Voiture autonome : l'union sacrée des industriels français

Voiture autonome : l'union sacrée des industriels français Constructeurs, équipementiers et chercheurs travaillent ensemble pour assurer l'avenir des véhicules sans conducteur.

Plus qu'un gadget, c'est une question de survie. Le véhicule autonome est une priorité pour les entreprises françaises de l'automobile, et pour cause : "les constructeurs et les équipementiers se sentent challengés par l'uberisation du secteur. Ils savent qu'il faut réagir et innover", explique Paul Labrogère, directeur du programme transport autonome de l'institut de recherche technologique français SystemX.

Pour s'y préparer au mieux, ils ont décidé de travailler main dans la main plutôt que de jouer des coudes. Et leur alliance a un nom : le projet Nouvelle France Industrielle (NFI).

"Le plan NFI prépare la mise sur le marché de véhicules autonomes pour tous dès 2020"

Tout commence en septembre 2013, quand le ministre du Redressement Productif, Arnaud Montebourg, lance le plan NFI. Le but : redonner des couleurs à l'industrie tricolore. Parmi les thèmes abordés, les "transports de demain", et plus particulièrement la question du véhicule autonome, qui occupe à elle seule un comité de travail. Chapeauté par la PFA, l'association qui regroupe toute la filière automobile française, il réunit constructeurs, équipementiers et chercheurs autour d'un objectif commun : "révolutionner le transport individuel, collectif et industriel en préparant la mise en place sur le marché de véhicules autonomes pour tous dès 2020", détaille Jean-François Sencerin, responsable de la stratégie véhicule autonome de Renault.

Pilote opérationnel du programme véhicule autonome, présidé par son PDG Carlos Ghosn, il est en charge de coordonner les recherches : "Nous avons mis en place deux groupes qui travaillent sur les aspects technologiques sous la responsabilité des instituts de recherche technologique partenaires : l'un, dirigé par Vedecom, s'occupe de l'intelligence embarquée, de la connectivité et de l'interface homme-machine et l'autre, contrôlé par SystemX, est chargé de la recherche sur la sécurité des systèmes autonomes."

Les équipementiers sont eux aussi de la partie : "Il n'y a pas les constructeurs qui imposent et les autres qui agissent. Il y a une feuille de route en commun et nous sommes impliqués dans la gouvernance. Valeo, comme tous les autres membres, ne pourrait pas faire tout tout seul. Ce genre de projet collaboratif permet de défricher ce qui va arriver demain", se félicite Guillaume Devauchelle, directeur de l'innovation de l'équipementier automobile français Valeo.

Fin 2015, le véhicule autonome de PSA a pu sillonner les routes d'Europe. © PSA

Ensemble, ils travaillent dans le plus grand secret sur la voiture du futur. Et si peu de détails techniques ne peuvent être à l'heure actuelle dévoilés, leur calendrier est quant à lui très précis : "De 2016 à 2017, des premiers tests sont prévus sur un faible nombre de prototypes avec des conducteurs partiellement non attentifs mais experts, voire avec des conducteurs non experts supervisés. De 2018 à 2019, nous prévoyons le déploiement de pilotes en flotte, avec plusieurs dizaines voire centaines de prototypes, dans les mains de conducteurs lambda ou semi-experts, avant le lancement en série en 2020 ou 2021", raconte Vincent Abadie, responsable innovation et technologies avancées d'aide à la conduite chez PSA Peugeot Citroën.

Pour tenir les délais, le groupe se réunit tous les mois pour faire le point sur les dernières avancées : "Il y a une réelle volonté de mutualiser certains résultats pour identifier et lever les verrous non compétitifs", affirme Jean-François Sencerin.

"Il y a une réelle volonté de mutualiser certains résultats d'essai pour identifier et lever les verrous non compétitifs"

"Nous avons déjà décliné des cas d'application, comme la conduite autonome en embouteillage ou sur autoroute, sur lesquels tout le monde travaille. Le document de recherche commun est du domaine du pré-compétitif et définit les performances que l'on en attend", poursuit-il.

"Nous ne travaillons pas à livre ouvert car chacun a ses intérêts propres mais nous partageons nos résultats de manière suffisamment détaillée pour que cela soit intéressant pour tous les partenaires. Nous appliquons tous les mêmes méthodes et les mêmes expérimentations mais nous ne communiquons pas sur les composants ou sur les fournisseurs", précise Vincent Abadie.

Une collaboration indispensable pour un sujet aussi sensible : "Les perturbations multiples qui peuvent être rencontrées, comme la météo ou les autres usagers, viennent compliquer la validation technique du véhicule autonome et de ses nombreux capteurs. Entre les différents obstacles comme la pluie, la neige ou la réverbération du soleil, il faut une infinité de tests pour s'assurer que tout fonctionne. Ensemble, il sera plus facile de dresser un dossier de sécurité démontrant que le système autonome pourra être aussi, voire plus efficace, que ce qui existe actuellement", explique Paul Labrogère.

"Il faut prévoir comment se comporteront sur la route deux véhicules autonomes de constructeurs différents"

"Nous nous devons de travailler ensemble car l'ergonomie des fonctions de pilotage automatique ne peut être différente d'une marque à l'autre. Et il est aussi important de prévoir comment se comporteront sur la route deux véhicules autonomes de constructeurs différents", ajoute Guillaume Devauchelle.

Et les professionnels affirment se donner les moyens de répondre à cette exigence : "Le groupe de travail sur la sûreté du système se réunit chaque semaine pour échanger sur comment sera gérée la responsabilité en cas d'accident", raconte Vincent Abadie.

Des réunions auxquelles sont conviés tous les experts du secteur : "De nombreux travaux sont réalisés avec des juristes", révèle Guillaume Devauchelle.

D'autant que pour le gouvernement, pas question de laisser le projet de véhicule autonome en pilote automatique. Présent au sein du comité par l'intermédiaire de groupes de travail interministériels, il surveille les avancées, notamment en termes de sécurité, des fonctions autonomes.

Une pression supplémentaire pour les industriels : "Notre programme pré-compétitif doit accompagner la sortie continue et progressive de fonctions autonomes par un travail qui vise à démontrer la sécurité des systèmes pour faire évoluer la réglementation", explique Jean-François Sencerin.

"Notre programme pré-compétitif vise à démontrer la sécurité des systèmes pour faire évoluer la réglementation"

Mais aussi une formidable opportunité d'accélérer le développement de leurs technologies : "Les autorités françaises sont très proactives sur la question. En échange des autorisations d'expérimentation, elles veulent accéder à tous les résultats d'essai. Mais cela nous a permis, notamment, d'obtenir quatre immatriculations de test. Là où il nous aurait fallu plus d'un an pour obtenir cette autorisation de tester la voiture autonome sur l'espace public, cela a pris moins de cinq mois", affirme Vincent Abadie. "Pour l'instant, la réglementation ne nous autorise que des fonctions autonomes de niveau 2, c'est-à-dire quand le conducteur ne peut pas ne pas regarder la route. Grâce au plan NFI, nous travaillons sur le niveau 3, où l'usager peut faire autre chose que de regarder la route", ajoute-t-il.

Un coup de pouce administratif qu'apprécie aussi Guillaume Devauchelle : "Le comité nous permet de déposer un dossier unique pour la certification des brevets. Cela nous a permis de faire plus facilement des tests grandeur nature, comme à Versailles en 2015, où nous avons testé avec Vedecom l'interaction entre les caméras et les feux de signalisation."

"Ce sont les premiers qui dégaineront qui feront la loi sur le marché"

Et l'entente cordiale entend bien se défendre au-delà de ses frontières : "Nous travaillons aussi au niveau européen via notre participation à tous les groupes de travail de Genève. Le plan NFI sur le véhicule autonome parle d'une seule voix devant l'Europe pour faire changer les réglementations", affirme Vincent Abadie.

Car Guillaume Devauchelle prévient : "Pour le véhicule autonome, ce sont les premiers qui dégaineront qui feront la loi sur le marché."