La santé mobile serait-elle à un tournant décisif de son histoire ?

Malgré l'engouement des patients et des professionnels de santé à l'égard de la santé mobile, celle-ci peine encore à convaincre. La récente publication de l’American Heart Association (AHA) pourrait-elle changer la donne ?

Malgré l’intérêt croissant du grand public à l’égard de la Santé Mobile, celle-ci peine encore à convaincre les patients et professionnels de santé. En cause, l’extrême saturation du marché des applications mobiles, la méfiance à l’égard de leur crédibilité scientifique, mais aussi la défiance ambiante face à leur capacité à répondre à de réels besoins. Les choses sont peut-être néanmoins amenées à changer depuis que l’American Heart Association (AHA), société savante au rayonnement international dans les maladies cardiovasculaires, s’est prononcée en faveur de la Santé Mobile et a émis des recommandations pour le futur de celle-ci.

La santé mobile, nouvel eldorado

L’écosystème de la E-Santé ne cesse de s’enrichir d’année en année ; et si l’année 2015 a été marquée par le développement important des objets connectés, la Santé Mobile n’est pas en reste. Le nombre d’applications mobiles « santé » et « bien être » est ainsi passé de 20 000 en 2012, à 165  000 en 2015*, et devrait encore augmenter durant les années à venir. Le marché de la Santé Mobile est par ailleurs estimé aujourd’hui à 5 milliard de dollars, valeur qui devrait croître à 23 milliard de dollars d’ici 2017 selon les analystes**. Ce marché est donc en pleine croissance et représente une opportunité de business évident pour les sociétés spécialisées dans la santé, laboratoires pharmaceutiques et assurances/mutuelles.

 

Mais au-delà de l’aspect économique, la Santé Mobile représente surtout la promesse d’une médecine personnalisée, plus proche des patients et adaptée à leurs besoins. La Santé Mobile, c’est le passage d’une médecine jusqu’alors curative, à une médecine plus préventive et prédictive, notamment en ce qui concerne les maladies chroniques (hypertension, diabète, maladies cardiovasculaires, dépression) et qui pourrait potentiellement régler le problème de l’observance thérapeutique, qui reste encore aujourd’hui un véritable enjeu de santé publique.

Des difficultés, mais une acceptabilité en progression

Cependant, si sur le papier les promesses économiques et médicales sont immenses, force est de constater que dans la réalité, la Santé Mobile a encore du mal à s’imposer auprès des patients et des médecins, même si son acceptabilité est en constante progression.

 

Une des difficultés rencontrée par la Santé Mobile tient paradoxalement à son succès : le nombre toujours plus élevé d’applications santé sur les stores. Avec près de 165 000 applications santé référencées aujourd’hui, les stores sont devenus complètements saturés. Les applications se vampirisent les unes les autres, laissant peu de visibilité aux nouvelles de se faire connaître, et rendant presque impossible à l’utilisateur/patient de trouver au premier essai l’application répondant à son besoin. Les chiffres l’attestent, près de 46% des applications mobiles sont désinstallées après le premier usage, et près de 90% avant la 5ème utilisation.***

 

S’ensuit également un sentiment de méfiance vis-à-vis de la crédibilité scientifique et médicale de ces applications. Il est vrai que certaines applications santé ont été élaborées par des sociétés savantes, laboratoires pharmaceutiques et médecins (bénéficiant donc d’une caution scientifique), mais dans l’immense majorité des cas les développeurs de telles applications ne sont pas des acteurs de la santé. Et pour cause, aujourd’hui aucune législation n’impose de critère d’efficacité médicale pour la mise à disposition de ces applications sur les stores. Tout au plus existe-t-il une réglementation plus stricte pour les applications considérées comme dispositif médical… ce qui ne concerne bien sûr qu’une petite fraction de toutes les applications mobiles santé / bien être.

 

Enfin, et peut-être est-ce le cœur du problème, la Santé Mobile se heurte à la défiance des patients concernant la capacité des ces dispositifs à répondre à leurs besoins. En effet, comme le dit le Dr Martin Cowie, membre éminent de la société savante mondialement reconnue « European Society of Cardiology » (ESC), nous avons aujourd’hui un catalogue fourni de « solutions cherchant des problèmes », et qui donc en définitive ne répondent à aucun besoin véritable. Seule solution afin de sortir de ce schéma : penser les applications mobiles non pas comme des initiatives locales et déconnectées de la réalité du patient, mais  comme une composante d’une solution globale de prise en charge, une offre globale de soin.

L’appui d’une société savante mondialement reconnue

Seulement, ces difficultés sont peut-être aujourd’hui sur le point d’être dépassées, et la Santé Mobile pourrait très prochainement passer la vitesse supérieure.

 

En effet, l’American Heart Association (AHA), société savante éminemment reconnue au niveau mondial, a récemment émis une publication sur la Santé Mobile pour la prévention des maladies cardiovasculaires****. Le but de cette publication ? Faire un état des lieux des différentes études cliniques ayant eu recours à la Santé Mobile pour la prévention des maladies cardiovasculaires ; montrer l’intérêt et les preuves de l’efficacité de la Santé Mobile dans ce domaine ; et donner des recommandations sur les futures pistes de recherche afin de donner du sens à la Santé Mobile.

Pour ce faire, l’AHA a procédé à l’analyse de plusieurs centaines de publications ayant utilisé des technologies mobiles dans 7 domaines différents : le management du poids ; l’accroissement de l’activité physique ; l’arrêt de consommation de tabac ; la prise en charge du diabète sucré ; la prise en charge de l’hypertension et la gestion de la dyslipidémie.

"Dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas"

Les conclusions de ce communiqué sont éloquentes, l’analyse de l’AHA montre bien qu’il y a un intérêt palpable de la Santé Mobile pour améliorer les facteurs de risques cardiovasculaires, et que contrairement à ce que la méfiance ambiante pourrait nous faire croire, de nombreuses études existent déjà démontrant l’efficacité de celle-ci. L’AHA note tout de même que la robustesse de ces études pourrait être améliorée, mais pousse les acteurs du monde de la santé à intégrer la Santé Mobile de manière robuste dans leurs futures études cliniques. Elle pointe également la nécessité de mettre en place un système pour aider les patients à trouver les bonnes applications (crédibles au niveau médical) répondant à leurs besoins, et recommande d’intégrer les technologies mobiles dans un modèle de soins collaboratif qui seront seules à même de faire déployer tout le potentiel de la Santé Mobile.

L’AHA pointe donc de manière officielle les points sensibles de la Santé Mobile tout en donnant des pistes d’améliorations,  et dit donc « tout haut ce que tout le monde pense tout bas », mais preuves solides à l’appui, et avec le poids et la crédibilité d’une société savante mondialement reconnue.

Est-ce que ceci sera suffisant pour faire prendre conscience aux différents acteurs de la Santé Mobile (corps médical, politiques, organismes payeurs, industrie pharmaceutique) qu’il faut faire évoluer les choses ? Est-ce que cette action menée par l’AHA ne serait pas l’impulsion dont la Santé Mobile avait besoin ? La Santé Mobile serait-elle à un tournant décisif de son histoire ? C’est tout ce qu’on lui souhaite.



* IMS Health
** Research2Guidance

*** CCM Benchmark

**** http://circ.ahajournals.org/content/early/2015/08/13/CIR.0000000000000232.full.pdf+htm