du producteur de la base de données qu’il rapporte la preuve de moyens consacrés cumulativement à la constitution et à la vérification des données. Ainsi, une société spécialisée dans les annonces immobilières n’a pu bénéficier de la protection du droit sui generis pour sa base de données car elle ne vérifiait pas la fiabilité des annonces proposées par les internautes (1ère Chambre civile, 5 mars 2009, n°07-19734).

 

En l’espèce, il y a lieu d’approuver la solution retenue par la Chambre commerciale dans la mesure où la compagnie RYANAIR ne démontre à aucun moment qu’elle aurait consacré des moyens pour collecter les données et vérifier leur fiabilité ou leur mise à jour.