Rachat de SFR : Bouygues veut-il acheter pour mieux se délester ?

L'affaire a pris une nouvelle tournure, depuis que Martin Bouygues s'est rendu à l'Elysée pour jouer son va-tout. La candidature de Bouygues Telecom, qui avait tout, jusqu'à présent, d'anecdotique, est épluchée avec attention.

On reproche beaucoup à Bouygues la "casse sociale" qu'elle ne manquerait pas d'entrainer. On peut aussi lui opposer un certain manque d'intérêt sur le plan de l'innovation, puisque les deux groupes sont jumeaux en bien des points, et manquent donc de complémentarité.
L'intérêt de Bouygues pour SFR peut étonner. Après tout, pourquoi un groupe se délestant de ses activités stratégiques dans les domaines des télécoms, de l'eau, de l'énergie et des médias pour se concentrer, depuis une dizaine d'années, sur le BTP, éprouve-t-il le besoin subit de faire tomber dans son escarcelle un acteur des télécoms ? Depuis 2002 et la cession à l'ENI (entreprise italienne) de Bouygues Offshore, filiale spécialisée dans la construction de plateformes pétrolières et gazières, Bouygues n'a de cesse de lâcher du leste, en ayant le plus souvent recours à des LBO (leveraged buy-out).
Sa branche télécom est elle aussi en partie sciée.Ainsi, en 2005, le groupe cède Bouygues Télécom Caraïbes, comprenant trois réseaux de téléphonie mobile, à Digicel, entreprise irlando-américaine, pour plus de 100 millions d'euros. Rebelote en 2013, puisque Bouygues vend plus de 2 000 pylônes au fonds de private equity Antin Infrastructure pour 200 millions d'euros. Pourquoi un groupe dont la stratégie est réduite à sa plus simple expression, c'est à dire à la cession d'actifs, veut-il soudain s'enticher du deuxième opérateur français ? On s'en fera sans doute une petite idée en mesurant tout ce qu'a à perdre Bouygues Telecom si SFR choisit plutôt de céder aux avances de Numericable, lui aussi sur le coup. Dans l'impossibilité de se rapprocher d'Orange mais aussi,  pour des raisons personnelles - Martin Bouygues et Xavier Niel étant en froid - de Free, Bouygues pâtirait du mariage SFR - Numericable. Le groupe se retrouverait isolé et, selon Adrien Bourreau, expert Télécom du cabinet Kurt Salmon, "sa pérennité à court terme serait menacée avec des pertes rapides de parts de marché".Les enjeux sont clairs. Bouygues, en courtisan SFR, organise sa fuite en avant, cherchant à réaliser un hold-up pour "au pire faire monter les enchères et retarder l'opération ou au mieux voler la mariée à Numericable", dixit Adrien Bourreau. Reste que son offre semble ficelée à la va-vite...
A quelques nuances près - SFR étant plus présent que Bouygues dans le fixe - les offres proposées par SFR et Bouygues se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Réseaux nationaux 2, 3 puis 4G, fourniture de services mobiles, de services fixes Triple Play, boutiques aux quatre coins du pays... Quand Bouygues aurait pu profiter des 6 milliards d'euros perçus ces 6 dernières années en dividendes et cession d'actifs provenant des télécoms pour investir dans la fibre optique, raccordant 12 millions de foyers français, il a préféré redistribuer aux actionnaires, manquant l'occasion de réaffirmer son intérêt pour les télécoms. On voit donc mal quelle valeur ajoutée il pourrait apporter à SFR.
Une stratégie qui s'opère au détriment des clients. En l'absence de perspective de déploiement de la fibre, la seule option de Bouygues est de brader son offre ADSL, et donc d'appauvrir le développement du marché. Autant dire que Bouygues Telecom ne semble pas vraiment se préoccuper de l'avenir du secteur, préférant se rabattre sur le BTP.
Un paramètre plutôt gênant, quand on sait que le groupe vient de se mettre en cheville avec Telefonica Global Solutions sur le marché des services télécoms destinés aux firmes multinationales basées en France. Une alliance qui ouvre des portes à Bouygues, et lui permettrait d'envisager la revente de son lot au géant espagnol s'il venait à racheter SFR. Hypothèse valable, si l'on veut bien se souvenir que la stratégie de Bouygues semble ces derniers temps se résumer à la cession d'actifs...