Roland Montagne (Idate) "Les opérateurs vont devoir démontrer aux consommateurs les avantages de la fibre optique"

Le directeur de l'activité Télécoms de l'Idate fait le point sur le déploiement et l'adoption de la fibre optique en France et dans le monde, une semaine avant le DigiWorld Summit, qui se déroule les 17 et 18 novembre en partenariat avec le JDN.

JDN. Quels sont les différents modes de financement de la fibre dans le monde ?

Roland Montagne. Les motivations des opérateurs qui vont vers la fibre sont diverses. Au Japon, l'opérateur historique NTT a déployé FTTH et FTTB dès 2000 car il ne croyait pas vraiment à l'ADSL, à tel point que 90 % de la population est aujourd'hui raccordable à la fibre. Aux Etats-Unis, la boucle locale de cuivre est très longue. Il est difficile de délivrer une bonne bande passante sur l'ensemble de la boucle. De plus, le câble est le principal moyen d'accéder au haut débit. Les opérateurs qui investissent dans la fibre sont donc dans une logique de compétition contre les acteurs du câble. Verizon déploie ainsi le FTTH pour faire du triple play et concurrencer ces acteurs. La Belgique et la Suisse constituent encore un autre cas de figure. A d'abord été déployé le VDSL, moins coûteux que la fibre, mais les deux pays sont en train de passer au FTTH. De même qu'en Allemagne, où Deutsche Telekom, auparavant très VDSL, va déployer du FTTH l'an prochain.

Le modèle économique du FTTH est fonction de deux variables clé : la densité de population et le nombre de foyers dans l'immeuble. Ces deux données ont une conséquence directe sur le coût par abonné. C'est la raison pour laquelle en Asie, spécialement dans des villes comme Hong-Kong, championne sur ces deux variables, la fibre est déjà très présente.

Comment se passe le déploiement en France ?

En France, on commence par le cœur des villes, les zones très denses, qui recouvrent 5 millions de foyers selon l'Arcep. Paris est d'ailleurs un cas particulier très favorable, puisque les travaux de génie civil nécessaires à la pose de la fibre sont déjà effectués : les égouts haussmanniens permettent d'accéder aux immeubles sans creuser. Dans les grandes villes, on rencontre même parfois du multifibre, avec dans un même immeuble des fibres d'opérateurs concurrents. Nous faisons le pari que l'investissement privé suffira, même pour avoir de la concurrence.

Pour sortir la fibre des villes, il s'agit d'abord de renforcer l'action des collectivités locales, qui vont devoir travailler leur territoire en capillarité. 2 milliards d'euros du grand emprunt serviront à générer un effet de levier sur les investissements des collectivités. Le co-investissement est un autre axe de travail. En Italie, Fastweb, Wind et Vodafone travaillent ensemble sur un réseau fibré pilote près de Rome, afin de montrer que le co-investissement des acteurs privés est une bonne option. En France aussi, Orange, SFR et Free mènent une expérimentation de co-investissement en déployant un réseau mutualisé à Bondy.

L'impact de la crise économique sur les investissements des opérateurs explique-t-il le retard de la France en matière de fibre optique ?

En France, 5 millions de foyers sont déjà raccordables. Ce qui est décevant, c'est le faible nombre d'abonnés. En juin 2010, seuls 6 % des foyers raccordables avaient souscrit à une offre, contre 29 % au Japon et plus de 30 % aux Etats-Unis. La France n'est pas en retard sur le déploiement. Sa principale faiblesse réside dans la conquête des abonnés.

Je pense que les opérateurs doivent maintenant s'efforcer de démontrer les avantages de la fibre. Pour cela, je pense aux applications qui s'appuient sur le poste de télévision. Par exemple la solution de visioconférence sur TV que vient de lancer Cisco à l'intention du grand public. Mais aussi la TV connectée, ou encore la possibilité de recevoir plusieurs flux TV simultanément dans un foyer. Ces usages peuvent tout à fait tirer vers le haut les abonnements à la fibre.

Ces usages paraissent bien marginaux aujourd'hui. Sont-ils suffisants pour attiser l'adoption de la fibre ?

Les gens sont de plus en plus attirés par l'image. Prenez le service de voix sur IP de Skype : 40 % des appels sont aujourd'hui passés en vidéoconférence, ceci en dépit de la qualité dégradée de l'image. Or tout le monde possède un poste de télévision. Ces services font donc réellement partie de ceux qui pourraient décoller avec la fibre. En outre, d'autres solutions sont sans doute à rechercher du côté du packaging et de la segmentation des prix.

A quel rythme la fibre va-t-elle être adoptée en France ?

Le mouvement est parti, mais la sortie des villes va dépendre du modèle économique qui s'établit, entre co-investissement privé et investissement des collectivités locales. En France, nous sommes plutôt bien positionnés sur cette question : les collectivités locales sont très éduquées en matière de télécoms. L'Idate prévoit qu'à fin 2014, la France comptera 6,1 millions d'abonnés FTTH/B. Apparemment, le gouvernement a retenu les projets pilotes. Il sera intéressant de voir comment le modèle économique se met en place.