Programmatique 2022 : quelles tendances au programme ?

Programmatique 2022 : quelles tendances au programme ? Avec de nouveaux canaux qui font décoller leur offre programmatique, des éditeurs et acheteurs qui font le ménage dans les intermédiaires et le chantier pharaonique du cookieless… L'année prochaine s'annonce mouvementée.

Si le monde du Web s'est mis sans trop de soucis au programmatique (ce mode d'achat représentait 65% des investissements display au premier semestre 2021, selon l'Observatoire de l'epub), on ne peut pas en dire autant des autres médias, pour lequel la transition est beaucoup plus lente. En 2022, trois d'entre eux (la télévision, l'affichage digital extérieur (DOOH) et l'audio) devraient passer à la vitesse supérieure. Alors oui, les premières expérimentations en matière de TV segmentée ont parfois déçu. Sans doute parce que les attentes suscitées par une technologie qui promet de réunir "le meilleur des deux mondes", la puissance de la TV, avec la finesse de ciblage du digital, étaient démesurées au regard de l'état des possibles. Avec 5 millions de foyers français adressables, sur un total de 26 millions, le reach n'est pas encore vraiment au rendez-vous. Le ciblage non plus, qui s'est souvent cantonné pour ces premiers POC à une segmentation géographique.

En 2022, les choses devraient changer. Les 5 millions de foyers français devraient monter à au moins 7 millions, selon les prévisions de l'AF2M. L'ensemble des chaînes de télévision devraient s'être mises d'accord avec les opérateurs télécoms à l'origine des données qui permettent le ciblage. Et il devrait sensiblement s'affiner en même temps que les régies TV musclent leur packages commerciaux. Un annonceur peut désormais cibler des téléspectateurs selon leur consommation télévisuelle et la typologie des foyers. Il pourra onboarder ses données CRM pour toucher ses clients les plus fidèles dès le premier trimestre 2022. Et il pourra, selon toute vraisemblance, utiliser la donnée des retailers pour faire du ciblage shopping, le graal pour bien des FMCG friands de données transactionnelles. "Chaque opérateur s'est mis en relation avec le SNPTV pour que les chaînes soient capables de mettre en place une nomenclature commune, ce qui permettra de structurer ce marché", précise Sophie Poncin, la directrice déléguée d'Orange Advertising France. Les 200 millions d'euros de recettes supplémentaires promises par le SNPTV devraient bientôt devenir réalité.

En 2022, la TV segmentée, le DOOH programmatique et l'audio digital vont enfin décoller

Pas tout à fait le même ordre de grandeur… mais le même enthousiasme du côté du DOOH qui espère lui aussi attirer de nouvelles typologies d'annonceurs en s'ouvrant au programmatique. Le Français JC Decaux a ouvert le bal cet été en mettant ses écrans outdoor à ce mode d'achat, les autres membres du Big 5 (Clearchannel, Mediatransport, Phenix Group et Exterion Media) ont embrayé. "D'ici la fin du premier trimestre 2022, l'intégralité des écrans DOOH premiums seront accessibles en programmatique", prédit Laure Malergue, la fondatrice de Displayce, plateforme spécialisée dans le DOOH. Les technologies d'achat suivent le mouvement, y compris les généralistes comme The Trade Desk… et bientôt Google dont le DSP, DV 360, ne propose pour l'instant le format qu'en beta. Charge à tout ce monde de convertir les annonceurs aux spécificités d'un secteur qui raisonne en "impression multiplier" (une devise qui permet de passer d'un CPM play à un CPM contacts exposés) et de leur démontrer les performances de cet écran one-to-many. Avec un dernier enjeu, l'harmonisation des méthodes de mesure et la mise en place d'une nomenclature commune sur laquelle planche la task force de l'IAB France.

Reste l'audio dont on nous promet toujours, un peu comme le mobile à son époque, que l'année prochaine est LA bonne. Le format reste marginal (à peine 27 millions d'euros d'investissements publicitaires en 2021 selon l'Observatoire de l'ePub) mais, ici encore, les choses bougent. Un géant comme Spotify se positionne en fer de lance du marché quand des solutions comme Edisound ont vu le jour pour booster l'inventaire des éditeurs sur le Web. En France, les flux live sur le Web et podcasts in-app sont les principaux leviers de croissance digitaux des stations de radio qui se mettent donc à les monétiser via des deals ID programmatiques.

Du ménage dans la chaîne programmatique ?

Ces dernières années ont vu les éditeurs multiplier les intégrations de nouveaux partenaires et faire jouer l'émulation en même temps que le header bidding se démocratisait. Une frénésie qui a permis à tous ces SSP qui s'étaient cassés les dents sur le marché français, à la moitié des années 2010, de revenir sur le devant de la scène et aux autres, déjà bien en place, de faire croître leur chiffre d'affaires en même temps que leur valorisation. Il y a aujourd'hui foule dans les wrappers des éditeurs français (23 partenaires en moyenne selon le dernier comptage de Mind Media). Mais cela ne devrait pas durer si l'on se réfère aux actions récemment entreprises par certains médias français comme 20Minutes ou Prisma Media. Ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans une cure d'assainissement qui les voit rétrograder les partenaires dont les revenus sont en perte de vitesse (en les passant du wrapper client-side, le Graal, à un wrapper server-side moins prestigieux) et débrancher ceux dont le niveau de revenus est tombé en dessous d'un certain seuil (généralement un pourcentage des revenus programmatiques mensuels de l'éditeur).

Ce grand nettoyage tient autant à la multiplication des branchements qu'à l'évolution du rôle des SSP qui, simples tuyaux technologiques par le passé, sont devenus de véritables gares de triage où se décide l'orientation des investissements médias, notamment parce qu'ils négocient de plus en plus souvent des deals côté demande pour se différencier les uns des autres. C'est, sur le papier, plutôt vertueux : le SSP zélé peut permettre à un éditeur partenaire d'accéder à une demande qui lui était jusque-là inaccessible. C'est, dans la réalité, parfois problématique. Entre ceux qui négocient des deals à des tarifs moins élevés que ceux qu'exige la régie concernée en direct et ceux qui, faute de demande suffisante, se tournent parfois vers d'autres SSP pour écouler les inventaires gagnés, cette nouvelle casquette peut avoir un impact négatif sur le RPM (revenu pour mille des éditeurs français).  

"Les annonceurs vont privilégier l'accès le plus court à l'inventaire pour être plus compétitif" 

"Le but, ce n'est évidemment pas de finir avec à peine cinq SSP branchés. Il s'agit juste de protéger la valeur de notre inventaire", défendait Eva Galand, directrice des revenus automatisés de 20Minutes France, dans un article paru sur le JDN. A qui profitera ce ménage ? "Aux SSP qui s'appuient sur des connexions les plus directes possibles avec les éditeurs", à en croire le fondateur d'Hubvisor, Sylvain Travers. Multiplier les intermédiaires entre la demande et l'éditeur, c'est porter préjudice aux revenus de ce dernier, chaque acteur impliqué touchant une commission sur le montant versé par l'annonceur. On parle, côté demand, de SPO pour supply path optimization. "On privilégie l'accès le plus court à l'inventaire pour être plus compétitif", explique Sylvain Travers. Un argument qui vaut évidemment pour le buy-side. C'est ainsi que l'on voit certains DSP comme The Trade Desk demander à leurs partenaires SSP de ne choisir qu'un seul chemin pour les solliciter. Ce même The Trade Desk qui teste depuis un peu plus d'un an une intégration directe à l'inventaire de certains éditeurs français par l'entremise de Hubvisor. Il suffit d'ailleurs de regarder les offres de certains gros DSP à la recherche de développeurs spécialisés publishing pour s'en convaincre. La tectonique des plaques va faire s'entrechoquer SSP et DSP. En 2022, il n'en restera pas qu'un… mais ils seront sans doute moins nombreux.

La publicité ciblée en danger ?

2022 s'annonce également critique pour les ayatollahs du "one to one", entre la disparition annoncée des cookies tiers de Chrome, prévue pour 2023 mais qu'il faudra anticiper, et le débat public de plus en plus pressant sur le rôle de la publicité ciblée. "L'annonce du report par Google a suscité un petit relâchement dans les initiatives, remarque le chief programmatic officer de Publicis Media, Jean-Baptiste Rouet. Il faut pourtant profiter de ce qu'on a encore des cookies tiers à disposition pour comparer les performances de chaque méthode." Les solutions de ciblage contextuel vont continuer à fleurir en même temps qu'elles s'enrichissent de fonctionnalités d'analyse sémantique. "Faute de pouvoir établir des profils utilisateurs, on va analyser les contextes pour comprendre l'état d'esprit de la personne qui y est exposée", explique Yann Le Roux, directeur général Europe du Sud d'IAS. Privacy Sandbox et sa méthode Floc (dont la version 2.0 devrait permettre un ciblage bien moins granulaire) devraient enfin pouvoir être testés en Europe.

Les POC autour des identifiants partagés, qu'il s'agisse de Unified ID 2.0 ou ID5, devraient prendre un peu plus d'ampleur, maintenant que les branchements entre les différents acteurs de la chaîne de valeur sont faits. "Il va falloir mettre en place de nouveaux standards au sein du protocole open RTB pour gérer l'interopérabilité de chacun de ses identifiants avec les différents modules de prebid.org", note Jean-Baptiste Rouet. L'enjeu, ce sera celui de la couverture alors que les éditeurs ont rarement plus de 25% d'audience loguée…  Ces derniers vont progressivement s'équiper de walls dynamiques, pour loguer leurs visiteurs les plus engagés. Les annonceurs vont, eux, remplacer leur DMP qui prennent la poussière par des CDP dont le rôle sera de stocker des identifiants propriétaires (1st party) interopérables selon leurs différentes filiales et technologies.

DMA, DSA, Commission Bronner et eprivacy… Les lobbystes de la publicité digitale vont avoir du pain sur la planche

Certains vont néanmoins devoir se faire violence, à en croire Paul Mettetal, COO de The Moneytizer. "On voit des annonceurs qui n'ont aucune idée de ce qui les attendent. Les agences médias vont devoir faire un gros travail de pédagogie pour faire bouger les choses." Si des annonceurs nous lisent, qu'ils prennent rendez-vous pour la table-ronde "Cookieless" programmée le 2 décembre. Ils devraient y apprendre des choses qui leur seront utiles par la suite. Si tant est qu'il soit encore possible de faire de la publicité ciblée en 2022… Certains eurodéputés, parmi lesquels Christel Schaldemose, députée danoise et rapporteuse du Digital Services Act (DSA), souhaitent interdire la pratique. La députée danoise plaide pour un système où la publicité ciblée serait désactivée par défaut et possible uniquement si l'utilisateur donne son consentement, dans une logique d'opt-in. Son souhait n'a pas été exaucé par le Parlement européen qui s'est contenté d'imposer un cadre plus strict à la pratique. Mais les choses pourraient encore bouger, à la faveur des actions de lobbying des uns et des autres, des prochains Facebook Papers ou Google leaks ou tout autre élément de nature à remonter un peu plus l'opinion publique contre une pratique déjà décriée.

2022 sera d'ailleurs une année placée sous le signe de la régulation, avec le vote espéré des versions finales du Digital Services Act et du Digital Market Act et les résultats de l'enquête menée par la Commission Bronner, qui devraient aboutir à une série de propositions contre les diffuseurs de haine et la désinformation. En attendant aussi la mise en place du règlement eprivacy… On l'aura compris, 2022 s'annonce dense en matière de lobbying pour le marché de la publicité digitale.