Paulin Dementhon (Drivy) "Nous donnons la priorité à Drivy Open, notre technologie de boîtier connecté"

Le PDG de Drivy revient sur l'ouverture aux entreprises de sa plateforme de location auto entre particuliers et explique sa stratégie sur le marché parisien de l'autopartage post-Autolib.

Paulin Dementhon est le fondateur et PDG de Drivy © Drivy

JDN. Drivy ne propose plus seulement des locations entre particuliers mais aussi les flottes de professionnels de la location. Pourquoi cette diversification ?

Paulin Dementhon. Notre modèle économique à la commission demeure inchangé, et les particuliers représentent toujours la majorité des locations. Mais nous avons en effet ajouté un nouveau segment de propriétaires, qui sont les flottes professionnelles. Nous y avons tout intérêt, car le principal facteur limitant l'usage de notre plateforme est l'importance de la flotte. Celle des particuliers ne suffit plus à couvrir toute la demande que nous enregistrons.

La nouveauté, c'est que nous donnons la priorité à Drivy Open, notre technologie de boîtier connecté permettant d'accéder à un véhicule loué grâce à son smartphone, sans rencontrer le propriétaire. Elle a énormément de succès auprès de nos utilisateurs. Par exemple, durant le weekend du 19 octobre, 98% des voitures avec Drivy Open proposées à la location ont trouvé preneur, contre environ 60% pour les autres véhicules. Seuls 3 000 véhicules sur les 50 000 présents sur notre plateforme sont dotés de cette technologie, mais ils réalisent plus de 50% des locations dans les villes ou Drivy Open est disponible. Le boîtier connecté facilite les locations de dernière minute. Les flottes de professionnels sont toutes dotées de cette technologie, ce qui nous permet d'augmenter massivement son utilisation, mais aussi de proposer des voitures de bonne qualité, garées aux bons endroits en ville, puisque leurs propriétaires ne s'en servent jamais.

N'avez-vous pas peur de réduire le principal intérêt de votre plateforme, les prix ?

Les pros ne sont pas significativement plus chers que les locations de particuliers, notamment parce qu'ils achètent les véhicules à des prix préférentiels. Mais il est vrai que Drivy Open a vocation à être un peu plus cher que de la location low-cost des loueurs traditionnels. Si vous êtes prêt à vous déplacer dans un rayon de vingt kilomètres pour trouver le loueur de voiture le moins cher car vous la louez longtemps ou si vous comparez avec les offres des aéroports, Drivy Open ne sera pas du tout le moins cher. Il y a une énorme différence de coûts d'opérations entre un loueur qui met 200 voitures au même endroit en gare ou aéroport avec une offre super low-cost, et l'autopartage qui nécessite de disposer des voitures un peu partout dans la ville, si possible à distance de marche. Sans compter l'investissement dans les boîtiers connectés.

Avec la disparition d'Autolib, le marché de l'autopartage s'ouvre à Paris. Comment comptez-vous vous y imposer ?

"Ce sont Uber et les autres VTC qui ont tué Autolib"

Nous sommes de loin les leaders du secteur, avec plus de 1 000 voitures Drivy Open disponibles à Paris. Cependant, le marché d'Autolib, des trajets de vingt minutes en ville, ne nous intéresse pas. Mieux vaut prendre les transports en commun ou un deux roues en libre-service. En réalité, ce sont plutôt Uber et les autres VTC qui ont tué Autolib, car il est plus simple de prendre un VTC pour un trajet court que de s'embêter à trouver une voiture. Les trajets qui nous intéressent sont ceux de deux ou trois heures en boucle, les voyages Paris-banlieue ou banlieue-banlieue ainsi que les locations à la journée.

La fin d'Autolib n'a donc eu aucune influence sur nous. En revanche, le service a laissé derrière lui de nombreuses bornes de recharge électrique, qui font de Paris la ville la mieux équipée au monde en la matière. Nous aimerions qu'une partie de notre flotte électrique puisse profiter de ce réseau. 20% de nos trajets font moins de cent kilomètres. Nous pourrions tout à fait passer 20% de notre flotte professionnelle en électrique.

Tout de même, la fin d'Autolib a provoqué l'arrivée sur le marché parisien de gros industriels comme PSA et Renault. Ne vont-ils pas vous compliquer la tâche ?

"Le principal objectif des constructeurs dans l'autopartage est de montrer leurs véhicules électriques pour les vendre"

Le principal objectif des constructeurs est de montrer leurs véhicules électriques, sur lesquels ils ont parié des milliards, pour les vendre in fine. La mairie de Paris leur offre de l'espace public bradé : 12 m² pour 70 euros par mois. C'est beaucoup moins cher que des mètres carrés de showroom auto ou n'importe quelle autre façon de montrer ses véhicules. Je ne dis pas qu'ils ne veulent pas essayer de gagner de l'argent, mais pour eux les enjeux sont différents. Si on demande à un constructeur s'il veut mettre des tonnes de véhicules dans les rues de Paris pour 70 euros par véhicule et par mois, je ne vois pas quelqu'un raisonnablement dire "cela ne m'intéresse pas".

Les constructeurs visent les mêmes trajets qu'Autolib et ne proposent pas de réservations à l'avance, contrairement à nous. Nous ne serons donc pas en compétition sur des locations pour un weekend entier. Mais il y aura clairement de la concurrence entre nous sur les locations de quelques heures et les trajets de quelques dizaines de kilomètres

Ce virage vers les professionnels était-il nécessaire pour vos rapprocher de la qualité de service de vos autres concurrents, les sociétés d'autopartage en free floating, comme Zipcar ou Communauto, qui disposent de leurs propres véhicules ?

Clairement, le cœur de Drivy est désormais Drivy Open, avec des usages qui ressemblent à Zipcar et Communauto. Contrairement aux constructeurs ou à Autolib, ils n'ont jamais visé les trajets ultra courts. Nos véritables concurrents, ce sont plutôt eux. Nous sommes bien plus gros qu'eux dans notre ville natale, Paris. Dans les autres pays, notre flotte Drivy Open commence à se rapprocher de celle des leaders locaux, mais il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Justement, où en est votre expansion internationale ? Avez-vous prévu de vous lancer dans de nouveaux pays ?

"Notre chiffre d'affaires est en croissance de plus de 50% cette année"

Après la France, nous nous sommes étendus dans cinq pays européens : l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, l'Autriche et le Royaume-Uni. La France représente encore 50% de notre chiffre d'affaires. Nos marchés étrangers ressemblent plus au futur que nous voulons pour Drivy. Nous nous lançons seulement dans quelques villes, plutôt que dans tout le pays, et nous nous concentrons sur la création de la masse critique. La proportion de véhicules Drivy Open et de professionnels est supérieure à celle qu'on trouve en France. Il y a évidemment une croissance organique chez les particuliers, mais si vous arrivez à convaincre une ou deux grosses entreprises, la flotte croît très rapidement dès le lancement. Londres, où cette stratégie a été la plus poussée, est en passe de devenir notre deuxième plus gros marché, derrière Paris. Nous n'avons pas prévu de lancements dans de nouveaux pays. Nous préférons densifier l'offre dans les marchés existants et ouvrir de nouvelles villes dans ces cinq pays.

Malgré sa croissance, l'autopartage n'a toujours pas réussi à grappiller plus que quelques pourcents de parts de marchés aux loueurs traditionnels. Que vous-manque-t-il pour réussir à bouleverser ce marché comme l'ont fait les VTC avec les taxis ?

C'est vraiment une question d'offre, de taille et de qualité de la flotte. Les clients veulent des voitures Drivy Open. A chaque fois qu'on ajoute des voitures de ce type, elles finissent par trouver leurs utilisateurs. Il faut aussi continuer à améliorer le produit pour faciliter son usage. Et nous ne sommes pas tous seuls. L'arrivée d'autres modes de mobilités à la demande (VTC, deux roues en libre-service) et leur explosion font qu'il y a de plus en plus de bonnes raisons de ne plus utiliser sa voiture au quotidien. Cela faisait des années que nous répétions qu'il fallait lâcher la voiture individuelle, mais nous n'étions pas dans une situation où les alternatives étaient fiables. Les parts de marché de l'autopartage restent faibles, mais Drivy est à plus de 50% de croissance du chiffre d'affaires cette année. Nous avons encore de belles marges de manœuvre.