Ryan Leslie (Musicien) "iTunes en sait davantage sur les consommateurs de musique que les labels"

Ultra-connecté, le rappeur et producteur Ryan Leslie a développé une plateforme permettant aux artistes de communiquer en direct avec leurs fans. Et si l'avenir appartenait aux artistes indépendants ? Interview.

Vous invitez vos fans à vous contacter via Sms ou WhatsApp. Quel est l'objectif ?

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Le musicien et producteur Ryan Leslie © Ryan Leslie

Si j'ai décidé de rendre mon numéro de téléphone public, c'est que je pense que communiquer avec quelqu'un via Sms ou WhatsApp est sans doute la forme de communication la plus intime et personnelle qui puisse exister. Cela n'a rien à voir avec une conversation sur Twitter qui est par défaut publique. Lorsque vous arrivez à créer cette relation personnelle avec vos fans, vous augmentez automatiquement leur taux d'engagement.

Il existe en effet un grand nombre de plateformes aujourd'hui, telles que Instagram, Twitter ou Facebook pour ne citer qu'elles mais être présent sur ces réseaux ne vous garantit pas un taux d'engagement élevé. Prenez l'exemple de Justin Bieber qui compte plus de 60 millions de followers sur Twitter : à quoi bon avoir autant de fans si votre taux d'engagement est faible et que la majorité de votre audience ne prête pas attention à vos messages ?

Que tirez-vous de cette relation privilégiée avec vos fans ?

Je considère cette forme de relation comme un échange de valeur. Il ne s'agit pas simplement de vendre quelque chose. Par exemple, parmi mes fans se trouvent peut être des programmeurs ou des réalisateurs. Qui sait, l'un d'entre eux pourrait réaliser mon prochain clip vidéo ! Enfin, je pense que les gens sont surtout à la recherche d'une expérience. Raison pour laquelle j'invite parfois mes fans à venir me rendre visite en studio. Autre exemple : j'organise tous les ans une fête pour célébrer la nouvelle année avec eux.

Où trouvez-vous le temps de répondre aux messages de vos fans ?

"A quoi bon avoir des millions de fans si le taux d'engagement est faible ?"

Rédiger un Sms ou un message sur WhatsApp ne me prend que quelques secondes. On parle ici de quelques centaines, voire milliers, de messages par mois, soit plusieurs dizaines par jour. Ce n'est pas tant que ça. Mais cela nécessite une infrastructure sophistiquée permettant de faciliter ce type de communications personnelles. Et c'est précisément ce que je suis en train de développer avec ma plateforme DMM  (Disruptive Multimedia, ndlr)

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette plateforme dans laquelle Ben Horowitz a investi ?

Elle s'adresse à tous les artistes qui souhaitent être plus efficaces dans la manière dont ils font du business. Elle permet notamment de mieux identifier vos fans pour leur retourner de l'information pertinente. Elle m'est aussi utile pour évaluer l'efficacité du contenu que je publie sur certaines plateformes. Par exemple, lorsque j'ai démarré je publiais chaque jour une nouvelle vidéo sur Youtube mais je n'avais pas la moindre idée de l'impact de ce contenu, notamment sur les ventes. Si demain je publie une vidéo qui fait plusieurs millions de vues, je pourrais tout de suite mieux me rendre compte de cet impact.

En quoi cette infrastructure vous permet-elle de gagner en efficacité ?

L'ensemble de ce système se base sur les flux entrants. Je vais vous donner un exemple concret : imaginons que je souhaite promouvoir la sortie d'une nouvelle paire de Sneakers. Pour commencer, je vais dans un premier temps publier un message sur les réseaux sociaux en invitant ceux qui sont intéressés à m'écrire directement. La conversation va alors se déplacer sur WhatsApp ou Sms. De cette manière, le jour de la sortie de ces Sneakers, je serais alors en mesure de retourner de l'information à ces contacts qui seront identifiés grâce à leurs numéros de téléphone. Le taux de conversion aura alors des chances d'être élevé puisque ce sont eux qui ont été à l'origine de la conversation et qu'ils sont donc potentiellement intéressés.

Vous accordez beaucoup d'importance aux données et à leur collecte. Pensez-vous que ce soit également le cas du côté des maisons de disque ?

"Je peux envoyer un message à tous ceux qui ont acheté mon dernier album en appuyant sur un bouton"

Les maisons de disque passent aujourd'hui par des plateformes comme iTunes et Amazon pour vendre la musique d'un artiste. En conséquence, ces intermédiaires en savent désormais davantage sur les consommateurs que les maisons de disque elles-mêmes. iTunes peut par exemple vous recommander tel ou tel artiste en se basant sur vos achats passés, ce que ne peut pas faire un label. Autre conséquence: je mets au défi n'importe quelle maison de disque de pouvoir envoyer, en un simple clic, un email à toutes les personnes ayant acheté le dernier album de Lady Gaga ! Si ce label existe, faites-moi signe car je serais vraiment heureux de travailler avec. Mais la réalité est que ce n'est pas le cas aujourd'hui, et c'est justement ce qui m'a poussé à développer ma propre infrastructure. Je peux en effet, en appuyant simplement sur un bouton, envoyer un message à tous ceux qui ont légalement acheté mon précédent album.

Selon vous, les maisons de disques pourraient-elles disparaitre ?

Je pense qu'une maison de disque restera toujours utile pour jouer son rôle de banque, autrement dit pour financer la création. Si vous êtes un artiste, il vous faut un budget pour payer un staff,  mais aussi des moyens techniques, etc. Et c'est précisément le rôle d'un label de financer tout cela et de prendre des risques. D'autre part, les maisons de disque restent également utiles pour leur carnet d'adresse. L'aspect relationnel est d'ailleurs selon moi le plus important. Car une fois que vous avez créé une œuvre, il faut bien la faire connaître.

Quel est le business model d'un artiste indépendant aujourd'hui ?

Mon dernier album est uniquement téléchargeable sur mon site Internet. Etant un artiste indépendant, je perçois donc l'intégralité des royalties. A côté de ça il y a également la vente de tickets de concerts et autres produits dérivés, notamment vestimentaires. Dans le même temps - grâce à l'utilisation de mon infrastructure - je dépense très peu en marketing. Pour être clair, je ne vois aucun nuage à l'horizon en ce qui concerne mon business.

Vous avez déclaré lors de la conférence DLD15 à Munich que votre prochain album "MZRT" sera disponible sur Spotify. Pourquoi ce choix alors que des artistes comme Taylor Swift ont décidé au contraire de retirer leur musique ?

De la même manière qu'un scientifique, il faut essayer différentes choses pour être en mesure d'en comparer soi-même les résultats. Mon précédent album n'était pas sur Spotify, le prochain le sera. Cela me donnera un point de comparaison.

De plus en plus de célébrités investissent dans des start-up, est-ce votre cas ? Quels sont les services et applications que vous utilisez le plus actuellement ?

Oui, j'investis et conseille plusieurs jeunes pousses. Je peux vous citer Hive.co, une plateforme qui permet aux artistes de collecter des données sur leurs fans. J'apprécie également beaucoup Blend, une start-up issue de l'incubateur new-yorkais Betaworks, qui a développé un outil facilitant la collaboration multiplateforme entre artistes. Je suis un fervent utilisateur de SideKick, qui me permet de voir qui a reçu et ouvert mes emails. Enfin, Twilio est un service qui se révèle très utile lorsque nous avons besoin d'envoyer des messages groupés.

Ryan Leslie est un artiste américain et producteur de musique Hip-Hop et de Rnb. Artiste indépendant, il est le fondateur de deux sociétés spécialisées dans les médias : NextSelection et Disruptive Multimedia. Il a notamment créé DMM, une plateforme permettant aux artistes de mieux communiquer avec leurs fans, dans laquelle Ben Horowitz a investit. Il a obtenu un diplôme en Economie de Harvard à l'âge de 19 ans. La sortie de son prochain album – MZRT – est prévue pour mai 2015.