Le métavers, oui mais pour qui ?
10 000 emplois créés en Europe, c'est ce qu'a annoncé Meta en octobre 2021. Depuis, un terrain virtuel a été vendu plus de 2 millions de dollars fin 2021. Mais le métavers, c'est pour qui ? Tribune co-signée avec Livia Lamon, Trends Manager chez Ubisoft.
10 000 emplois créés en Europe, c’est ce qu’a annoncé Meta en octobre 2021. Depuis, un terrain virtuel a été vendu plus de 2 millions de dollars fin 2021, et Bloomberg Intelligence a estimé que le marché représenterait plus de 800 milliards de dollars en 2024. Le métavers n’est plus un épiphénomène mais une véritable tendance – dont les communautés doivent encore toutefois s’emparer. Mais que sait-on véritablement de lui, alors que seul 39%[1] de la population française en a déjà entendu parler, et que parmi cette fraction, 21% ne voient toujours pas bien ce dont il s’agit ?
Des habitudes digitales déjà inscrites chez les plus jeunes
Les mondes virtuels ne feraient-ils pas déjà partie du quotidien des Françaises et des Français ? Ils sont en effet 41% à déjà avoir créé un avatar, 30% à avoir créé un objet virtuel dans un jeu vidéo ou sur un réseau social (vêtement, bijou, armure, arme...). Et c’est encore plus fort chez les adolescents et jeunes adultes de la génération Z (16-24 ans) où ils sont respectivement 78% et 62%. Presque une évidence quand leur principal marqueur est de n’avoir jamais connu un monde sans internet : le digital ayant toujours fait partie de leur quotidien, il tient une place prépondérante dans leur vie.
Les 16-24 ans sont également habitués à dépenser de l’argent pour acheter du contenu purement digital : ils sont en effet 52% à avoir acheté un objet ou un accessoire virtuel pour personnaliser leur apparence dans un monde virtuel ou un jeu vidéo. Et cette pratique croissante se retrouve dès l’enfance : aujourd’hui, l’argent de poche des 4-14 ans va en premier lieu vers des achats digitaux, qui ont dépassé les jouets et les bonbons depuis deux ans maintenant[2].
Ce mode de vie hybride se manifeste particulièrement dans la pratique gaming de cette nouvelle génération. Le jeu vidéo est surtout pour eux un moyen de socialisation - c’est d’ailleurs là qu’il se note un vrai décrochage avec les générations précédentes : 79% de la génération Z a déjà passé un moment entre amis ou en famille dans un monde virtuel ou un jeu vidéo, contre 41% de la population globale.
Avec le Covid, ces pratiques se sont renforcées, et l’importance du lien digital est devenu d’autant plus crucial. Un constat renforcé par le succès rencontré par Fortnite ou Roblox auprès de cette génération connectée : gratuits, très accessibles, avec une direction artistique ludique et grand public, des expériences pensées autour du lien social, du nouveau contenu proposé à intervalles réguliers... Les deux jeux ont par ailleurs franchi un cap dans la virtualisation de la sociabilisation, avec l’organisation de concerts et événements en ligne au moment des premiers confinements. Des succès énormes, et de vraies expériences pensées pour ces plateformes, bien plus élaborées qu’une performance classique – et qui ont su trouver leur public : 60% des jeunes Français et Françaises déclarent déjà avoir assisté à un concert ou un évènement dans un monde virtuel ou un jeu vidéo.
Métavers et réalité virtuelle : un avenir encore lointain ?
Toutefois, pour vivre un degré total d’immersion dans l’expérience des métavers imaginés par Ready Player One ou Meta, une fracture se dessine. En effet, ces expériences ne semblent uniquement accessibles qu’à l’aide de casques de réalité virtuelle ou augmentée. Or, seuls 9% de la population française possède un casque de VR (15% chez les 16-24) : un taux d’installation dans les foyers qui est aujourd’hui bien insuffisant pour rendre concret une vision d’un métavers dépendant de ces technologies.
L’adoption à grande échelle de ces équipements sera donc déterminante pour obtenir l’engagement nécessaire au décollage de ces propositions, et « le futur d’internet » de Mark Zuckerberg aura potentiellement à s’affranchir de cette contrainte – car d’autres visions concurrentes n’en font pas une condition d’accès.
Un engagement des communautés primordial
Mais l’enjeu réside ailleurs : comment embarquer le reste de la population à s’imaginer, se projeter dans ce monde virtuel et envisager ce qu’ils aimeraient y faire ? Un quart des Françaises et des Français n’y arrive toujours pas – et pour les autres, le désir d’évasion, de lien social (avec les proches notamment), et l’envie de vivre une nouvelle vie sont leurs motivations principales – sans doute boostées par la distanciation sociale imposée par la crise sanitaire.
En attendant, le métavers est surtout un concept dont devraient s’emparer les acteurs de la culture et des jeux vidéo, jugés plus légitimes que les autres à se positionner sur ce marché selon 30% de la population. Un résultat qui fait sens avec la montée en puissance et l’évolution de l’industrie du jeu vidéo, aujourd’hui constituée d’une galaxie de jeux qui rassemblent des communautés fidèles et habituées à passer du temps dans des univers riches et vivants, pour la plupart depuis plusieurs années.
Le véritable enjeu stratégique dans la course au métavers sera celui de l’acquisition et de l’engagement des communautés, là où l’industrie du jeu vidéo a un réel temps d’avance. Au-delà de la dimension technologique, c’est bien ici que tout se jouera.
[1] Les chiffres de la tribune sont issus de l’Omnibus Ipsos pour Ubisoft, janvier 2022
[2] Kids Allowance report, Rooster Money