Ben Rattray (Change.org) "Avec Change.org, chacun a désormais le pouvoir de changer les choses"
Le fondateur et CEO de Change.org, le plus grand site de pétitions au monde, explique sa vision et son ambition "d'inverser la balance du pouvoir".
Pouvez-vous nous présenter Change.org et son concept ?

Change.org est le service leader dans le domaine des pétitions en ligne. A l'instar de Youtube pour les vidéos, nous permettons à n'importe qui de lancer une pétition en ligne sur un sujet qui le touche et ainsi d'essayer de provoquer un changement. Grâce à la technologie, nous avons tous le pouvoir de faire bouger les choses et de mobiliser ceux qui partagent les mêmes convictions que nous. Créé en 2007, Change.org compte désormais près de 50 millions d'utilisateurs, dont 2.5 en France, avec plus de 25 000 nouvelles campagnes créées chaque mois.
Vous employez près de 170 personnes dans 18 pays. Quel rôle jouent vos équipes dans la mise en ligne des campagnes ?
Une grande partie de notre effectif est là pour aider nos utilisateurs dans la gestion de leur campagne en ligne. Nos équipes n'ont pas pour objectif de créer ou de supporter des pétitions existantes mais au contraire d'accompagner ceux qui les créent. En clair nous aidons nos utilisateurs à donner davantage d'ampleur à leur mouvement et les conseillons lorsqu'ils en ont besoin.
Quelle est votre méthode pour faire découvrir et, à l'inverse, filtrer certaines pétitions ?
Nous utilisons des technologies de personnalisation pour mettre en relation certaines pétitions avec de potentiels signataires. Nous avons d'ailleurs une équipe de Data Scientists basée à San-Francisco qui est entièrement affectée à cette tâche. En ce qui concerne notre procédé de filtrage, il est assez similaire à celui de Youtube : n'importe qui peut créer une pétition sur le sujet de son choix. Simplement lorsque du contenu inapproprié nous est signalé, nous le retirons, mais, cela arrive très rarement.
Pouvez-vous nous citer quelques exemples de campagnes à succès ?
Bien sûr, l'essentiel à nos yeux réside dans l'impact que peuvent avoir ces campagnes dans la vie réelle et, heureusement, il existe de nombreux exemples en la matière. La première véritable illustration du pouvoir de Change.org s'est vue il y a trois ans en Afrique du Sud alors qu'une femme venait d'être victime d'un viol correctif parce qu'elle était lesbienne. Après plusieurs semaines de mobilisation sur la plateforme, le parlement Sud-Africain a finalement annoncé qu'il prendrait des mesures pour mettre un terme à ces pratiques.
La pétition lancée suite à la mort du jeune Trayvon Martin a également fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis et, grâce au rassemblement de près de 2 millions de signatures, a permis d'attirer l'attention des médias sur cette affaire. Enfin en France, le scandale suscité par les 41 000 euros d'argent public dépensés par Carla Bruni pour la réalisation de son site Internet a également donné lieu à une pétition pour lui réclamer de retourner cette somme. La campagne a récolté à ce jour plus de 123 000 signatures.
Comment faîtes-vous pour gagner de l'argent ?
Notre modèle de revenu est basé sur la publicité. A l'instar de Twitter et de ses "Promoted Tweets", nous proposons aux organisations de sponsoriser leurs campagnes. C'est un modèle qui est efficace pour les organisations, puisque cela donne davantage de visibilité à leurs pétitions, et bon pour nos utilisateurs, puisque cela peut leur permettre de découvrir des campagnes qui potentiellement vont les intéresser.
On vous reproche souvent d'avoir un nom de domaine en ".org", d'habitude réservé aux organisations à but non-lucratif. Que leur répondez-vous ?
"Une personne peut lancer un mouvement"
Historiquement, il y a toujours eu deux types d'organisations. Pour faire simple : les entreprises qui cherchent à faire du profit et les organisations à but non-lucratif qui cherchent à faire de bonnes actions. Nous pensons que nous incarnons une troisième voie qui se trouve à l'intersection de ces deux modèles.
Nous avons choisi de mettre la rapidité d'exécution de l'entreprise au service d'une cause. Notre mission est d'avoir un impact positif sur le monde et de changer la vie de millions de personnes. Pour cela, nous pensons que nous sommes plus efficaces en adoptant la forme et les méthodes d'une entreprise. En clair, il ne s'agit là que d'un moyen pour nous permettre d'atteindre nos objectifs et la référence au .org n'est ici qu'un symbole de notre vision.
Ne craignez-vous pas que, à plus long terme, la multiplication de pétitions ne conduise à leur banalisation ?
Je pense, qu'au contraire, le fait que nous existions va conduire les entreprises et les Etats à plus de prudence. La menace que peut représenter ce type de rassemblement va automatiquement conduire les preneurs de décisions à davantage de réflexion et donc influer sur leur comportement. Ils savent désormais qu'une personne, même sans réseau particulier, peut utiliser une plateforme comme la nôtre pour attirer l'attention et lancer un mouvement.
Avez-vous des conseils ou best practices à partager avec ceux qui souhaiteraient démarrer une pétition sur Change.org, ou améliorer sa visibilité ?
"Une pétition raconte une histoire"
Pour susciter de l'intérêt, mon premier conseil est d'abord de démarrer une pétition sur un sujet qui vous touche personnellement. Il est important que l'initiateur de la pétition raconte une histoire et explique pourquoi le sujet choisi est important pour lui. Ce que je recommande également fortement c'est de fixer des objectifs réalistes et réalisables. Beaucoup ambitionnent dès le début d'avoir un impact à un niveau national ou international. Or, bien souvent, les campagnes les plus efficaces se révèlent être celles menées à l'échelle locale et sur une courte durée.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Le mobile, qui représente aujourd'hui plus d'un tiers de notre trafic, est un enjeu majeur pour nous. Pour l'heure, nous n'avons qu'un site optimisé et pas encore d'application, mais nous y viendrons sûrement en 2014. Nous pourrions ainsi imaginer qu'à l'avenir un utilisateur puisse recevoir des notifications sur certaines campagnes en fonction de l'endroit dans lequel il se trouve. Développer notre présence sur mobile va également s'avérer utile pour notre expansion internationale, notamment pour accompagner notre croissance sur certains marchés, comme l'Inde ou le Brésil.
De manière générale, je pense qu'une plateforme comme Change.org peut représenter une réelle opportunité pour bouleverser les choses dans certains pays en changeant la manière dont les gens de tous les jours considèrent leur propre pouvoir. Nous pensons qu'il est désormais possible d'inverser la balance du pouvoir entre le peuple et les institutions.
Ben Rattray est le fondateur et CEO de Change.org, la plus grande plateforme d'hébergement de pétitions sur le web. Fondée en 2007, la société emploie aujourd'hui près de 170 personnes dans 18 pays. Ben Rattray a été nommé par le magazine Time comme l'une des 100 personnes les plus influentes au monde. Il est diplômé de l'Université de Stanford et de la London School of Economics.