Claire Poirson (Avocate) "A moins d'une censure du Conseil constitutionnel, la loi sur l'activation des objets connectés à distance sera promulguée"

Après le Sénat, l'Assemblée Nationale a approuvé l'article 3 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice. La fondatrice du cabinet FIRSH revient sur cet article polémique.

JDN. L'article 3 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice ayant été accepté par les deux chambres, existe-il encore des obstacles susceptibles de faire barrage à son application ?

Claire Poirson, fondatrice du cabinet FIRSH © Claire Poirson - LinkedIn

Claire Poirson. Il faut d'abord que le processus parlementaire aboutisse. L'Assemblée nationale a voté un certain nombre d'amendements pour l'article 3. Alors, dans le cadre de la procédure accélérée engagée par le gouvernement, une commission paritaire mixte va statuer sur le texte final et va trancher sur les désaccords entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Ensuite, seul le Conseil constitutionnel peut censurer la loi. C'est assez fréquent qu'il soit saisi quand une loi touche aux libertés. Mais hormis une censure du Conseil constitutionnel, il n'y aucune raison que la loi ne soit pas promulguée si le processus parlementaire parvient à son terme.

Dans quels cas concrets la police pourra-t-elle activer les objets connectés des individus à distance ?

Tout dépend de ce que la commission mixte paritaire décidera. Si celle-ci suit le Sénat, la police pourra activer les objets connectés (montre, téléphone, trottinette, réfrigérateur connecté…, ndlr) à distance pour la géolocalisation dans le cadre d'enquêtes qui portent sur des délits et crimes punis d'au moins dix ans d'emprisonnement. La version de l'Assemblée Nationale, c'est pour des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Dans les deux cas, une toute petite partie de la population est concernée. Au passage, on remarque que le Sénat, pourtant considéré comme plus conservateur, semble vouloir davantage protéger les libertés. Mais cette nuance est importante : si la règle des 10 ans est retenue, cela signifie que le dispositif sera utilisé uniquement pour les crimes. Si c'est 5 ans, des délits rentrent dans le cadre de la loi, comme la traite d'êtres humains ou le proxénétisme. Enfin, en ce qui concerne l'activation des micros et des caméras des téléphones, c'est uniquement pour des enquêtes relatives au terrorisme et au crime organisé.

Concrètement, dès que la police suspectera une personne d'un délit passible de cinq ans (ou un crime passible de 10 ans) de prison, pourra-t-elle systématiquement activer à distance son portable ou sa montre pour la géolocaliser ?

Pas forcément. Cette future loi est encadrée. Un contrôle judiciaire est prévu. D'abord, il faut une requête du procureur ou du juge d'instruction qui va saisir le juge des libertés et des détentions. Celui-ci, qui est extérieur au dossier, va ensuite donner son autorisation. Donc il y a une sorte de "double sécurité". Le juge peut s'opposer à l'activation des objets connectés à distance si l'enquête ne porte pas sur un délit passible de 5 ans de prison - ou 10 ans - ou si les preuves apportées par la police qui associent une personne à un délit ne suffisent pas. Par ailleurs, certaines professions sont exclues de cette technique d'enquête, notamment celles protégées par le secret professionnel comme les avocats, les journalistes ou encore les médecins.

L'observatoire des libertés et du numérique a dénoncé "une surenchère sécuritaire" qui "transforme les objets connectés en mouchard". Qu'en pensez-vous ?

C'est toujours le même sujet qui revient : l'équilibre entre sécurité et liberté. Tant que cette loi est encadrée et qu'il y'a des contrepouvoirs, je trouve que c'est intéressant de recourir à ces techniques pour la surveillance. Cela me parait normal que l'Etat utilise les technologies de notre temps pour protéger la population. Je trouverai même l'inverse dangereux, voire irresponsable et je me demande si ce projet de loi n'arrive pas un peu tard. La partie de la loi sur l'activation des micros et des caméras des téléphones, un peu plus polémique, ne porte que sur les crimes les plus graves. Mais c'est très important que des contrepouvoirs comme des associations ou même l'observatoire des libertés et du numérique remplissent leur rôle.