2021, un nouveau tournant dans l'histoire de Sigfox

2021, un nouveau tournant dans l'histoire de Sigfox L'opérateur IoT passe à la 3e phase de son développement. Après avoir validé sa technologie et développé son réseau et l'écosystème, Sigfox se concentre sur les services liés à la connectivité, avec Jeremy Prince à sa tête.

Ludovic Le Moan quitte les rênes de Sigfox. Le Français qui a cofondé l'opérateur IoT en 2009 est remplacé dans sa fonction de PDG par l'anglais Jeremy Prince, jusqu'à présent patron de l'activité aux Etats-Unis. Cette annonce intervient une semaine après l'accord de partenariat avec Google, qui marquait la première étape de Sigfox vers sa réorientation. L'entreprise évolue en effet du rôle d'opérateur IoT à celui de fournisseur de services de connectivité dédiés à l'IoT. Son cœur de métier se resserre autour de la géolocalisation et de la sécurité liés à la 0G.

Ce changement de tête intervient après une série de difficultés. Sigfox a notamment dû faire face à des critiques sur son management. Le média en ligne Médiacités a mené une enquête auprès de salariés et rapportait dans un article du 7 décembre 2020 que Ludovic le Moan était contesté, pointant du doigt "l'atmosphère toxique et le total manque de respect dans les rapports hiérarchiques". Pour Marc Bouchard Genet, consultant chez le cabinet de conseil BearingPoint, "les critiques ont dû précipiter son départ mais ce n'est pas une surprise. Nous nous doutions qu'avec la nouvelle stratégie vers le cloud, il faudrait un profil plus gestionnaire, quand Ludovic le Moan incarnait plutôt une vision d'entrepreneur." Une analyse confirmée par Franck Siegel, nommé président-directeur général adjoint de Sigfox, qui a réagi pour le JDN : "Nous en parlions depuis un moment en interne. Sigfox doit s'industrialiser, la réalisation de ce processus n'est pas la spécialité de Ludovic, c'est donc le bon moment pour lui pour passer la main, mais il restera dans le sillage de Sigfox en tant que consultant pour pousser des usages et des solutions".

Ludovic Le Moan avait lui-même confié en novembre dernier au JDN vouloir travailler à titre personnel sur un projet de plateforme pour mettre en relation les talents et les entreprises pour agir dans le contexte de crise sociale actuelle : "On ne parle pas assez de l'isolement, des dépressions voire même des suicides liés aux conséquences de la pandémie de coronavirus et c'est en m'attaquant à ce problème que je me sens utile".

"A l'heure actuelle, nous traitons plus de 70 millions messages par jour"

Autre difficulté, la perte de vitesse du réseau 0G de Sigfox. Dans sa stratégie annoncée pour l'horizon 2023, Sigfox prévoyait de connecter un milliard d'objets à son réseau en se reposant principalement sur l'Inde, la Russie et la Chine. Or, Sigfox n'enregistre à fin janvier que 17,2 millions d'objets connectés à son réseau, tandis que l'Alliance LoRa prévoit d'atteindre à la fin du mois de février 180 millions de puces LoRa dans le monde. En cause, la crise sanitaire (l'implantation en Russie a été annoncée en mars 2020) et la concurrence de l'Alliance LoRa et du NB-IoT. Selon une étude du cabinet d'études de marché américain IoT Analytics, LoRa représentait 41% des connexions LPWAN au premier trimestre 2020, et Sigfox seulement 6% des connexions. "Nous avons fait une erreur en communiquant sur ce chiffre d'un milliard. Il ne s'agissait pas d'un objectif à atteindre mais d'une projection pour que les équipes et les acteurs se préparent au massive IoT. Chez Sigfox, cela a porté ses fruits et se matérialise par le partenariat avec Google pour gérer des millions de messages par jour dans notre infrastructure. A l'heure actuelle, nous en avons plus de 70 millions par jour quand nous en étions à 12 millions en 2018", justifie Franck Siegel.

Toutefois, des fabricants français d'objets connectés comme Adeunis, qui a intégré le réseau bas débit de Sigfox, restent pessimistes quant à son avenir. "Selon ma vision du marché, Sigfox va être marginalisé alors que les technologies LoRa et NB-IoT vont devenir incontournables", estime Jean-Luc Baudoin, directeur général délégué. En cause : l'essor plus important de ces deux technologies par rapport à Sigfox en Asie, où Adeunis s'internationalise. Même son de cloche auprès de la start-up ffly4u, spécialisée dans le suivi d'actifs industriels, mitigée sur la stratégie affichée par Sigfox : "L'entreprise se bat sur les prix mais ce n'est pas en baissant les coûts que cela fera émerger la valeur de l'IoT. Certes, le coût joue un rôle dans la décision des clients pour leur projet IoT mais leur donner la géolocalisation par exemple de leurs assets ne suffit pas, il faut y ajouter des informations sur leur métier pour apporter une expertise supplémentaire", affirme son PDG Olivier Pagès.

"La vente du réseau allemand est intervenue en 2020, année de la crise, mais elle n'y est pas liée"

De nombreux défis attendent donc le nouveau PDG Jeremy Prince. Le chiffre d'affaires de l'entreprise, à 60 millions d'euros en 2019 et en stagnation selon Médiacités, a souffert du confinement, avec un coup d'arrêt mis au déploiement des projets. Résultat, l'entreprise a dû effectuer en septembre un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) pour se séparer de près de 13% de ses effectifs, soit 47 postes sur 400. Sans oublier la vente du réseau allemand au gestionnaire de fonds d'infrastructure européen Cube Infrastructure Managers. "La vente du réseau est intervenue en 2020, année de la crise, mais elle n'y est pas liée. Cela fait partie de nos plans pour nous recentrer sur notre cœur de métier, les services qui constituent la finalité de Sigfox", affirme Franck Siegel, en rappelant que le réseau français sera vendu cette année, avant que ce ne soit au tour du réseau américain.

Jeremy Prince devra ainsi trouver des financements. Sigfox annonce une entrée en bourse depuis plusieurs années, il s'agira d'un de ses chantiers. "Aux Etats-Unis, cela pourrait être plus facile pour eux, et cette nomination pourrait être un message positif aux investisseurs", estime Ouassim Driouchi, senior manager chez BearingPoint. Franck Siegel précise néanmoins qu'aucune date ne sera avancée. "Pour réussir une telle opération, il faut réussir ce qu'on dit. 2021 marque une nouvelle ère avec de nouveaux projets. On en dressera le bilan pour planifier l'IPO." Le nouveau président-directeur général adjoint table sur les compétences de Jeremy Prince dans ce domaine. Ce dernier a déjà réalisé l'opération pour SeLoger.com.

La stratégie vers l'offre de services est également un moyen pour Sigfox de dégager des marges. "Les capex sont moins élevés dans le secteur du software que dans les télécoms", rappelle Ouassim Driouchi, soulignant aussi que les services sont dans l'IoT le segment enregistrant la plus forte croissance. Pour lui, Sigfox a l'avantage de s'être positionné sur l'asset tracking avec de grands comptes comme DHL, Michelin ou PSA, répondant justement à un marché en demande de solutions verticalisées sur l'analyse de données. "L'objectif de notre orientation actuelle est d'apporter des services de connectivité, de géolocalisation et de sécurité à bas coût et à basse consommation. Cela reste dans notre cœur de métier, nous n'irons pas dans le cloud concurrencer AWS par exemple", indique Franck Siegel. L'offre de services de connectivité de Sigfox a augmenté de 50% sur l'année d'après ce dernier.  

Jeremy Prince, d'origine anglaise, a grandi à Toulouse et a effectué une partie de sa carrière aux Etats-Unis. Pour afficher Sigfox à l'international, "le profil anglo-saxon de Jeremy Prince était l'idéal", assure Franck Siegel. Un avis partagé par Ouassim Driouchi, chez BearingPoint : "L'entreprise, qui met en avant sa 0G comme un réseau unique dans le monde, envoie un signal fort. Car les efforts au début avec Ludovic le Moan ont surtout été faits en France et en Europe." Sigfox, qui vise une couverture mondiale, est aujourd'hui présent dans 72 pays. Jeremy Prince a par ailleurs rétabli la situation de Sigfox aux Etats-Unis. "Il a fortement renégocié les coûts pour le réseau et s'est attaqué aux problèmes de turn-over dans l'équipe américaine", fait savoir Franck Siegel.

Pour passer à l'échelle, la pépite toulousaine, qui a fêté en 2019 ses 10 ans, s'attaque à une nouvelle verticale, la traçabilité de véhicules volés, et entend montrer la pertinence de ses solutions à l'échelle du globe. "Cette verticale répond à un besoin en Afrique du Sud où un grand nombre de devices embarquant notre technologie ont été commercialisés. On commence à sentir l'intérêt en Europe", déclare Franck Siegel. Pour rappel, Sigfox entend se spécialiser dans l'asset tracking dans l'industrie automobile, le postal, les fûts de bière et désormais les véhicules volés. Franck Siegel dévoile que deux POC sont actuellement menés sur l'un de ces sujets avec des géants américains qui, s'ils sont industrialisés, représenteront "les deux plus gros projets de Sigfox dans le monde".