Encadrement de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles en France et aux Etats-Unis

La technologie de cinquième génération, dite " 5G ", a été à l'origine d'une transformation sans précédent du paysage des télécommunications en France et dans le monde. Face à cette innovation, et aux défis qu'elle représente, la France a mis en place avec la loi n°2019-810 un nouveau dispositif juridique destiné à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale dans l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles de cinquième génération et des générations ultérieures.

Ce texte a notamment introduit un nouveau régime d’autorisation préalable, par le Premier ministre, d’exploitation d’équipements radio 5G. A titre de comparaison, aux États-Unis, le récent Secure Equipment Act de 2021 donne à la Federal Communications Commission (FCC) le pouvoir de restreindre l’utilisation de certains équipements aux entreprises figurant sur sa « Covered List ».

En France, le texte est issu d’une proposition de loi déposée au mois de février 2019. Le constat de l’époque était le suivant : si le déploiement des réseaux pour assurer la couverture numérique de l’ensemble du territoire national restait un objectif, le déploiement de la 5G augmentait les risques liés à la cybersécurité des équipements de ces réseaux. Deux raisons à ce constat : les spécifications techniques de la 5G (gestion dynamique du réseau d’accès, introduction d’unités de traitement de l’information à la périphérie du réseau, edge computing) et son usage dans les domaines industriels pour certains secteurs critiques (véhicules connectés, technologies émergentes, réseaux d’énergie, etc.).

Considérant que la technologie 5G serait porteuse de risques distincts et sérieux par rapport aux technologies précédentes, la loi du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobile a créé l’article L. 34-11 du Code des postes et des communications électroniques aux termes duquel l’autorisation préalable du Premier ministre est requise pour l’exploitation de certains équipements du réseau radioélectrique mobile qui, par leur fonction, « présentent un risque pour l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’exploitation du réseau » et dont la liste précise doit faire l’objet d’un arrêté. Cette loi permet, entre autres, au Premier ministre de refuser l’octroi d’une autorisation d’exploitation de tout matériel ou logiciel permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau mobile dans le cadre du déploiement du réseau 5G. Parmi les motifs de refus, se trouvent le risque sérieux d’atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale, le manque de garantie quant à la permanence, l’intégrité, la sécurité et la disponibilité du réseau. Afin de délivrer l’autorisation, le Premier ministre prend en considération le niveau de sécurité des appareils, les modalités de déploiement et d’exploitation envisagées par l’opérateur et le fait que l’opérateur ou ses prestataires, y compris par sous-traitance, sont « sous le contrôle ou soumis à des actes d’ingérence d’un État non-membre de l’Union européenne » (L. n° 2019-810, 1er août 2019, art. 1er modifiant le deuxième alinéa de l’article L. 34-12 du Code des postes et des communications électroniques).

La constitutionnalité du texte a été contestée, en vain, mais certaines entreprises de télécommunications ont déposé des recours contre les décisions du Premier ministre refusant ou accordant une autorisation, notamment s’agissant de l’utilisation des équipements 5G Huawei. Parallèlement, d’autres entreprises cherchent à obtenir des juridictions administratives des dommages et intérêts compte tenu des coûts de remplacement des équipements désormais interdits, le déploiement d’une technologie 5G fonctionnant sur la base d’un cœur de réseau 4G et dans une zone couverte par des sites 4G.

Aux États-Unis, le Secure Equipment Act a été adopté par la Chambre des représentants et au Sénat à la quasi-unanimité (par 420 voix contre 4), et a été signé presque immédiatement par le président Joe Biden le 11 novembre 2021.

Ce texte vise à consolider l’autorité de la FCC, agence gouvernementale américaine indépendante supervisée par le Congrès et chargée de mettre en œuvre, et de faire respecter, la législation et la réglementation américaines en matière de communications. La FCC réglemente les communications interétatiques et internationales par radio, télévision, fil, satellite et câble dans les 50 États, le district de Columbia et tous les territoires américains.

Ces nouvelles dispositions prévoient l’interdiction pour la FCC d'examiner ou de délivrer de nouvelles licences d'équipement à des sociétés figurant sur sa "Covered List" - une liste d’équipements et de services de communications, considérés comme présentant un risque inacceptable pour la sécurité nationale, ou pour la sécurité et la sûreté des personnes aux États-Unis.

En outre, aucune autorisation ne sera accordée par la FCC pour les équipements des entreprises figurant sur cette covered list, quel que soit le type de fonds utilisé pour les acheter. Les règles adoptées précédemment obligeaient les entreprises de télécommunications à retirer et à remplacer les équipements mentionnés dans la covered list et achetés avec un financement fédéral ; ces règles ne s'appliquaient pas aux équipements achetés avec des fonds privés ou non fédéraux. Désormais, le Secure Equipment Act s’applique, quel que soit le type de financement utilisé.

Cette législation marque donc l’aboutissement d’une succession d’initiatives visant à protéger les réseaux de communications du pays.

En novembre 2019, la FCC avait adopté une interdiction d’utiliser le soutien du Fonds pour le service universel (USF) pour acheter, obtenir ou maintenir tout équipement ou service provenant d’entreprises représentant une menace pour la sécurité nationale des réseaux de communication ou de la chaîne d’approvisionnement en communications. Cette interdiction a été pour l’essentiel reprise au sein du Secure Network Act, promulgué en 2020 sous l’administration Trump, qui interdit l’utilisation de subventions fédérales pour les équipements et services de communication visés dans la covered list. Avant cela, le Congrès avait adopté, et le président signé en 2017 et 2018, une série de National Defense Authorization Acts (NDAA) qui stipulaient spécifiquement que les agences gouvernementales ne pouvaient pas "acheter ou obtenir ou étendre ou renouveler un contrat pour acheter ou obtenir tout équipement, système ou service qui utilise des équipements ou services de télécommunications visés dans la Covered List  en tant que composant substantiel ou essentiel de tout système, ou en tant que technologie critique dans le cadre de tout système."

Enfin, le Secure Equipment Act est intervenu juste après la décision du 26 octobre 2021de la FCC de révoquer l’autorisation accordée à la filiale américaine de China Telecom d’opérer aux États-Unis. Dans son communiqué de presse, la FCC a déclaré qu’elle avait "adopté une ordonnance mettant fin à la possibilité pour China Telecom (Americas) Corporation de fournir des services de télécommunications nationaux interétatiques et internationaux aux États-Unis", expliquant que cette "action s’inscrit dans le cadre de la mission de la FCC consistant à protéger l’infrastructure des télécommunications de la nation contre les menaces potentielles pour la sécurité". Afin de faciliter la transition vers d’autres fournisseurs de services mobiles après la suspension des services de China Telecom Americas, la FCC a publié un guide expliquant cette décision et les solutions disponibles

Ce nouveau cadre a été relayé à l’international par des efforts diplomatiques. Les États-Unis ont notamment déclaré qu’ils cesseraient de partager des informations avec leurs alliés qui permettent à Huawei de fournir une partie importante de leurs infrastructures de télécommunications, affirmant que le risque pour la sécurité intérieure était trop important.

Il conviendra de suivre ces régimes américain et français qui continueront d’évoluer au rythme des nouvelles évolutions technologiques, alors que des voix s’élèvent déjà pour réclamer une réglementation plus stricte qui, sans être limitée aux équipements, intégrerait également les composants de ces derniers. En France, l’examen de la mise en œuvre de ce régime se poursuit, dans l’attente de plusieurs décisions, notamment du Conseil d’Etat.