Le modèle des super apps asiatiques coince en Europe

Le modèle des super apps asiatiques coince en Europe Wechat, Alipay, Go-jek, Kakao… Ces applications à tout faire cartonnent en Asie. Pourtant, le modèle peine à émerger sur le Vieux continent.

Les super apps asiatiques interrogent nos modèles européens. Sans sortir de leur écosystème, ces appli mobiles permettent aux utilisateurs de gérer toutes les tâches du quotidien. "Wechat permet de prendre rendez-vous à l'hôpital comme de regarder une vidéo, de discuter et partager des photos avec ses amis, ou encore de commander un taxi jusqu'à acheter sur un site en ligne", illustre Andrea Ghizzoni, directeur Europe de Tencent, dont la messagerie à tout faire Wechat revendique 963 millions d'utilisateurs. Même son de cloche chez Alipay, la branche paiement d'Alibaba, et ses 620 millions d'utilisateurs chinois. "Nous sommes plus qu'un simple moyen de paiement. Nous allons au-delà avec de la communication entre amis, du partage d'argent, de la location de vélo, de la réservation de restaurant… Jusqu'à la prise de rendez-vous chez un médecin", explique Jean-Cyrille Girardin, directeur Europe des partenariats stratégiques chez Alipay.

Ces deux services ne sont pas seuls sur le créneau en Asie. Avec son offre d'application tout en un en Chine, Meituan prépare une introduction en bourse estimée à 60 milliards de dollars. Go-jek a aussi levé 1,2 milliard de dollars en mai 2017 pour développer un service à tout faire en Indonésie. En Corée du Sud, Kakao cartonne avec son appli mêlant à la fois paiement, e-commerce et chat. A fin 2017, cette messagerie rassemblait 42 millions d'utilisateurs sur une population d'environ 50 millions de personnes.

Depuis le début 2018, Tencent a réalisé près de 54 investissements dans des jeunes pousses

Mais si ces super apps dominent en Asie, le modèle peine à percer dans les pays occidentaux. "En Europe, nous sommes dirigés par les grands acteurs américains. L'évolution des modèles passera donc par les Etats-Unis. Seuls les services originaires de là-bas ont la taille critique suffisante pour y parvenir", analyse Paul Amsellem, président de la régie mobile madvertise et fin expert des évolutions du mobile. Or, pour l'instant, les Gafa n'ont pas encore enclenché le grand braquet. Certes, Facebook dispose de sa propre place de marché depuis octobre 2016. Dédiée à la vente entre particuliers, elle revendique 800 millions d'utilisateurs mensuels dans le monde. Par ailleurs, le réseau social permet les transferts d'argent entre particuliers sur Messenger. Apple a également tenté d'intégrer une sorte de magasin d'applications dans sa messagerie iMessage dès 2016. "Il s'agit de petites extensions, comme des outils météos intégrés. Cela reste assez gadget et marginal en comparaison de la stratégie d'un Wechat", remarque Paul Amsellem.

Vers la désintermédiation des stores d'applications

Le fonctionnement interne des Gafa nuit également au développement des super apps en Europe. "Wechat a ouvert son écosystème aux start-up pour tous les services de la vie : commander un billet de train, réserver un taxi, acheter, faire des virements entre amis… Ce n'est pas Wechat qui s'occupe de tous ces services, mais ils ont l'habitude de faire des partenariats", explique Denis Barrier, directeur général et cofondateur du fonds Cathay innovation. Depuis le début de l'année 2018, Tencent a en parallèle réalisé près de 54 investissements dans des jeunes pousses. "Ce n'est pas la culture de Facebook par exemple, qui reste dans une logique fermée et développe ses services en interne", continue Denis Barrier, à l'image de Facebook Marketplace.

Wechat compte près de 580 000 mini-programmes pour 170 millions d'utilisateurs chaque jour

S'il venait à percer, le modèle des super apps pourrait désintermédier les stores d'applications en Europe. A quoi bon télécharger une application de taxi ou d'e-marchands quand elle se trouve déjà dans la super app ? Pour enfoncer le clou, Wechat a lancé en Chine ses mini programme en janvier 2017. Des applications tierces accessibles sur Wechat directement et sans téléchargement de la part de l'utilisateur. Wechat compte aujourd'hui près de 580 000 mini-programmes pour 170 millions d'utilisateurs chaque jour. De quoi mettre à mal les applications traditionnelles. "Facebook travaille avec Google Play et l'App Store d'Apple. Chacun s'est concentré sur son cœur de métier. Facebook ne semble pas avoir envie de les désintermédier", conclut Paul Amsellem.