Hjalmar Ståhlberg (Karma) "Les services de livraison de plats à domicile ont accru le problème du gaspillage alimentaire"

L'application de distribution d'invendus alimentaires suédoise s'est lancée en France en mars dernier. Elle compte rapidement lever de nouveau des fonds pour accélérer son développement en Europe.

JDN. Quel est le concept de Karma ?

Hjalmar Ståhlberg. Karma est une application qui a vocation à lutter contre le gaspillage alimentaire en permettant aux restaurants et aux supermarchés de revendre leurs invendus qui sont encore bons à être consommés plutôt que de les jeter. Nous sommes partis du constat alarmant qu'environ un tiers de la nourriture produite dans le monde chaque année part à la poubelle, soit près de 3 milliards de tonnes. D'origine suédoise, notre start-up emploie aujourd'hui 70 personnes, dont 8 à Paris, avec deux autres bureaux à Londres et Stockholm. Karma compte plus de 800 000 utilisateurs et 4 000 commerçants partenaires.

Comment fonctionne votre plateforme ?

En ouvrant notre application, un consommateur peut visualiser chaque jour les différents plats proposés par des restaurants autour de lui et se rendre sur place pour les récupérer. Il bénéficie au passage d'une réduction d'un minimum de 50% par rapport au prix de vente habituellement affiché par le restaurant. Si nous exigeons ce minimum de réduction, c'est pour être certain que les plats mis en ligne par les commerçants sur notre plateforme sont réellement des invendus qui seraient autrement partis à la poubelle et non des produits discounts comme le proposent certains de nos concurrents.

Comment arrivez-vous à convaincre ces restaurateurs et directeurs de supermarchés de changer leurs habitudes en terme de gaspillage alimentaire ?

L'intérêt de Karma pour les commerçants réside dans son efficacité : les invendus partent très vite. Par exemple, l'un de nos supermarchés partenaire à Stockholm compte près de 12 000 abonnés sur notre application. Lorsque des produits sont mis en vente, ils en sont immédiatement informés et tout est pratiquement vendu en quelques minutes. Il y a également un intérêt marketing pour les commerçants. En effet, 75% de nos utilisateurs qui viennent récupérer un produit invendu dans un supermarché complètent leur achat avec autre chose.

Si certains craignent pour leur image au début, ils s'aperçoivent très vite que les consommateurs accordent désormais beaucoup d'importance à la responsabilité des entreprises. En Suède, nous avons même des restaurants étoilés du guide Michelin qui jouent le jeu ! Enfin, nous aidons ces restaurateurs à mieux anticiper leurs futures ventes pour éviter la surproduction de plats.

Comment arrivez-vous à prédire ces ventes ?

Grâce aux données que nous collectons auprès des restaurants. Nos algorithmes peuvent alerter les restaurateurs sur les plats qui sont régulièrement invendus afin qu'ils puissent mieux en estimer la préparation en amont. Nous avons également développé un algorithme de prédiction qui prend en compte d'autres données. Par exemple, s'il existe un risque de pluie supérieur à 70% ce jour-là et qu'un restaurateur utilise Karma depuis plusieurs mois, nous pouvons lui indiquer des prévisions de vente sur ce jour précis en fonction de ses antécédents et des conditions météorologiques. Nous pensons que c'est en changeant les comportements d'achat des restaurateurs que nous pourrons réduire le gaspillage alimentaire sur le long terme, tout en leur permettant de faire des économies.

Quels sont les types de plats ou de produits qui sont mis en vente sur Karma ?

Il peut s'agir de produits de supermarchés dont la date de péremption arrive à échéance ou par exemple d'un restaurant japonais qui a préparé un nombre trop important de sashimis. Les restaurants sont également confrontés quotidiennement à des erreurs de commande, autrement dit à des plats qui vont repartir en cuisine sans même avoir été touchés. Ou bien à des commandes effectuées via des plateformes de livraison qui vont finalement être annulées. Les services de livraison de plats à domicile ont accru le problème du gaspillage alimentaire. Ces plats peuvent désormais être vendus sur une application comme la nôtre, à partir du moment où ils sont encore bons à être consommés.

Comment vous rémunérez- vous ? Le fait de développer une entreprise générant des profits est-il compatible avec la mission écologique et humanitaire que vous vous êtes fixé ?

Nous prélevons une commission équivalente à 25% du prix de chaque plat vendu sur notre plateforme. L'entreprise n'est pas encore rentable car nous réinvestissons tous nos bénéfices dans notre croissance. Pour autant, ma conviction est que, pour avoir un réel impact, il nous faudra développer un business générant d'importants profits. Le but n'est pas de devenir une multinationale qui distribue de gros dividendes à ses actionnaires. Notre objectif, au contraire, est d'utiliser ces profits pour développer notre solution partout dans le monde et espérer nous attaquer sérieusement à ce problème du gaspillage alimentaire qui coûte 1 trillion de dollars chaque année. Nous voulons donc bâtir une entreprise qui ne reposera pas sur des donations. Sans profits, nous ne serions qu'une association locale.

Vous êtes présent à Stockholm, Londres mais aussi à Paris depuis mars dernier. Quelle est votre stratégie marketing pour vous développer dans un nouveau marché ?

Nos équipes de vente sont chargées de démarcher les restaurateurs et supermarchés. Si au début nous nous occupions de convaincre les restaurateurs nous-mêmes, ils sont désormais nombreux à venir d'eux-mêmes. Nous envoyons à tous ces commerçants partenaires un petit kit marketing, qui inclut par exemple un autocollant "Nous sommes sur Karma". Dans beaucoup de petites villes, c'est parfois suffisant pour démarrer un mouvement à une échelle locale. Enfin, nous nous appuyons sur notre réseau d'ambassadeurs en permettant à nos utilisateurs de nous aider à trouver des restaurants partenaires en échange de crédits. Nous venons également de lancer ce mois-ci notre nouveau programme d'ambassadeurs rémunérés.

Ceux qui vous aideront à convaincre des partenaires seront donc rémunérés en cash ?

Oui. L'objectif de ce programme est de nous aider à nous développer dans des villes ou dans des pays où nous ne sommes pas encore présents. Nous collectons les informations et nous nous lançons sur le marché dès lors que nous avons suffisamment de restaurants partenaires. Ces derniers sont alors prévenus lorsque c'est le cas. En effet, si nous décidions de lancer Karma dans une zone géographique avec seulement un ou deux restaurants, notre concept ne fonctionnera pas. Nous essayons donc d'avoir systématiquement au moins entre 5 à 10 commerces partenaires dans une ville avant de nous y lancer. Notre programme d'ambassadeurs rémunérés devrait nous aider. Ces derniers percevront une commission comprise entre 20 et 50 euros en fonction du restaurant et du pays, puis 10 euros chaque mois si le restaurateur reste actif.

Quels sont vos objectifs pour la suite ? Après un tour de table de 12 millions de dollars réalisé en août 2018, une levée en Serie B est-elle à l'ordre du jour ?

Nous allons continuer notre développement en France et en Grande Bretagne en nous lançant dans d'autres grandes villes prochainement. Pour accompagner notre développement, nous lèverons probablement à nouveau des fonds l'année prochaine. Notre mission sur le long terme est de rendre Karma disponible partout dans le monde mais nous préférons ne pas divulguer les prochains pays que nous avons en tête. L'objectif que nous nous sommes fixé est de devenir un nouveau type de licorne : celle qui aura un impact direct ou indirect sur la vie d'un milliard de personnes.

Hjalmar Ståhlberg est le cofondateur et CEO de Karma, une application permettant aux restaurants et supermarchés de vendre leurs invendus à prix discount afin de lutter contre le gaspillage alimentaire. Depuis sa création, l'entreprise a levé près de 18 millions de dollars auprès d'investisseurs tels que Bessemer Venture Partners et e.ventures.