FBI vs Megaupload + Anonymous : règlements de comptes à OK Corral !
Alors que les fondateurs de NinjaVideo.net ont été condamnés à 14 et 20 mois d’emprisonnement ferme par la « District Court » d’Alexandrie (USA), c’est MegaUpload, le principal site de téléchargement direct qui est fermé par le FBI, et ses responsables arrêtés en Nouvelle-Zélande.
Plus de dix
ans après la fermeture de Napster[1],
les autorités américaines, sous la pression de l’industrie du disque et
d’Hollywood, sont passées à la vitesse supérieure.
En effet, si
Napster a été contraint de fermer son site d’échange de musique après deux
années de bataille judiciaire[2],
ses créateurs n’ont jamais fait l’objet d’un quelconque mandat d’arrêt et ont
finalement revendu leur site au groupe de distribution Best Buy[3],
pour la modique somme de 121 millions de dollars (soit 87 millions
d'euros).
Le cas de MegaUpload
est radicalement différent. En effet, depuis 2010 les autorités américaines se sont engagées
dans une vaste opération, appelée « In Our Sites » [4],
destinée à lutter contre la
contrefaçon et le piratage sur Internet, et à faire appliquer les lois pénales
fédérales en matière de contrefaçon.
L’objectif affiché par le "National Intellectual Property Rights Coordination Center" (IPR Center), à
l’origine de l’opération « In Our Sites », était de travailler de paire avec le ministère
américain de la Justice pour poursuivre et sanctionner les responsables des
sites internet proposant des biens et services en violation des droits
d’auteurs, mais aussi de faire cesser l’atteinte portée aux droits d’auteur en
saisissant les noms de domaine de ces sites, afin d’en bloquer l’accès.
En effet, comme chacun le sait, internet
facilite la prestation de services à distance ainsi que la collecte et le
partage de données dans un environnement virtuel. De même, l’informatique
dématérialisée (« cloud computing ») rend parfois difficile la localisation des
données et de l’équipement utilisé. Les frontières sont donc remises en cause et les
conflits de lois et de droits qui en résultent posent de sérieuses difficultés ;
certains sites et hébergeurs étant
devenus maîtres en matière de forum shopping, dénichent la réglementation la
plus propice au développement de leurs activités, parfois illicites.
Pour passer outre ces difficultés et assurer une application efficace du droit américain
en matière de protection des droits d’auteur, les autorités américaines n’ont pas
hésité à « saisir » les noms de domaine de sites suspectés
d'enfreindre la propriété intellectuelle.
Pour ce faire, les autorités américaines passent par les organismes de gestion de nom de domaine. En effet, pour des raisons historiques, la coordination technique du système
d'attribution de noms et d'adresses Internet, y compris le système de nommage
de domaine (DNS) est gérée par une société du secteur privé à but non
lucratif, la Société pour l'attribution des noms de domaine et des numéros sur
Internet (ICANN), dont le siège social
est en Californie et qui est soumise au seul droit américain.
L’ICANN est
responsable des noms de domaine génériques (generic Top-Level Domain ou
gTLD) comme « .com », « .org », « .net », …[5].
En 2000, elle a confié à la société Verisign, elle-même soumise au droit
américain, la gestion des gTLD « .com » et « .net ».
Il est,
ainsi, aisé pour les autorités américaines de faire exécuter un mandat de saisi
d’un nom de domaine ayant une extension « .com » ou « .net » par exemple, dans la
mesure où les organismes de gestion de ceux-ci sont sous leur tutelle exclusive.
Peu importe que la société possédant ledit nom de domaine ne réside pas sur le territoire
américain et qu’elle ne soit pas régie par le droit américain. Une seule obligation : rassembler des
preuves de violation patente des lois fédérales en matière de protection des
droits d’auteur par un site internet, afin d’obtenir de la part des juges
fédéraux un mandat de saisie du nom de domaine litigieux.
A titre
d’exemple, la saisie par les autorités américaines d’un nom de domaine d’une
société espagnole en extension « .org », dont le site avait été reconnu légal par la
justice espagnole (en première instance et en appel), a été validé par la
District Court du sud de New York [6]. En revanche, elles ne peuvent pas saisir les noms
de domaine étrangers, tels que «
.fr », « .be », « .de », etc...
Depuis le lancement de l’opération « In Our Sites », en juin 2010, pas moins de 350 saisies de nom de domaine ont été ordonnées[7]. Les visiteurs des sites concernés découvraient, à la place du nom de domaine, une bannière les informant que le nom de domaine avait été saisi par les autorités fédérales américaines et rappelant que l'infraction de contrefaçon est un crime fédéral.
L’affaire MegaUpload, s’inscrit dans la même logique.
Jusque là MegaUpload, judicieusement basée à Hong Kong et possédant des
serveurs dans plusieurs pays (dont les USA),
se
réfugiait derrière son statut de simple hébergeur, pour contester toute
responsabilité.
Cependant, le Digital Copyright Millenium Act (DCMA) prévoit que pour
bénéficier de l’exonération de responsabilité, le prestataire technique doit
adopter et mettre en œuvre vis-à-vis de ses abonnés une charte prévoyant la
résiliation de l’abonnement des personnes qui commettent, de façon répétée, des
actes de contrefaçon en ligne, et doit s’adapter aux standards techniques
utilisés par les titulaires de droit d’auteur pour identifier ou protéger leurs
œuvres[8].
Or, l'acte d'accusation argue
du fait que MegaUpload n'agissait pas comme un simple intermédiaire technique,
mais bel et bien comme le promoteur et l'instigateur d'activités liées au
téléchargement illégal ou le favorisant. En effet, selon l'exposé des charges, le modèle d'affaire
de MegaUpload était conçu expressément
pour promouvoir le téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur par
des millions d'utilisateurs à travers le monde et pour décourager le stockage à
long terme ou personnel, par la suppression automatique du contenu qui n'a pas
été régulièrement téléchargé.
L'acte d'accusation dénonce ainsi, le
système mis en place par MegaUpload qui vise à récompenser financièrement les uploaders
ayant mis à disposition les fichiers les plus téléchargés et donc les plus
populaires. Il reproche également à MegaUpload d'avoir soutenu la création de
sites tiers, recensant les fichiers hébergés par ses soins. Et surtout, il souligne
que les conditions du retrait des œuvres protégées lorsqu’il était sollicité
par les ayant-droits, n’étaient pas satisfaisantes et que les comptes
utilisateurs associés restaient quant à eux ouverts.
L’ampleur du
piratage mis en place et les préjudices qui en découlaient, ne pouvaient que
susciter une réaction des autorités américaines. MegaUpload était exposé à des
poursuites dès lors qu’elle possédait une extension « .com » à partir de laquelle
la justice américaine pouvait agir. La District Court d’Alexandrie, en
Virginie, a donc ordonné la saisie de
18 noms de domaine associés à MegaUpload, dont le fameux http://Megaupload.com.
Au-delà de ces saisies, des interpellations ont été opérées dans une dizaine de pays... la coopération internationale a permis de porter un coup d’arrêt aux activités de Megaupload, ce dont ne peuvent que se féliciter les ayants-droits.
Cependant,
le caractère radical du procédé ne peut que heurter le juriste et
l’internaute :
-
il repose la
question des conflits de lois et de droits qui résultent du caractère
transfrontalier d’internet ;
- il met en
lumière l’hégémonie historique du gouvernement américain sur internet,
notamment en raison de son pouvoir sur le DNS (Domain Name System) ;
- il porte atteinte aux droits de centaines de milliers d’internautes qui utilisaient les services de MegaUpload pour stocker et partager des fichiers
postés en toute légalité (des documents de travail, des photos personnelles,
etc …). En effet, les membres du site qui payaient pour héberger des
fichiers légaux n’y ont tout simplement plus accès.
La riposte des « hacktivistes » d’Anonymous, bloquant l’accès à de nombreux sites dans le monde entier, dont ceux d’Universal, de CBS, de la RIAA, de Vivendi, d’Hadopi, n’est autre que l’expression virulente et abusive de cette incompréhension. Une manifestation sans pavés ni matraques, virtuelle mais extrêmement dommageable, qui devrait faire réagir les autorités. A cet égard, il nous semble que la seule façon de ramener la sérénité et de la justice dans la régulation d’internet est de redonner toute sa place au juge judicaire dans le cadre de procédures contradictoires et respectueuses des droits de la défense qu’ils soient ceux des ayants droits ou ceux des internautes. L’intervention brutale du FBI ne peut que créer une fracture entre les « internautes – consommateurs » et les ayants-droits soucieux pourtant de diffuser leurs œuvres au plus grand nombre… et de manière onéreuse !
Chronique rédigée en collaboration avec Me Emilie Bailly, avocat à la Cour.
[1] Le premier site d’échange de musique peer to peer
[2] qui se sont soldées par un accord amiable avec la Recording Industry Association of America (RIAA, équivalent américain de la Sacem)
[3] La chaine américaine de magasins d’électronique grand public a acquis Napster en 2008
[5] Par opposition aux noms de domaine nationaux (country-code Top-Level Domain ou ccTLD) comme « .be », « .fr », « .de », etc…
[8] La responsabilité des prestataires techniques sur Internet dans le Digital Millenium Copyright Act américain et le projet de directive européen sur le commerce électronique, Madame Valérie Sédaillian,
http://www.juriscom.net/pro/1/resp19990101.htm