Gautier Picquet (Publicis Media) "Le marché français doit apprendre à sanctionner les acteurs qui trichent sur leurs performances"

Le patron de Publicis Media France explique comment renouer avec la confiance dans un marché pub miné par les scandales et la défiance des annonceurs à l'égard des prestataires adtech.

Gautier Picquet prendra la parole le 30 novembre prochain lors de l'Adtech Summit organisé par l'IAB France. Cet événement consacré aux standards pour la croissance et la confiance du marché pub en ligne est organisé en partenariat avec le JDN.

JDN. Cet Adtech Summit questionne le rôle des standards dans la publicité digitale. En quoi sont-ils nécessaires ?

Gautier Picquet est le président de Publicis Media France. © S. de P. Publicis Media

Gautier Picquet. Il est important d'ériger des standards pour guider les acteurs d'une industrie. C'est particulièrement vrai pour un marché comme le digital qui a besoin de remettre de la confiance, car il a longtemps été peu encadré et que tout le monde a fait un peu n'importe quoi. Mais les standards ne font pas tout et je pense qu'il va falloir aller au-delà des standards pour prouver à nouveau l'efficacité du média digital et faire en sorte que les acheteurs cessent d'avoir peur d'acheter des pages non vues ou affichées auprès de robots. Le sujet concerne tout le monde, Facebook et Google inclus. Deux acteurs qui nous ont longtemps obnubilés par leur capacité à toucher des milliards de personnes sans vraiment qu'on se demande à quoi cela servait. Car si le digital a déjà 20 ans d'existence, on ne se pose finalement cette question de la rentabilité et de la visibilité que depuis à peine deux ans. Je pense qu'on s'est tous laissés porter par l'engouement généralisé pour le digital sans trop se poser de questions.

Comment y remédier ?

Nous n'avons pas vraiment d'autre choix que de renouer avec un dialogue permanent et tripartite, entre les annonceurs, les agences et les régies. Que chacun arrête de fonctionner dans son coin, en silo, et qu'on ouvre enfin les données à tous. Que la régie arrête de vouloir vendre toujours plus, que l'agence n'essaie pas à tout prix de montrer que ça marche (même quand ça ne marche pas) et que l'annonceur arrête de tout déjuger (même quand ça marche manifestement). On s'est sans doute trop longtemps reposés sur l'expertise unique des agences médias pour ces sujets et maintenant que tout le monde est compétent, le doute est permanent… On apprendra beaucoup plus vite si on travaille de concert.

Le marché français doit également faire acte de courage et ne pas hésiter à sanctionner les acteurs médias qui trafiquent leurs chiffres et les agences qui trichent. En clair, ceux qui ne respectent pas les règles érigées. On ne peut pas râler contre les problèmes de brand safety de Youtube ou ceux de visibilité de Facebook et ne rien changer à sa stratégie d'investissements médias alors qu'une initiative comme Digital Ad Trust a vu le jour.

Le patron du Figaro, Marc Feuillé, a récemment dit qu'il n'avait pas vu d'impact Digital Ad Trust. N'y a-t-il pas une responsabilité à cette inertie côté achat ?

Le principal frein, il est organisationnel. Nous avons tous été dans une course folle au volume qui nous a jeté dans les bras de ces grandes plateformes qui conjuguent bassins d'audience considérables et data granulaire. Les éditeurs ont fait leur part du travail avec une initiative comme Digital Ad Trust. Aux agences et annonceurs de prendre le relais. Il faut accompagner ce mouvement si on ne veut pas qu'il meure dans l'œuf. Ça veut dire, par exemple, alerter son client sur les dangers d'investir massivement au sein d'une plateforme qui n'est pas du tout transparente sur des sujets comme la brand safety ou la visibilité. Lui faire remarquer que c'est dangereux de miser gros sur une plateforme qui le désintermédie et gère la relation avec son consommateur. Les agences sont trop habituées à suivre des accords mondiaux signés par leurs clients, elles doivent prendre leurs responsabilités et ne pas hésiter à proposer aux annonceurs des plans 100% Digital Ad Trust plutôt qu'un plan qui intègre un ou deux éditeurs qui en font partie pour faire joli.  

Le duopole Google - Facebook voit aujourd'hui Amazon toquer à sa porte. La menace est-elle selon vous réelle ?

Amazon est peut-être bien la troisième force du marché pub online mais elle est encore sous-jacente. La plateforme n’apparaît pas dans le top 10 des investissements digitaux de Publicis Media, à titre d'exemple. Elle est en revanche dans le top 3 des plus fortes croissances en 2018 et sera sans doute numéro 1 en 2019 de ce point de vue. Tous nos clients, qu'ils vendent sur Amazon ou pas, ont un intérêt réel pour son offre de data intentionniste très fine. Mais nous devons faire attention, comme pour Google et Facebook, à ce que ce nouveau partenaire ne devienne pas trop envahissant au risque de manger tout l'écosystème français.