Les hébergeurs de contenus fournis par des tiers fournissent-ils des services en ligne ?

La question est désormais clairement posée pour les sites de partage vidéo : le débat ne porte plus sur leur qualité d’hébergeur ou d’éditeur de contenus mais sur leur qualité d’éditeur d’un service de communication au public en ligne.

Avec le récent jugement du TGI de Troyes (4 juin 2008) dans l'affaire Hermès contre eBay et celui du Tribunal de commerce de Paris (30 juin 2008) dans l'affaire LVMH contre eBAy, la question est désormais clairement posée pour les sites de partage de vidéo dit UGC (user-generated content), tels que Dailymotion, Youtube et MySpace) : au-delà de leurs qualités d'hébergeurs de contenus fournis par des tiers (et donc soumis au régime particulier de la Loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique (LCEN) et, partant, à la responsabilité limitée), fournissent-ils des services en ligne qui sont eux soumis au droit commun ? 

En d'autres termes, le nerf de la guerre contre ces sites ne sera plus le débat sur leur qualité d'hébergeur ou d'éditeur de contenus mais bien leur qualité d'éditeur d'un service de communication au public en ligne.  Il s'agit de déterminer si l'on peut parler, en matière de ces sites de partage de vidéos, d'un pendant au service de courtage que les Tribunaux ont appliqué à eBay.

 

Certes, il ne faut pas généraliser et chacun des trois sites mentionnés (Dailymotion, Youtube et MySpace) a ses spécificités. Toutefois, il s'agit bien de la même question (sinon de la même réponse) : tout en hébergeant le contenu fourni par les tiers, proposent-ils un service de communication en ligne et si oui lequel ? 

Rentreront en ligne de compte les fonctionnalités technologiques et commerciales offertes et notamment : les capacités de recherche, les propositions spontanées de l'opérateur (par ex. vidéos favoris), la présentation des contenus par thème ou en grille, la contextualisation des publicités.  Bien entendu, cette interrogation ne doit pas faire oublier que le simple fait de se faire rémunérer pour les services d'hébergement proposés ne devrait pas suffire pour conclure que l'opérateur est un éditeur de service.

 

Au-delà des spécificités du contexte des sites UGC, il est intéressant de relever que ces jugements de Troyes et de Paris rappellent un principe fondamental de droit que l'on a parfois tendance à oublier : l'absence de responsabilité en application d'un régime dérogatoire ne saurait en soi suffire pour écarter la responsabilité en droit commun.  En d'autres termes, ce n'est pas parce que l'on n'est pas responsable en application d'une loi spéciale qu'il en irait forcément de même en application des principes du Code civil (et notamment son article 1382).

 

En réalité, ce principe signifie simplement que le régime dérogatoire ne saurait occuper tout l'espace juridique. Certes, sous peine de vider de toute substance les régimes dérogatoires, il ne faut pas appliquer systématiquement les principes de droit commun aux situations couvertes par un régime spécial afin de contourner ce dernier. C'est d'ailleurs pour cette raison que la jurisprudence estime que l'on ne saurait recourir à l'article 1382 du Code civil lorsque le délit relève du droit de la presse (loi du 29 juillet 1881).  De la même manière, il n'est pas légitime de recourir à la notion de parasitisme (article 1382 du Code civil) afin de faire condamner - sur la base des mêmes faits - une partie qui n'est pas l'auteur d'une contrefaçon.

 

Toutefois, lorsque la victime arrive à apporter la preuve d'éléments supplémentaires (non couverts par la loi spéciale), il n'y a aucune raison de ne pas appliquer le droit commun à ces éléments distincts.  C'est précisément ce qui s'est passé dans les deux décisions eBay : la qualité d'hébergeur des contenus fournis par les tiers (activité soumise à la LCEN) n'a en rien empêché le recours à l'article 1382 du Code civil pour les activités d'édition de service de courtage (non couvertes par la LCEN). 

Il arrive même que ce sont matériellement les mêmes actes qui sont appréhendés d'une manière différente par la loi spéciale et le droit commun.  C'est ainsi qu'il est tout à fait possible d'écarter une action en contrefaçon (par exemple si l'objet est tombé dans le domaine public) tout en accueillant l'action en concurrence déloyale fondée sur l'article 1382 du Code civil (pour création d'un risque de confusion).  Dans ce cas, le même acte (la copie) est appréhendé de façon différente par la loi spéciale et le droit commun.