Programmatique : les deals privés ont-ils encore un avenir ?
S'il a un temps été considéré par les régies médias comme le meilleur moyen de booster la valorisation de leur inventaire, le deal privé a moins la côte. C'est du moins la théorie de Jérémy Parola. Le directeur des activités numériques de Reworld Media pense que la pratique, qui voit régies et acheteurs s'entendre au préalable sur les conditions d'une vente programmatique, s'essouffle. "Les CPM obtenus par les régies médias via les enchères ouvertes, l'open auction, sont devenus très compétitifs", constate-t-il. Et l'écart avec ceux qu'elles obtiennent via des deals privés, historiquement plus avantageux, s'est donc considérablement réduit. "La démocratisation du header bidding, par le jeu de l'offre et de la demande, et la meilleure maîtrise techno des éditeurs ont boosté les performances de l'open auction", poursuit Jérémy Parola.
Des trading desks qui refusent de passer un deal privé à un certain niveau de CPM, paient pourtant plus lorsqu'ils achètent l'inventaire en open auction
Les meilleurs deals signés par la régie de Reworld Media sont au mieux 20% plus élevés que les tarifs que le groupe obtient lorsqu'il propose son inventaire aux enchères ouvertes. Et la plupart de ces deals sont même moins intéressants que l'open auction. Jérémy Parola a même remarqué que des trading desks qui refusaient de passer un deal privé à un certain niveau de CPM, payaient pourtant plus lorsqu'ils achetaient son inventaire en open auction. "Ma théorie, c'est qu'ils passent par un outil d'achat automatisé qui continue à acheter tant que le ROI est au rendez-vous", avance Jérémy Parola. Dans la négociation d'un deal privé, c'est d'abord l'humain qui tranche… même si sa décision n'est pas toujours rationnelle. Une agence ou un trader peut parfois bloquer sur un prix en dépit de toute logique ROIste. "On peut ici parler de biais humain", s'amuse Jérémy Parola.
C'est d'ailleurs l'un des principaux défauts du deal privé à l'ère de l'automatisation. Il est très gourmand en ressources humaines. Notamment lorsqu'une fois les paramètres configurés, il ne s'active pas correctement. "Ces problèmes de troubleshooting sont aussi fréquents que chronophages pour les régies concernées. Il faut alors mobiliser trois collaborateurs (le trafic, l'account et le commercial qui a négocié le deal) pour identifier la source du problème", explique Jérémy Parola. La contrainte est tout aussi grande côté acheteurs et cela peut s'avérer problématique pour certaines plateformes. C'est le cas de Google qui s'interrogerait, selon nos informations, sur la pertinence de continuer à proposer la modalité au sein de son DSP, DV 360. "Un de leurs collaborateurs s'est plaint que c'était un des rares sujets sur lesquels ils perdaient de l'argent", dévoile un expert du marché. Ce n'est pas vraiment une surprise à en croire un autre. "Les deals ID concernent généralement l'inventaire premium des médias, beaucoup plus rarement des univers comme Youtube et Google Adx. La pratique ne sert donc pas vraiment les intérêts de Google", analyse-t-il. Du côté de Google, qui met à disposition un outil de détection de l'origine des problèmes, on assure en off vouloir continuer à investir dans le support client.
"Derrière un deal ID, il y a le transfert d'une partie du travail du trader vers la régie, ce qui simplifie le travail côté acheteur"
Bien plus chronophage et de moins en moins avantageux, le deal privé perd donc de son attractivité face à l'open auction. Les régies médias pourraient finalement mettre tout leur inventaire aux enchères ouvertes, en paramétrant des floors (seuils minimums de CPM), selon les emplacements ou les acheteurs. C'est du moins l'option avancée par Jérémy Parola. "Tout technicien serait d'accord avec cette théorie, explique un patron d'adtech. Mais il ne faut pas oublier que derrière un deal ID, il y a le transfert d'une partie du travail du trader vers la régie, ce qui simplifie le travail côté acheteur." Targeting, data, livraison des campagnes… Le manque de temps des équipes de trading est un problème récurrent. De l'autre côté, les régies, dont le modèle est challengé par le programmatique, y voient l'opportunité de réallouer une partie de leurs ressources humaines.
C'est notamment ce qui explique la popularité naissante du programmatique garanti où un acheteur et un vendeur s'entendent sur un CPM fixe et un volume d'inventaire donné. "C'est d'autant plus intéressant pour les régies que cela leur permet de sécuriser une partie de leur business", explique Phillipe Imbert, head of partners and ad-exchanges chez Tradelab. Pas un luxe alors que les ventes opérées en direct par la régie, via du gré à gré et des contrats annuels, basculent en programmatique où c'est le rapport entre offre et demande qui fait la loi. Ainsi, près de 51% des revenus display des régies médias viennent désormais du programmatique, selon l'Observatoire de l'epub. Autant de revenus sur lesquels les patrons de régie n'auraient plus beaucoup de visibilité s'ils les basculaient complètement en open auction. "On est parfois sollicités par des régies qui, lorsqu'elles voient qu'on achète à tel CPM chez elles, nous proposent de faire un deal à un CPM plus bas en échange d'un engagement de dépense", illustre Philippe Imbert. Les deals privés pèsent aujourd'hui environ 25% des investissements médias de Tradelab.
Autre bon point pour le deal privé, il permet aux éditeurs de proposer des bundles "data+media". "Ce n'est pas possible en open auction. A moins que la régie média devienne carrément un fournisseur de data tierce. Mais elle n'aurait pas de contrôle sur qui peut activer sa data et où. Peu probable, donc", analyse Philippe Imbert. Les éditeurs sont toutefois de moins en moins nombreux à pratiquer ces bundles à en croire Julien Gardès, expert en programmatique. "Parce que les acheteurs disposent déjà de la donnée socio-démo qu'ils proposent et surtout parce qu'entretenir une DMP n'est pas donné, les éditeurs délaissent la pratique." Le header bidding, qui leur permet de doper la valeur de leur CPM, a lui l'avantage de ne pas coûter grand-chose.
"Faire un deal ID pour vendre une bannière 300*250, ça n'a plus de sens. Le header bidding monétise ça très bien"
Julien Gardès confirme observer un ralentissement dans les deals privés, après une forte période de croissance. Mais il ne croit pas pour autant à la fin de la pratique. "Faire un deal ID pour vendre une bannière 300*250, ça n'a plus de sens. Le header bidding monétise ça très bien. C'est en revanche très pertinent pour des formats comme l'habillage ou l'expand, qui ne sont pas toujours éligibles à l'open auction", illustre-t-il. Cela permet en outre à la régie de minimiser la prise de risque côté brand safety et d'éviter qu'un annonceur indésirable, passé entre les mailles de l'open auction, ne communique sur son site. "Nous ne commercialisons notre inventaire vidéo que via des deals privés pour cette raison", explique le patron de la régie Adverline, Philippe Framezelle.
Pas certain, donc, que les régies fassent une croix sur les deals privés dans un futur immédiat. D'autant que l'impact du header bidding sur les CPM, très marqué la première année, s'atténue dans le temps. Mais les régies réfléchissent déjà à d'autres moyens d'optimiser leur inventaire vendu en open auction. On observe ainsi une forte traction commerciale sur les offres de paiement à la visibilité ou à la vidéo complétée. Là où les acheteurs n'ont pas besoin de deals ID.