ATT d'Apple : qui sont les gagnants six mois après ?

ATT d'Apple :  qui sont les gagnants six mois après ? Android, les géants du gaming et… peut-être aussi Apple. Voilà les acteurs qui ont su tirer parti de la disparition des identifiants publicitaires sur IOS.

Près de six mois après l'arrivée de l'App Tracking Transparency d'Apple, l'apocalypse mobile annoncée a bien eu lieu. La chute du taux de consentement au tracking des utilisateurs et, avec elle, la capacité des éditeurs à monétiser correctement leur inventaire publicitaire a ébranlé tout un écosystème. Les utilisateurs d'Apple ont massivement adopté IOS 14.5 ou une version ultérieure : le taux d'adoption est de 75% selon Appsflyer, 90% pour Branch. Et ils sont nombreux, dans le lot, à refuser le tracking publicitaire : entre 80 et 85% selon les pays. Les annonceurs ne peuvent plus rattacher que 21% des installations IOS d'une campagne pub à l'impression responsable, toujours selon Appsflyer et Branch. Le pourcentage oscille entre 10 et 30% selon les applications et les pays chez Addict Mobile, spécialiste français de l'acquisition sur mobile, mais le doute n'est plus permis : le modèle d'attribution classique, avec un mesureur tiers qui lie une impression à une conversion grâce au matching de l'identifiant publicitaire de l'utilisateur, l'IDFA, a vécu sur IOS.

Android, gagnant sur le court terme

Android capte désormais 70% des budgets dépensés par Addict Mobile, contre 55% avant l'arrivée d'ATT

"65% des budgets que l'on consacre à IOS concernent aujourd'hui une campagne dont l'efficacité est mesurée par le framework d'Apple, le SKAdNetwork", confirme Manuel Pacreau, VP opérations chez Addict Mobile. Un ratio qui devrait monter à près de 75%, en même temps que les derniers retardataires mettent leur OS à jour. 75% de dépenses dont l'efficacité est désormais établie par les rapports agrégés (et absolument pas temps réel) du SKAdNetwork, c'est forcément problématique. Et cela se ressent déjà sur les CPM ! Ils sont en chute de 47% sur IOS entre mai et juillet selon les données d'Addict Mobile.

Les annonceurs se détournent de cet environnement dont ils peinent désormais à mesurer l'efficacité, lui préférant celui d'Android où l'identifiant publicitaire maison, l'Android ID, est bien plus souvent accessible aux marques. L'inventaire disponible au sein de l'OS de Google ne suivant pas cet afflux d'acheteurs, la pression concurrentielle y est plus forte et, par effet de vase communicant, les CPM d'Android augmentent en même temps que ceux d'IOS diminuent. +12% entre mai et juillet, toujours selon Addict Mobile. Preuve de sa nouvelle popularité, Android capte désormais 70% des budgets dépensés par l'agence française, contre 55% avant l'arrivée d'ATT.

"Ça a été hyper anxiogène pour les annonceurs de ne plus pouvoir s'adonner à des pratiques en place depuis 7 à 8 ans", constate Manuel Pacreau. Plutôt que d'essayer d'écoper, voire de reboucher les trous, ces derniers ont préféré quitté le navire IOS en même temps que le tsunami ATT déferlait. L'environnement Android s'est dans ces conditions rapidement imposé comme la seule bouée de sauvetage accessible. Difficile, pour autant, d'espérer naviguer sur les eaux troubles de l'app install. Thomas Petit, consultant spécialisé en mobile, ne voit pas dans l'environnement Android la planche de salut des annonceurs. "Les consommateurs qui dépensent le plus sur mobile sont sur iPhone : l'AppStore génère le double d'achat avec moins de la moitié d'utilisateurs", rappelle l'expert.

"Ils sont nombreux à avoir investi à perte sur Android pour maintenir un certain volume d'installations"

L'arrivée d'ATT n'y change rien et les marques ne peuvent se couper éternellement d'un tel gisement. C'est d'autant plus vrai que la hausse continue des CPM Android rend l'environnement de moins en moins rentable. "Ils sont nombreux à avoir investi à perte sur Android pour maintenir un certain volume d'installations", observe Thomas Petit. Ce n'est pas tenable sur le long terme. "Les annonceurs doivent faire leur deuil de l'IDFA, confirme Manuel Pacreau. C'est-à-dire prendre un peu de recul et le temps de trouver des solutions pour IOS."

L'exemple du gaming

Ces annonceurs peuvent sans doute s'inspirer de tous les spécialistes du casual gaming qui, à renfort d'experts en data sciences et attribution, ont réussi à combler les trous du SKADNetwork, pour continuer à investir tant bien que mal sur IOS. "Les jeux hypercasual sont l'avant-garde de l'innovation publicitaire sur mobile, confirme Thomas Petit. Alors que beaucoup les donnaient comme perdants, ils sont ceux qui ont réussi à s'adapter le mieux et le plus vite à cette nouvelle situation." Cela vaut aussi pour les acteurs du gaming positionnés sell-side. "Les adnetworks comme Applovin, Unity ou IronSource ont mieux vécu l'arrivée d'ATT que des plateformes qui ont fait du ciblage algorithmique le cœur de leur succès, comme c'est le cas de Facebook et Snap", observe Manuel Pacreau. Ces géants ont, pour eux, un reach et un contexte qu'ATT a laissé intact quand l'offre de Facebook vacillait en même temps que sa capacité à cibler ses utilisateurs.

"Les adnetworks comme Applovin, Unity ou IronSource ont mieux vécu l'arrivée d'ATT que des plateformes qui ont fait du ciblage algorithmique le cœur de leur succès, comme c'est le cas de Facebook et Snap"

C'est d'autant plus vrai que les moins scrupuleux de ces ad-networks n'hésitent pas à contourner les règles d'Apple en proposant aux annonceurs de recourir au fingerprinting pour remédier à la disparition de l'IDFA. "Ce n'est un secret pour personne et c'est en théorie interdit par Apple sauf que ce dernier n'a pas encore sévi", précise Thomas Petit. D'autres se sont lancés dans une phase de consolidation, à l'image d'Applovin. Ce géant du gaming, qui propose plus de 200 jeux free-to-play, vient de débourser un peu plus de 1 milliard de dollars pour mettre la main sur la plateforme pub mobile de Twitter, Mopub. Si on met ce rachat en perspective avec celui d'Adjust, solution de mesure des investissements pubs mobile pour 1 milliard de dollars début février, on obtient une plateforme "tout en un" dotée d'un inventaire conséquent, d'un adserver et d'une solution de mesure. Un walled garden qui ne dit pas son nom… "Cette consolidation peut aider ce genre d'entreprise à mieux traverser la tempête et s'imposer comme une alternative au duopole qui règne en maitre jusqu'à présent", reconnait Thomas Petit.

Search Ads d'Apple : une popularité qui divise

Ce serait, avec Android, l'autre grand gagnant de l'arrivée d'ATT : l'offre publicitaire d'Apple, Search Ads, a désormais le vent en poupe. Sa part de marché aurait triplé en l'espace de 6 mois, selon des données communiquées par Branch au Financial Times. De quoi justifier les soupçons des principales associations du marché publicitaire, qui avaient porté plainte devant l'Autorité de la concurrence au moment du déploiement d'ATT. Search Ads n'étant pas concerné par ce dernier, les adtech y voient une distorsion de concurrence. En les empêchant de procéder correctement au tracking des utilisateurs exposés à leurs campagnes, Apple favorise, par rebond, sa propre offre publicitaire. Ce dont les chiffres relayés par le Financial Times attesteraient.

Thomas Petit est plutôt dubitatif. "Avec 2 à 6 milliards de dollars de revenus publicitaires estimés cette année pour Apple, on est très loin des 50% de part de marché que l'étude attribue à la firme à la pomme." Pour cause, le marché de la pub mobile est estimé à plus de 200 milliards de dollars par an. Certes Search Ads, qui ne souffre pas des problèmes d'attribution que connaissent les concurrents, est devenu plus attractif. Mais ses perspectives de développement restent limitées alors que son inventaire est en grande majorité constitué d'emplacements accolés aux requêtes effectuées au sein du Store. On ne connait pas avec précision le nombre d'utilisateurs qui se rendent quotidiennement au sein de l'AppStore pour y chercher des applications mais il est forcément moins important que celui des utilisateurs exposés aux publicités display.

"Tant qu'Apple ne propose pas des formats display plus classiques, il n'arrivera pas à atteindre des volumes comparables à ceux des mastodontes du marché", estime Thomas Petit. Le lancement d'un nouvel emplacement "Search Tab" s'inscrit dans cette logique mais il n'a, semble-t-il, pas eu les effets escomptés. "Les performances sont décevantes pour la plupart des annonceurs, de sorte que le format ne représente qu'une petite part des revenus générés par Search Ads", poursuit Thomas Petit. Manuel Pacreau confirme, de son côté, qu'on est loin de l'explosion annoncée. "Les investissements qu'on alloue à Search Tab sont plutôt stables sur six mois."