Programmatique : les grandes radios donnent (enfin) de la voix

Programmatique : les grandes radios donnent (enfin) de la voix Flux live sur le Web et podcasts sont les principaux leviers de croissance digitaux des stations de radio, qui se mettent donc à les monétiser via des deals ID programmatiques.

Après la presse papier, puis les chaînes TV, c'est désormais au tour des stations de radio de se mettre (timidement) au programmatique, cette pratique consistant en une automatisation de l'achat – vente de publicités. Si plus de 89% des investissements pubs display sont aujourd'hui automatisés selon le dernier observatoire de l'ePub, les stations radios sont encore loin du compte. Alors que les écoutes basculent de plus en plus vers le mobile, qu'il soit Web ou in-app, un auditeur qui écoute sa station favorite sur le Web entendra exactement les mêmes spots que celui qui le fait depuis son poste de radio. Les stations ne pratiquent pas, contrairement à leurs homologues de la TV, l'adstitching, ce décrochage publicitaire permettant de remplacer les spots du flux hertzien par des publicités pensées pour le Web. La raison de ce refus ? Médiamétrie. "L'institut travaille sur une mesure unifiée des audiences, en agrégeant FM et digital", explique Franck Godin, directeur délégué sur l'audio et le digital chez Lagardère Pub News.

"1,5 million de pré-rolls audio qui sont disponibles à la vente chaque jour chez Lagardère News"

Les radios, qui vendent d'abord du reach, ne voient donc pas l'intérêt de distinguer ces deux flux. Elles ont toutefois compris, à l'instar de Lagardère News, que leurs écoutes digitales pouvaient être prétexte à créer de l'inventaire publicitaire en plus. C'est ainsi que les internautes qui écoutent Europe 1 peuvent être exposés, juste avant le lancement du flux live sur le Web, à un pré-roll audio 100% digital. Si ce pré-roll est majoritairement vendu par la régie, en direct, il peut être, depuis fin 2019, acheté en programmatique. Quatre premières campagnes ont été diffusées par ce biais en décembre. Leur nombre a doublé en janvier. "Au total, 1,5 million de pré-rolls audio sont disponibles à la vente chaque jour", chiffre Franck Godin. Leur monétisation programmatique se fait via des deals ID noués avec des trading desks et des agences. Pas d'open auction donc, comme cela se fait majoritairement en display. La station radio s'y refuse pour l'instant, de peur de perdre le contrôle sur une activité, certes balbutiante, mais qui pèse déjà 5% de son chiffre d'affaires audio digital. Recourir au deal ID lui permet de s'assurer de la bonne monétisation de ses inventaires. En clair, de contrôler les CPM obtenus, grâce à des prix planchers, ainsi que la qualité des annonceurs diffusés. Deux aspects plus difficiles à maîtriser dans cette jungle qu'est l'open auction.

"Les éditeurs freinent un peu car la bascule s'accompagne programmatique, pour l'instant, d'une baisse des CPM"

Alors que le display ne jure plus que par l'audience planning et le one-to-one, le ciblage est, en programmatique audio, un peu plus grossier. Il s'agit essentiellement de ciblage contextuel, en fonction des tranches horaires ou des émissions diffusées. Preuve que, comme le rappelle Franck Godin, "la radio est encore un média de contenu." Preuve aussi que la radio est un média qui observe le programmatique avec circonspection… Certes, NRJ et Skyrock proposent, depuis quelques années déjà, l'inventaire de leurs web radios (des radios thématiques 100% digitales) aux enchères programmatique. Mais ces inventaires pub sont presque anecdotiques, en volume comme en valeur, par rapport à ceux qui accompagnent la diffusion de leur live hertzien sur le Web. Des inventaires essentiellement vendus en gré à gré, au grand désarroi des agences médias qui ont, elles, bien pris le pli de la révolution programmatique. "On milite pour que l'ensemble des inventaires audios digitaux soient accessibles en programmatique", déclare Nabil Bekhti, head of consulting chez Havas Media. Un vœux pieu, pour l'instant. "Les éditeurs freinent un peu car la bascule s'accompagne, pour l'instant, d'une baisse des CPM", observe Leeroy Shillingford, PDG de la régie audio Audiolads. Difficile avec des possibilités de ciblage aussi limitées de tirer les CPM vers le haut. D'où le succès du deal ID qui permet de défendre la valeur de ses inventaires.

"L'audio est un média naissant qui n'a pas encore la maturité du display", analyse Damien Pigasse, VP partnerships chez AdsWizz. Ce géant mondial de la publicité audio a été racheté par le service de streaming Pandora en mars 2018. Les groupes Next Radio, RTL et Lagardère News se sont équipés de sa technologie de SSP pour se mettre au programmatique. Le groupe Radio France travaille, lui, avec le challenger Targetspot, filiale d'Audio Valley, tout comme Skyrock. Si son ancienneté fait d'Adswizz, le numéro 1 incontesté du secteur, cette position est de plus en plus challengée. "Adswizz doit faire face à la concurrence de Triton, dont le SSP a été choisi par Deezer, et celle de nouveaux venus comme Soundcast ou Audion", observe Nabil Bekhti. La demande étant encore faible, les médias travaillent pour l'instant avec un seul SSP mais les partenariats pourraient se multiplier, comme ça a été le cas pour le display. "Nous allons rencontrer Triton et Soundcast pour voir en quoi ils peuvent être complémentaires d'un Adswizz", confesse Franck Godin.

Côté achat, Adswizz, qui a la particularité d'être présent des deux côtés de la chaîne de valeur, tire son épingle du jeu. Des DSP indépendants, comme Mediamath ou encore Tabmo, qui achètent aujourd'hui de l'inventaire programmatique chez Lagardère News, essaient également de se positionner. Quant aux géants Google et The Trade Desk, "ils ne sont arrivés sur le marché que très récemment", rappelle Damien Pigasse. L'audio digital reste encore anecdotique pour ces DSP généralistes qui n'ont donc pas fait les branchements nécessaires.

La promesse podcast

Les choses pourraient toutefois changer si les radios généralistes se décident à ouvrir les vannes de ce qui porte aujourd'hui leur croissance online : les podcasts. Ces derniers génèrent un inventaire conséquent, avec plus de 100 millions d'écoutes mensuelles pour le quatuor Radio France, Next, RTL et Lagardère. 8 millions pour le seul Christophe Hondelatte et 5 millions pour Nicolas Canteloup chez Europe 1. Mais ces inventaires sont, pour la grande majorité, vendus en gré à gré avec une part de voix, et les agences se voient proposer, la plupart du temps, un simple pré-roll. "Les éditeurs sont encore dans une logique de construction d'audience, ils ne veulent donc pas nuire à l'expérience utilisateur en insérant trop de publicités", analyse Damien Pigasse. Ici encore, les options de ciblage sont, lorsqu'elles sont présentes, très limitées. "Le podcast, c'est du ciblage contextuel, pas du ciblage sur l'auditeur", confirme Leeroy Shillingford. A noter "qu'aucun des gros DSP généralistes n'est capable d'acheter du podcast en open RTB", constate Kamel El-Hadef, co-fondateur du spécialiste de la monétisation Audion.

L'autre écueil au bon développement du podcast en programmatique, c'est la difficulté à mesurer les performances réalisées. C'est particulièrement vrai pour les podcasts qui sont téléchargées via des plateformes type iTunes. "On perd le lien avec l'auditeur et on ne sait pas vraiment ce qui se passe une fois qu'il est téléchargé", déplore Nabil Bekhti. Certaines plateformes proposent toutefois d'insérer des publicités de manière dynamique au sein des podcasts qui sont streamés directement. C'est le cas d'Audion et d'Acast. Le DSP français Tabmo a pu tester la technologie de ce dernier. Elle lui a permis de diffuser des spots audios en programmatique sur RTL, Europe 1, NRJ et RMC. "Nous pouvons acheter, par exemple, des packages web radio et podcast sur la cible hommes de 24 – 35 ans", illustre Mehdi Aroussi, publisher director EMEA chez Tabmo. Ces spots sont alors diffusés sur les thématiques et verticales fréquentées de préférence par la cible visée. Les montants dépensés sont encore faibles au regard des investissements totaux de l'audio digital. Mais la croissance est là. "On a fait X2 sur la période de janvier – février par rapport au dernier trimestre 2019", chiffre Mehdi Aroussi.