Pierre Calmard (iProspect) "Il faut appliquer le système d'enchères à l'intégralité de l'achat média"

Le patron d'iProspect explique comment il répondrait aux principaux enjeux du marché de la communication s'il était président.

JDN. Vous président, quelle est la première décision que vous prenez pour soutenir le secteur de la communication ?

Pierre Calmard, président d'iProspect France© S. de P. iProspect

Pierre Calmard (iProspect). Je cofinance un centre de recherche spécialisé en machine learning et big data et j'en ouvre l'accès en mode "open source", pour que les médias, agences, start-up et tous ceux qui créent des emplois et de la richesse en France puissent en profiter. Je pense en effet que les applications des moteurs d'intelligence artificielle sont le futur de notre industrie. Tout simplement parce que les plans médias fonctionnent aujourd'hui beaucoup sur un mélange d'intuitions et d'expérience. L'intelligence artificielle va permettre de rationnaliser tout ça. A l'image de la banque d'investissement, le marché de la publicité aura de moins en moins recours à des traders. Ils seront remplacés par des bots et des data scientists qui créeront et nourriront ces algorithmes.

L'enjeu est de faire émerger un écosystème alors même que le secteur est aujourd'hui archi-dominé par les Etats-Unis. Nous avons de formidables centres de recherche, du côté de Saclay notamment. Pourquoi ne pas s'associer à des structures comme Centrale ou Polytechnique pour lancer ce pôle ? Un pôle qui, c'est important, devra être rentable. On peut imaginer y installer un accélérateur dédié à l'intelligence artificielle, qui fournit logistique, contacts et conseils contre une prise de participation dans les start-up qu'il accueille.

Le décret d'extension au numérique de la loi Sapin entrera en vigueur le 1er janvier 2018. Est-ce une bonne nouvelle pour vous ?

Je milite pour une vraie transparence, faite de droits et de devoirs. C'est pourquoi, en tant que président, je prends deux décisions à ce sujet. Je tâche d'abord d'étendre cette loi Sapin à l'Europe, de façon à éviter les pratiques de dumping qui mettent en péril l'écosystème français. Et si c'est impossible, je remplace la loi Sapin par le système qui existe déjà dans de nombreux pays anglo-saxons, où les agences s'engagent par contrat à reverser toutes les remises à leurs clients. Nous sommes, chez Dentsu Aegis Network, audités à ce sujet par certains clients internationaux qui veulent s'assurer que les factures qu'ils reçoivent matchent bien avec celles que nous envoient les éditeurs…

L'autre gros enjeu est selon moi d'interdire aux agences de détenir directement ou indirectement des intérêts dans les médias. C'est tout de même paradoxal : nous disposons de la loi Sapin, qui est la réglementation la plus dure au monde concernant la transparence, mais la loi française permet à des groupes de détenir à la fois des médias puissants et des agences conseil dont la base du métier est l'impartialité.

Ces propositions seraient suffisantes pour rétablir la confiance entre annonceurs et agences ?

Je pense surtout qu'il faut laisser faire le marché. Je suis pour l'autorégulation. Je constate d'ailleurs que chez Dentsu Aegis Network l'immense majorité de nos clients nous font confiance et inversement. Une relation commerciale saine vaut toutes les réglementations du monde.

En parallèle, j'encourage l'UDA et l'UDECAM à auditer régulièrement la rentabilité des agences média par un cabinet indépendant, avec pour résultat des recommandations de systèmes de rémunération pour les annonceurs. La transparence doit avoir un prix. La France est le parent pauvre du marché de la communication côté rentabilité. Les annonceurs doivent prendre en compte la réalité économique des agences.

Enfin, j'élargis à l'ensemble des médias le système d'enchères qui a cours en programmatique pour l'achat média. Cela empêchera l'opacité des tarifs et la sempiternelle boîte noire entre tarifs bruts et tarifs nets. Une mécanique d'un autre âge qui génère une suspicion permanente quant au "meilleur tarif".

Exit donc les accords de gré à gré avec des montants d'investissement garantis par l'annonceur sur une année ?

Bien sûr ! Pourquoi ne pas introduire une mécanique de "quality score" comme c'est le cas sur Adwords qui permet au plus pertinent de payer un peu moins cher ?

Le marché de la pub est complètement cannibalisé par Google et Facebook. Comment y remédier ?

Rien ne peut contraindre l'évolution des technologies. Mais il faut adapter l'économie aux nouvelles réalités Donc, j'assouplis les règles côté éditeurs, pour permettre de conserver le pluralisme qui est un fondement de la démocratie. Je pense notamment aux contraintes qui pèsent sur les chaînes de télévision, que le statut de diffuseur limite beaucoup côté production. Je pense aussi à cette loi qui interdit le ciblage en télévision linéaire pour protéger les budgets de la PQR et de la radio. Assouplissons tout ça pour rendre les gros acteurs plus compétitifs.

En parallèle, je contrains les géants du Net à payer leurs impôts et à respecter la loi. Et plus globalement, je lance une réflexion sur la façon dont l'Etat peut garantir une juste répartition de valeur entre média et plateformes, c'est-à-dire entre contenus et contenants. On accuse les agences médias de "donner" trop d'argent à Google et Facebook. Mais ce n'est pas le problème. Le problème c'est que Google et Facebook sont des plateformes qui se nourrissent de la production des médias. Elles devraient donc leur rétrocéder une partie de leur chiffre d'affaires.

La commission européenne a soumis à discussions un projet de règlement européen sur les cookies. Vous président, quelle est votre position ?

Contraindre le principe des cookies, c'est donner encore plus de pouvoir aux géants américains, et demain chinois, puisqu'ils disposent de données loguées. Ce qui pose problème, ce n'est pas la récupération de données, c'est leur utilisation. Avec le machine learning, ce débat va vite être dépassé. Les machines sauront reconstituer les individus sans avoir besoin de cookie. Le processus législatif est bien trop lent par rapport à la vitesse des technologies.