Thibault Leguillon (Teads) "Teads veut recruter 500 collaborateurs en 2022"

Le DG France de la plateforme publicitaire analyse le développement d'un marché qui a fait la part belle aux walled gardens mais laisse tout de même un peu d'espoir à l'open Web.

JDN. Les années passent, la mainmise de Google et Meta, anciennement Facebook, sur le marché de la publicité digital reste. Le duo capte près de 75% des investissements du marché publicitaire et autant de sa croissance annuelle. Pensez-vous que l'open Web est condamné à se contenter des miettes ?

Thibault Leguillon est directeur général France de Teads. © S. de P. Teads

Thibault Leguillon. Je ne serais pas là à vous répondre si c'était le cas ! Déjà vous parlez de duopole en oubliant de mentionner Amazon qui grignote des parts de marché à ces deux géants. Et puis si on sort le search de l'équation, car il est vraiment à part, je pense que la situation est moins alarmante que ce que vous décrivez. La part du social et de Youtube dans le display, qui est le marché qui m'intéresse, est moins importante que les 75% que vous mentionnez. Alors oui, les dés sont sans doute jetés en ce qui concerne l'awareness, avec des budgets qui sont déjà bien verrouillés sur la TV, le social et l'outstream. Mais les lignes peuvent bouger pour tout ce qui touche au mid, voire lower funnel. Déjà parce que le contexte règlementaire s'est considérablement durci, avec l'arrivée du RGPD, la disparition des cookies tiers et la mise en place du protocole ATT, qui complexifient tous les trois le tracking des utilisateurs. Mais aussi parce que la hausse des budgets que les annonceurs consacrent aux solutions mid ou lower funnel - parce qu'ils se mettent à l'e-commerce, voire au DtoC - est de nature à rebattre les cartes.

On voit que les dispositifs à la performance sont plus que jamais challengés, à commencer par les social ads dont les coûts d'acquisition sont en forte augmentation. Dans le même temps, on voit aussi que l'open Web est très bien positionné pour profiter de cet afflux de budget. Le champ des possibles y est très vaste en termes de data. On continue de récupérer, malgré la fin des cookies tiers, énormément de signaux et on entre de plein pied dans l'ère de la data prédictive et de la modélisation pour continuer à cibler correctement les utilisateurs. 

A condition d'avoir atteint une certaine taille critique…

C'est évident que cela implique de faire du volume. Ce qui justifie sans doute la phase de consolidation à laquelle on va assister dans l'open Web, avec des acteurs qui réunissent leurs actifs d'audience et de technologie pour être plus forts ensemble. C'est ce qui explique aussi que Teads va continuer à accélérer son déploiement en 2022. Nous sommes 1 000 collaborateurs aujourd'hui et voulons en recruter 500 de plus l'année prochaine, dans des domaines comme l'IA, la tech et les ventes. C'est indispensable pour pouvoir optimiser notre présence dans l'esprit des annonceurs.

Car nous avons beau avoir mis sur pied une plateforme fullstack qui gère la créa, la data, le média et les insights dans des environnements cookieless, nous n'avons malheureusement pas la popularité BtoC de marques comme Facebook, Instagram et Google. C'est plus facile pour un directeur marketing de dire à son board qu'il va mettre 20 millions d'euros chez ces derniers que chez Teads. Même s'ils sont de plus en plus nombreux à le faire… Notamment parce qu'on est aujourd'hui capable de nouer des partenariats avec 70 des plus gros annonceurs dans le monde et qu'on s'appuie sur une équipe de 150 industry directors qui s'emploient à promouvoir nos services sur chacune de leurs verticales.  

On a l'impression que le secret pour réussir dans l'adtech, c'est le top of mind et le fait de dépenser énormément en marketing…

"C'est plus facile pour un directeur marketing de dire à son board qu'il va mettre 20 millions d'euros chez Meta ou Google que chez Teads"

Heureusement que non ! La capacité à proposer un reach suffisant et à remplir les objectifs du client restent des pré-requis. Le top of mind ne vient que par la suite. Qualité de l'offre et efforts marketing sont intrinsèquement liés. C'est comme en Formule 1, on ne peut réussir que sous réserver d'avoir le meilleur pilote ET le meilleur moteur…

La croissance, elle peut aussi se faire de manière externe…

Raison pour laquelle nous envisageons également de procéder à des acquisitions, pour répondre à cette problématique de consolidation.

Que l'IPO de Teads, finalement avortée en août dernier, se fasse ou non ?

Nous sommes une entreprise extrêmement rentable, adossée à un actionnaire très puissant, qui a une bonne expérience des fusions-acquisitions donc oui cela pourra avoir lieu, que l'IPO se fasse ou pas. Cela peut être une acquisition pour accroître notre présence dans des régions où nous sommes en forte croissance mais encore petits en termes de part de marché, comme l'Asie ou les Etats-Unis. Cela peut être une nouvelle brique pour muscler notre offre. Nous regardons beaucoup du côté des acteurs de la TV connectée pour permettre à nos annonceurs d'en acheter depuis notre plateforme. Nous réfléchissons également aux moyens de mieux travailler le tunnel de conversion. Nous allons d'ailleurs lancer une nouvelle fonctionnalité d'acquisition de leads au premier trimestre 2022.

Un peu comme celle que propose Meta ?

La réalité, c'est que nous faisons le même métier que Meta, que nous proposons le même niveau de couverture, sauf que notre inventaire est autrement plus qualitatif car nous commercialisons les audiences de 300 médias de référence en France et que nous le faisons en toute transparence, parce que l'annonceur peut savoir où sont diffusées ses annonces à l'URL près, ce qui n'est pas possible quand on achète l'inventaire de Facebook, Instagram ou Google.

Dans ce cas, comment expliquez que votre part de marché soit autrement moins importante ?

"Le problème, c'est que quand des acteurs comme Teads sont briefés par l'agence média, 50 à 70% du budget de la campagne ont déjà été alloués au social"

Il y a plusieurs raisons à cela. Il y a, je pense, d'abord un vrai sujet d'organisation des agences médias, qui doivent arrêter de cloisonner leurs équipes paid social et trading desks. Ça avait du sens de mettre le social à part quand celui-ci se résumait à du community management et du earned media. Ça n'en a plus aujourd'hui alors que sur Facebook comme sur Teads ou chez les autres plateformes, on associe un objectif marketing à un budget que l'on ventile en conséquence. Le problème, c'est que quand des acteurs comme Teads sont briefés par l'agence média, 50 à 70% du budget de la campagne ont déjà été alloués au social. Plus le client est social centric, plus la part de gâteau auquel nous pouvons prétendre est faible. Et le seul moyen d'y remédier, c'est de remonter la chaîne, en étant plus proche de l'annonceur.

Et pas de raisonner l'agence média ?

Investir dans le social, c'est la solution de facilité pour des agences médias qui sont, il faut le reconnaître, dans des situations précaires. Le social est, au regard de ses performances, clairement surinvesti. Je suis toujours surpris de voir qu'un directeur marketing accepte de payer une vue complétée et visible cinq fois plus cher chez Facebook que chez L'Equipe, BFM ou Le Point. Le problème, c'est que les budgets sont orientés dès le départ et que cela ne va pas aller en s'arrangeant alors que les principales agences médias recrutent des traders sociaux en nombre, pendant que leurs structures dédiées à l'open Web se vident.

Les annonceurs ont aussi leur part de responsabilité non ?

Sans doute puisqu'ils continuent à investir chez Google, même lorsque celui-ci décide de leur refacturer la taxe sur le numérique que le gouvernement français lui a imposé. Ou qu'ils continuent à faire de même chez Facebook, en dépit de toutes les révélations inquiétantes des Facebook Files et des problèmes de brand safety que posent les contenus de cette plateforme.

Comment les choses peuvent-elles changer ?

On sait bien que l'existence de duopoles quels qu'ils soient conduit toujours à des dérives. Le problème, c'est que ces sociétés ont atteint un tel niveau de puissance, qu'elles sont devenues compliquées à contrôler. Elles sont présentes à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Les pratiques de Google, accusé aux Etats-Unis de manipuler les enchères en sa faveur, sont dignes d'un film. Mais comment y remédier ? Par les amendes ? Elles se multiplient sans effet, à l'image des 2 milliards de dollars de sanction prononcés à l'encontre de Google pour ses pratiques anti-concurrentielles avec Google Shopping. Le problème, c'est que cette amende ne ramènera pas à la vie la dizaine de comparateurs de prix qui ont souffert de ces pratiques… Le législateur peut-il faire mieux ? On sait qu'aux Etats-Unis, ils n'ont pas peur de démanteler. Ça passera peut-être par là. Je reste néanmoins persuadé que c'est en continuant à faire de la qualité que l'on sera capable de rivaliser avec ces acteurs-là.