Catherine Trautmann : "Le BERT sera un contre-pouvoir vis-à-vis de la Commission européenne"

Rapporteur de la directive-cadre télécoms, la députée européenne PSE détaille la position du Parlement européen sur les réformes du paquet télécoms proposées par la Commission.

 

Dans quel cadre s'inscrivent les textes et amendements adoptés par les députés européens le 8 juillet sur le "paquet télécoms" ?

La Commission européenne a lancé, en novembre 2007, un processus de révision de la directive européenne adoptée en 2002 sur le marché des communications électroniques, dit "paquet télécoms", en formulant un certain nombre de propositions de réforme.

Le rôle du Parlement est d'amender les propositions faites par la Commission, qui sont loin d'avoir suscité l'unanimité parmi les Etats membres, afin de faire une proposition plus consensuelle sur laquelle le Conseil de l'UE et la Commission pourraient s'entendre. Au Parlement européen, deux commissions principales partagent le travail législatif : celle du marché intérieur, qui se concentre sur le caractère universel des services et sur les droits des consommateurs, et celle de l'industrie, de la recherche et de l'énergie, dont je fais partie, qui est en charge notamment de la structure du "paquet télécoms", c'est-à-dire des aspects de régulation. C'est dans ce cadre que les membres des commissions ont adopté lundi 7 juillet les rapports de propositions d'amendement des réformes de la Commission présentés par mes collègues Malcom Harbour, Pilar del Castillo et moi-même.

"L'enjeu est de réguler un secteur qui représente un quart de la croissance de l'économie de l'UE"

Quels sont les enjeux de ce nouveau "paquet télécoms" ? Quelles sont les insuffisances de la directive sur le marché des communications électroniques de 2002 ?

L'enjeu est de taille puisqu'il s'agit de revoir la régulation d'un secteur qui représente un quart de la croissance globale de l'économie en Europe. Les télécoms représentent la moitié des 650 milliards d'euros générés par le secteur des technologies de l'information et de la communication. Il s'agit donc d'un secteur où il y a d'énormes intérêts en jeu, un marché sensible. L'objectif de l'Union européenne est de créer les conditions de concurrence effective dans chaque Etat pour que tous les citoyens accèdent à l'ensemble des services de communications électroniques.

Le cadre réglementaire en vigueur, s'il a globalement bien fonctionné et permis d'accroître la concurrence sur les nouveaux supports de communication, ne fournit plus aujourd'hui ni visibilité économique suffisante pour les industriels, ni les outils adéquats pour les régulateurs face aux nouveaux enjeux du secteur, notamment le très haut débit fixe et mobile.

Vous dîtes que les propositions de réforme faîtes par la Commission européenne en novembre 2007 ne font pas l'unanimité parmi les eurodéputés. Quels sont les points les plus contestés ?

Trois points notamment ont soulevé beaucoup de contestations et ont été sources de blocages : la question de la gestion du spectre des fréquences, pour laquelle la Commission voulait s'arroger des prérogatives sans consulter les Etats membres ; un autre point de discussions est le remède de la séparation fonctionnelle qui, pour optionnelle qu'elle soit dans la directive, apparaissait comme la solution privilégiée de la Commission ; enfin, le dernier point contesté, et pas le moindre, est la proposition de la Commission d'une nouvelle entité de régulation européenne.

"En créant un super-régulateur européen, la Commission aurait été juge-arbitre"

Sur ce point, plutôt qu'un "super gendarme" européen des télécoms, comme le préconisait la Commission, les eurodéputés ont voté pour la mise en place d'une structure plus légère, réunissant les 27 régulateurs nationaux de l'UE, baptisée BERT ("Body of European Regulators in Telecommunications"), sorte de nouvelle version de l'actuel ERG (groupe des régulateurs européens) avec des pouvoirs renforcés. Pourquoi s'opposer au projet de la Commission ?

L'instance proposée par la Commission, si elle gagnait en moyens d'action, aurait en revanche nettement perdu en indépendance vis-à-vis de la Commission qui aurait eu un droit de veto sur les remèdes proposés par les régulateurs nationaux. C'est en contradiction totale avec l'encouragement de l'indépendance des régulateurs nationaux à l'égard de leurs gouvernements respectifs. La commission aurait été juge-arbitre. C'est pourquoi nous avons privilégié l'instauration d'une instance qui sera un contre-pouvoir vis-à-vis de la Commission, qui l'empêchera de passer en force.

La Commission européenne doute que le BERT parvienne à adopter des positions communes à ses membre, donc à être opérationnel...

Au contraire, le BERT sera constitué de régulateurs expérimentés qui devront adopter des décision à la majorité absolue, c'est-à-dire 50 % plus une voix. Je pense que nous avons créé là une instance opérationnelle.

"Le remède de la séparation fonctionnelle doit rester exceptionnel"

L'un des pouvoirs du BERT sera notamment de donner son aval, en parallèle avec la Commission européenne, à l'utilisation du remède de la séparation fonctionnelle - séparation entre les activités de réseau et de services d'un opérateur historique - par un régulateur national. Que répondez-vous à l'Aforst (Association française des opérateurs de réseaux et services télécoms) qui vous accusent de durcir les conditions de l'utilisation de ce remède, donc de nuire à la concurrence ?

Nous n'avons pas voulu retirer ce remède de la panoplie dont peuvent disposer les régulateurs, mais il n'est pas la solution absolue car il peut être utilisé à mauvais escient. Ce remède peut notamment décourager l'investissement des opérateurs. Il doit rester exceptionnel, comme un dernier recours si les autres remèdes n'ont pas fonctionné. C'est pourquoi nous avons souhaité mieux l'encadrer.

Concernant les investissements des opérateurs les nouveaux réseaux de télécommunications, notamment la fibre optique, qu'ont voté les députés ?

La Commission européenne a annoncé qu'elle allait faire une recommandation sur la régulation des réseaux de nouvelle génération à l'automne 2008. Il n'y avait donc pas de proposition à amender. Cependant, nous avons voulu anticiper sur cette recommandation, en faisant des propositions dans la directive-cadre modifiée qui visent à encourager les investissements des industriels sur ces réseaux. Nous devons encore débattre des modalités précises de nos propositions car il s'agit d'un enjeu de 300 milliards d'euros si l'on veut couvrir tout le territoire de l'Union européenne en fibre optique.

Quelles sont les propositions des eurodéputés concernant la gestion du spectre de fréquences, notamment celles libérées par l'extinction de l'analogique à l'horizon 2011 - le dividende numérique ?

Nous réaffirmons notre attachement à la souveraineté des Etats membres sur la gestion du spectre des fréquences. Les débats sur le dividende numérique se feront à l'échelle des pays. Toutefois, nous les appelons à œuvrer ensemble à la mise en place d'une gestion des fréquences efficace et harmonisée. Nous souhaitons encourager les Etats membres à adopter une approche plus cohérente et plus coordonnée. C'est pourquoi nous souhaitons conduire des études d'impacts de l'optimisation du spectre des fréquences identiques dans chacun des Etats membres.

Quelle est la suite du calendrier pour la révision du paquet télécoms ?

Ces propositions, adoptées au sein des commissions parlementaires, seront discutées en session plénière du Parlement début septembre. Le texte ainsi modifié de la réforme présenté par la Commission sera ensuite présenté en novembre au Conseil de l'UE. Il y aura une deuxième lecture par le Parlement en mars 2009.