Le business model de la réalité augmentée pour les opérateurs télécoms

La réalité augmentée constitue un des usages en vogue. Au-delà de ce succès annoncé, quel peut être le modèle économique pour les opérateurs télécoms ?

Superposer des objets virtuels à la réalité, et ce en temps réel, cela paraissait futuriste il y a quelques années. Pourtant c’est exactement la définition de la réalité augmentée ou RA, dont les applications fleurissent aujourd’hui. Apparu dans les années 60, ce concept a vu les technologies qui lui sont associées se développer et s’enrichir. Aujourd’hui, la RA est déjà en phase de transformer profondément nos comportements quotidiens : offrir aux adeptes de jeux vidéo une expérience encore plus proche du réel, rendre possible l’essayage de montures de lunettes en ligne, visualiser le rendu d’un futur canapé dans son salon sans l’acheter… la RA peut tout ceci et bien plus encore.
La réalité augmentée établit le pont qui manquait entre les usages en ligne hors ligne. En termes de parcours d’achat, il s’agit d’une véritable révolution. En simplifiant l’expérience client, les marques utilisant la réalité augmentée s’assurent de meilleurs taux de transformation, des cycles de vente plus courts et de meilleurs rebonds sur les réseaux sociaux.
Certains acteurs industriels ont déjà saisi le potentiel immense de cette nouvelle façon de consommer. Ainsi des entreprises comme Atol, Renault et Airbus ont-elles déjà choisi de s’allier au français Total Immersion, acteur spécialisé en réalité augmentée, afin de fournir des solutions pour leurs clients. L’allemand Metaio a, quant à lui, réalisé une opération marketing très remarquée avec Lego.
Les acteurs du Web, grands pourvoyeurs de contenus digitaux, sont très attendus sur ce nouveau marché. De fait, leur proximité de tous les instants avec les cybernautes, et ce quel que soit le support (PC, mobile, tablette, etc.) les propulse d’office sur le devant de la scène dès lors qu’il s’agira de mettre sur le marché des applications innovantes et pertinentes. Entretenant le suspense depuis plusieurs mois, Google a récemment révélé ses Google Glass au grand public.
Du côté des opérateurs télécoms français, le positionnement reste mesuré. Quelques initiatives ont vu le jour, exploitant le modèle des points d’intérêts (118 712, ici info, SFR wifi). Ce sont pourtant leurs réseaux qui seront fortement sollicités dans l’utilisation des applications de réalité augmentée.

Peuvent-ils adopter un positionnement qui leur permettent un scénario alternatif à la désintermédiation ?

Sur le B2C, il semble délicat d’envisager une percée des opérateurs. En effet, les OTT apparaissent comme plus légitimes et affichent une capacité d’innovation qui leur assure d’office une traction massive de leur base d’utilisateurs. En revanche, en ce qui concerne les acteurs B2B, cette réalité apparait moins évidente. Lancer des applications de réalité augmentée impliquera nécessairement une charge significative d’intégration, des prestations d’infogérance, d’hébergement et de maintenance applicative. Si les opérateurs n’agissent généralement pas seuls sur cette chaine de valeur, ils peuvent jouer un rôle significatif. Mais quels secteurs cibler ? Les acteurs susceptibles de bénéficier des bienfaits de la réalité augmentée sont, en premier lieu, ceux dont le cycle d’achat est rendu complexe pour les utilisateurs, nécessitant une réassurance. Ces frictions peuvent être limitées en facilitant l’expérience utilisateur, en aidant ce dernier à se projeter dans son choix.
L’immobilier, l’ameublement, l’habillement, ou encore l’automobile peuvent être cités à cet égard. Imaginer un appartement encore en cours de construction ? Valider le choix d’une cuisine équipée dans son appartement ? S’assurer du choix judicieux d’une taille de vêtement ? Visualiser immédiatement le rendu d’un véhicule avec ses options ? Les opérateurs peuvent se positionner dans la co-construction d’applications de réalité augmentée qui facilite et accélère le taux de transformation d’acteurs industriels.
Outre la réalisation d’applications, le cas échéant avec des partenaires, et leur intégration aux systèmes d’informations des acteurs B2B, les opérateurs peuvent envisager de nouvelles sources de revenus à condition d’entrevoir de nouveaux modèles d’affaires auxquels ils sont actuellement peu habitués. Dès lors que l’on évoque la promesse de cycles de ventes facilités et optimisés, les opérateurs pourraient envisager un partage de la valeur lié au succès des transactions. AchatDesign, spécialiste de la vente de meubles en ligne, a constaté après un mois d’utilisation de la réalité augmentée, un accroissement du taux de transformation de 13 % sur son site Internet. A quand une solution de réalité augmentée, proposée par un industriel de premier plan, powered by… Orange  ou SFR ou Bouygues Télécom ?
En outre les opérateurs peuvent également tirer profit des données clients tout en jouant le garant du respect des droits et protection des données. Identifier un client à l’entrée d’un magasin grâce à son numéro de mobile ? L’orienter vers une sélection de véhicules familiaux grâce à la connaissance des contrats opérateur de son foyer ? Si les opérateurs parviennent à maintenir une logique d’opt-in volontaire et réversible de la part de leurs clients, ils pourraient devenir un pilier dans la proposition de produits et services des plus pertinents. Dans le même temps, ceci leur permettrait de prendre des positions solides sur un marché en plein essor et portant une forte image d’innovation.

Jean-Michel Huet, Directeur Associé BearingPoint,  Antoine Schmidt, BearingPoint et Marie-Liane Lekpeli