Smartphone : quid de l'obsolescence logicielle ?

Si l'obsolescence matérielle est à l'agenda des acteurs depuis longtemps, il serait temps qu'il en soit de même pour l'obsolescence logicielle.

On parle de plus en plus de réparabilité et de seconde main autour des appareils numériques. Si cet aspect est absolument fondamental et que la France s’est déjà emparée de la problématique dès 2015, avec la mise en place d’un cadre juridique permettant de prévenir et de condamner l’obsolescence programmée, on oublie encore trop souvent le volet logiciel et les enjeux qui en découlent. Aujourd’hui encore, de nombreux obstacles se dressent devant ceux qui souhaitent pouvoir les mettre à jour pendant plus de 5 ans.

L’obsolescence logicielle est une problématique clé pour la durabilité des usages et à l’origine d’un changement de téléphone pour 20% des utilisateurs.

Force est de constater que dans un secteur oligopolistique où quelques acteurs imposent la norme, de nombreux freins persistent et qu’un téléphone est encore trop souvent abandonné faute de pouvoir le faire fonctionner convenablement.

La plupart des efforts de longévité engagés actuellement par le secteur de l’électronique se concentrent d’abord, sur la réparabilité physique des produits. Les trois plus gros constructeurs de smartphones ont d’ailleurs récemment commencé à ouvrir la porte à plus de réparation par les utilisateurs de leurs produits. C’est un premier pas indispensable pour assurer une plus grande durabilité des appareils. Grâce à elle, le renouvellement des appareils s’en retrouve espacé - absolument décisif quand on sait que 75% des émissions de GES d’un téléphone sont générées lors de sa production[1].

Lorsque l’on parle de la mise à jour du logiciel Android, lequel représente 70% des systèmes d’exploitation selon Statista, en revanche, le processus, entre les mains de quelques acteurs seulement, se caractérise par une extrême complexité et de nombreuses étapes. Malgré cela certains acteurs montrent qu’il est possible d’y faire face avec de l’investissement et des efforts.

La mise à jour logicielle doit prendre en considération 3 aspects : 

  • Il faut tout d’abord adresser des bugs. Par exemple : si le wifi fonctionne mal, il faut corriger le problème pour garantir la bonne utilisation du téléphone.
  • Il convient ensuite de s’assurer que les patchs de sécurité de l’appareil fonctionnent. Cet aspect est très important, car sans l’assurance de la sécurité de l’appareil, des acteurs tels que les banques ne permettront plus à leurs applications de fonctionner sur l’appareil (les personal data étant considérées comme en situation de risque à ce moment-là).
  • La mise à jour permet de bénéficier des dernières fonctionnalités Android. Avec la mise à jour vers Android 12 par exemple, les utilisateurs peuvent profiter d'améliorations graphiques apportées par la nouvelle approche de Google en termes de design : Material You.

Ainsi pour un téléphone fonctionnant avec Android, la mise à jour (à l’initiative du constructeur) passe par 4 étapes principales :

  1. S’appuyer sur l'Android Operation Source Project (AOSP) : lorsque Google sort une nouvelle version d’Android, celle-ci est alors mise en open source et accessible aux constructeurs qui s’en saisissent pour l’adapter à leurs téléphones.
  2. En ce qui concerne l’appareil, la puce électronique, qui régit tout le fonctionnement du téléphone, doit être adaptée à cette nouvelle version d’Android. Or, ce sont les fournisseurs de la puce qui doivent s’assurer de cette adaptation et les quelques acteurs de ce marché très spécialisés ne font pas forcément de cette mission une priorité.
  3. Le téléphone doit aussi recevoir des intégrations diverses dites “spécificités”. C’est notamment le cas pour intégrer les personnalisations de certains opérateurs télécoms (concernant par exemple la voix sur IP). Ces intégrations doivent ensuite faire l’objet d’un processus d’approbation pour chaque opérateur, dans leurs propres laboratoires.
  4. Google doit ensuite approuver la compatibilité du téléphone à l’issu d’un processus de certification. Ce processus passe par une suite de tests techniques (près de 500 000), à l’issue de laquelle la version du système d'exploitation soumise est validée, pour être délivrée aux utilisateurs.

Enfin le téléphone va vivre et avoir besoin de cycles de maintenance pour chaque version d’Android. Pour ce faire, les acteurs (comme Google et le fournisseur de puce) fournissent des patchs de sécurité tous les mois. Pour chaque nouveau patch de sécurité, le téléphone doit repasser par le processus en 4 étapes. Une fois que Google cesse de fournir ces patchs pour une version d’Android, le téléphone doit passer à la mise à jour Android suivante.

En revanche, lorsque le fournisseur de puce ne fournit plus le patch de sécurité, la chaîne vertueuse ne fonctionne plus. En théorie, cela signifie que le support logiciel ne peut plus être assuré. S’il le souhaite, c’est désormais au constructeur de trouver des alternatives pour permettre au téléphone de demeurer compatible avec les nouvelles mises-à-jour Android.

La communauté open source peut alors se révéler un allié incontournable pour des constructeurs désireux de continuer à proposer des mises à jour à leurs clients. Il existe aussi des acteurs engagés tels que LineageOS, qui permettent de contourner ce problème avec un système d’exploitation plus ouvert et qui dure de fait plus longtemps.

Mais ces efforts alternatifs ne sont pas encore assez généralisés dans l’industrie. Si les acteurs du numériques ne prennent pas en main ce problème, il revient donc aux pouvoirs publics d’agir pour imposer un cadre contraignant qui aille dans ce sens. Avec la loi REEN en France, le DMA et les tentatives de réglementations sur les batteries de l’Union Européenne, les régulateurs prouvent leur force d’impulsion mais doivent aller au bout de ces efforts.

[1] Source : https://librairie.ademe.fr/cadic/1866/guide-pratique-impacts-smartphone.pdf?modal=false