Jean-David Chamboredon (Isai Gestion) "Un tiers des venture capitalists européens disparaîtra d'ici 2014"

Après avoir investi dans six start-up, Isai confirme son positionnement de chaînon manquant de l'investissement en "early stage".

JDN. Avec 38 millions d'euros sous gestion, Isaï se veut être "le fonds des entrepreneurs Internet", comment cela se traduit-il dans votre positionnement ?

Jean-David Chamboredon. Isai a rassemblé 70 entrepreneurs du Web qui ont investi entre 50 000 et 5 millions d'euros chacun, soit un ticket d'entrée moyen autour de 300 000 euros. Le principe de notre fonds, c'est de devenir actionnaire associé dans une affaire et d'aider les fondateurs de cette dernière à créer de la valeur. En termes de positionnement, nous sommes entre les business angels et les venture capitalists et nous intervenons quasiment toujours seuls, ou alors avec des investisseurs physiques qui peuvent être des angels ou des souscripteurs du fonds. Nous ne sommes pas fermés à des investissements à l'international et nous l'avons par exemple déjà fait avec l'e-commerçant britannique Boticca.com. Cependant nous recherchons des sociétés où il y a des fondateurs français. C'est un élément important quand on rentre en early stage car il s'agit d'un type d'investissement nécessitant une forte proximité culturelle. Question timing, nous en sommes environ à un investissement par trimestre et notre période d'investissement s'arrêtera en avril 2014. La fin de vie du fonds est quant à elle prévue pour avril 2020.

Boticca.com, Instant Luxe... deux de vos investissements sont dans des marketplaces. Est-ce un secteur de prédilection ?

Je trouve qu'il est prétentieux de la part d'un investisseur de dire "j'ai telle stratégie, je vais investir dans tel ou tel secteur". Ce sont les entrepreneurs qui apportent les dossiers, pas moi. D'ailleurs plus un dossier est décalé, plus mon oreille sera attentive. Dans les start-up que nous étudions à ce jour, il n'y a pas de marketplaces et nous sommes ouverts à différents types de secteurs, comme nous l'avons montré avec StickyAdsTV, une régie publicitaire qui commercialise de la publicité vidéo sur des contenus premium sur tous les terminaux. Disons par contre qu'il y a des sujets que nous ne faisons pas, à savoir ce que j'appelle le BtoBigB, c'est-à-dire des start-up qui souhaite s'adresser à des grands comptes, ou encore des start-up qui ont besoin d'investissements en infrastructure, qui fonctionnent avec du stock ou qui ont un besoin de fonds de roulement.

Covoiturage.fr, Instant Luxe et Commerce Guys sont vos trois premiers investissements. Quels bilans et perspectives un an après ?

Covoiturage.fr compte 1,3 million de membres et le phénomène s'amplifie. Nous allons mettre en place une mise à jour qui permettra aux usagers de payer directement en ligne et donc à Covoiturage.fr de prendre une commission de deux euros par voyage. Cela évitera également le surbooking ou aux passagers de ne pas se présenter. L'application mobile a été téléchargée 200 000 fois et la société est en bonne santé car en 15 mois, elle a dépensé moins de 20 % de ce qu'Isai a injecté. En France, Coivoiturage.fr n'aurait pas besoin de lever à nouveau des fonds mais la question qui se pose est si l'on développe le business au Royaume-Uni et en Espagne. Là-bas, la masse critique pourrait être atteinte en un an avec du marketing. Du côté d'Instant Luxe, un second tour de table est très probable pour ouvrir l'Angleterre et l'Italie en raison de la demande. Cela pourrait se préciser en fin d'année ou en début d'année prochaine. Le développement à l'international risque également de se préciser pour Commerce Guys, qui pourrait bien ouvrir un bureau aux Etats-Unis, opération qui impliquerait également une autre levée de fonds.

C'est donc toujours le bon moment pour investir ?

Oui si l'on pense à des sorties entre 2015 et 2020. Le seul pari qu'il faut faire, c'est que les petites boîtes sont capables de croître malgré la crise économique. C'est seulement quand on est important que la récession nous touche. L'une des inquiétudes que l'on peut avoir concerne la crise du financement du capital risque. Il sera donc plus difficile de refinancer les entreprises dans quatre ou cinq ans. Un tiers des VC européens va disparaître d'ici à 2013 ou 2014. Il y a très peu de fonds qui arrivent à lever sauf les fonds fiscaux mais les fonds commun de placement à risque vont lever moins qu'avant, voire pas du tout. On va donc se retrouver avec un nombre d'investisseurs limité, surtout en "late stage". Un autre point inquiétant est celui des aides publiques à l'innovation. Je trouve que ce qu'il s'est passé pour les Jeunes entreprises innovantes est un scandale. Je connais de grosses start-up qui ont annulé des embauches début 2011 qui avaient été votées dans le budget 2010...

Diplômé de l'Ecole Polytechnique, Jean-David Chamboredon commence sa carrière chez Cap Gemini où il passe 13 ans et fonde le Cap Gemini Telemedia Lab dans la Silicon Valley en 1997. Il rejoint le monde du Capital Investissement en 1999, d'abord chez Europatweb comme CTO, puis chez Viventures comme Partner. Pendant les 6 années suivantes, avant de co-fonder Isai, il a été le Partner Français de l'activité Venture et TMT de 3i Group plc.